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Maël de Calan : "Planche à billets ? La politique monétaire expansionniste conduite par la BCE n'a absolument rien à voir avec ce que propose le FN"
©Reuters

Point de vue

En décortiquant le programme du Front national dans son livre, Maël de Calan dénonce notamment l'utilisation abusive que souhaite faire le parti de la politique monétaire en vue de réduire les déficits.

Maël de Calan

Maël de Calan

Maël de Calan est conseiller départemental du Finistère et conseiller d'Alain Juppé.

Il est l'auteur de "La vérité sur le programme du Front national" (Plon).

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Dans son ouvrage La vérité sur le programme du Front national aux éditions Plon, Maël de Calan analyse point par point le programme du parti pour donner des clés de lecture et mettre en évidence ses contradictions et ses dangers.

Atlantico : Dans votre livre, vous qualifiez l'ajustement monétaire comme "la voie, laxiste et dangereuse", car elle consisterait à "trafiquer la monnaie en faisant tourner la planche à billets, à la fois pour réduire sa valeur (ce qui aidera les entreprises qui exportent) et pour financer les déficits". Pourtant, Mario Draghi, à longueur de discours, indique que sa politique monétaire expansionniste a pour objectif de relancer la demande intérieure, et non de soutenir les exportations. Comment expliquer cette contradiction ?

Maël de Calan : La politique monétaire expansionniste conduite par la BCE n'a absolument rien à voir avec ce que propose le Front national. Si dans les deux cas, il s'agit de faire tourner la planche à billets, les objectifs sont différents. Pour le Front national, il s'agit de financer les déficits publics de l'Etat alors que Mario Draghi a pour objectif de relancer l'économie. Dans un cas, les billets imprimés abondent les bilans des banques qui souhaitent prêter aux entreprises ou aux Etats, pour soutenir la croissance et l'emploi ; et dans l'autre cas, pour le Front national, il s'agit d'imprimer 70 milliards d'euros pour rembourser les déficits.

L'expansion monétaire, sans limites et sans freins, est dangereuse. La politique monétaire actuelle de la BCE est un moindre mal car elle a permis, entre 2010 et 2014, d'éviter la faillite des Etats, puis, depuis 2014, elle a visé à soutenir la croissance. Mais cette politique n'est pas sans inconvénients, malgré ses objectifs vertueux.

Vous indiquez dans votre ouvrage que les règles européennes de 3% de déficits et de 60% d'endettement sont des "règles de bons sens et de bonne gestion". Pourtant, au moment où ces règles ont été mises en place, le scénario envisageait alors une croissance nominale (prenant compte de l'inflation) de 5% par an. Pourquoi serait-il plus important de se focaliser sur les dépassements en termes de déficits et de dette, plutôt que sur l'incapacité de l'Europe à atteindre son objectif de croissance initial ?

En effet, la règle des 3% de déficits a été imaginée sur la base d'un scénario d'une croissance nominale de 5%, ceci afin de stabiliser la dette à un niveau de 60% du PIB. Cependant, dès lors que le potentiel de croissance nominale se réduit, cela devrait conduire les Etats à avoir un niveau de déficits qui soit moins élevé. Aujourd'hui, compte tenu de la croissance et de l'inflation, un déficit de 3% ne suffit plus à stabiliser le niveau de la dette à 60% du PIB. 

Aujourd'hui, la France a un potentiel de croissance de 1% et de 1% d'inflation, soit 2% de croissance nominale, ce qui ne permet pas de stabiliser la dette si nous continuons à afficher un déficit de 3%. Au contraire, il faudrait une cible de déficit qui soit encore plus rigoureuse.

Notre niveau de dette fait peser un risque immense sur la santé financière de l'Etat. Une augmentation de 1 point des taux d'intérêts coûterait 2 milliards la première année, 10 milliards au bout de 5 ans, et 16 à 17 milliards au bout de 10 ans, soit l'équivalent de 4 porte-avions nucléaires chaque année.

Ne serait-il pas plus pertinent d'établir, pour la BCE, un objectif de croissance nominale permettant de réaliser les objectifs de déficits et de dette, même si ceux-ci doivent être plus rigoureux ?

Absolument. Il est tout à fait opportun et nécessaire de revoir le mandat de la BCE. Si je suis partisan d'un politique monétaire rigoureuse, il ne s'agit pas d'en faire un dogme. La cible d'inflation à 2% nous a conduit à faire pas mal de bêtises par le passé, et probablement aujourd'hui encore. Mais l'expansion actuelle est en train de déstabiliser tous les marchés financiers.

L'expansion monétaire menée aux Etats-Unis depuis 2010 a tout de même permis la création de 12 millions d'emplois...

Je ne pense pas que cela soit la création monétaire qui permettre la création d'emplois. Aux Etats-Unis, c'est un marché du travail qui est plus flexible, une durée du travail qui s'accroît, des marges plus élevées pour les entreprises, ce sont les facteurs de production qui se développent parce que l'on favorise l'innovation. C'est de cette façon que les Etats-Unis ont créé des emplois, bien plus que par leur politique monétaire.

La politique monétaire a deux vertus. La première est d'avoir évité que l'économie européenne ne s'effondre entre 2008 et 2010, et la seconde est d'avoir évité que les Etats ne s'effondrent en Europe entre 2010 et 2014. De plus, Mario Draghi rappelle à chaque fois que la France doit mener des réformes structurelles.

Dans votre livre, vous critiquez la volonté du Front national de dévaluer la monnaie de 25% en indiquant : "Cette décision constituerait un matraquage du pouvoir d'achat sans précédent dans l'histoire récente, à travers une augmentation de 25% du coût de l'ensemble des produits importés". Pourtant, dans le cas du Japon, la politique monétaire menée depuis 2012 a conduit à une dévaluation du yen de plus de 40% en deux ans. Et ce, pour une inflation proche de 0% et un chômage qui est passé sous la barre des 4%. N'y voyez-vous pas un paradoxe ?

D'autres pays ont eu des résultats différents au cours de leur histoire, La France notamment, qui a connu l'inflation. Mais ce qui est sûr, c'est que si le yen a baissé de 40%, alors le prix des produits importés a augmenté de 40%, cela est mathématique. De la même manière, le Front national prétend que l'euro a baissé de 35% par rapport au dollar sans avoir provoqué d'inflation. Mais cela est sans compter le fait que le pétrole a fortement baissé au cours de la même période, ce qui a heureusement compensé la dépréciation de l'euro. Ce n'est pas la même chose de dévaluer une monnaie de 25% du jour au lendemain, parce que la conséquence est également une perte de confiance dans la monnaie en question. Ce qui peut entraîner la dévaluation beaucoup plus loin que les 25% prévus initialement.

De plus, lorsque l'euro se déprécie, c'est l'ensemble des pays européens qui sont concernés. Si demain, une dévaluation ne concerne que la France, alors notre monnaie s'affaissera également contre nos plus grands partenaires, qui représentent la majorité de nos importations et de nos exportations.

En attaquant de la sorte toute tentative de changement de la politique monétaire, n'avez-vous pas peur de stigmatiser l'outil qui reste, à ce jour, le plus puissant d'une politique économique ? En regardant les résultats de ceux qui l'ont utilisée massivement comme les Etats-Unis, le Royaume Uni, ou le Japon - pays qui ont des taux de chômage entre 3 et 5 % - n'est-il pas curieux de rejeter un outil sous prétexte qu'il serait "pollué" par la parole du Front national ? Ne faudrait-il pas plutôt rétablir un débat sain autour de la question de la monnaie ?

Je ne stigmatise pas la politique monétaire. Elle reste un outil, c'est pour cela que j'ai pu indiquer qu'il ne serait pas inutile de réviser le mandat de la BCE. Ce que je stigmatise, c'est le "trafiquage" de la monnaie. Ce n'est pas la même chose d'utiliser la politique monétaire dans un cadre crédible, au travers d'un mandat appliqué par une autorité indépendante pour relancer la croissance et l'emploi, et de trafiquer la monnaie dans le cadre d'une politique laxiste menée par une Banque centrale fantoche aux ordres d'un ministre grotesque.

Je ne suis pas hostile à l'idée d'utiliser la politique monétaire comme un levier au service de la croissance et de l'emploi. Mais il convient de le faire de manière à ce que l'on garde confiance dans la monnaie. Ce que propose le Front national est très différent; c'est une dévaluation qui en aura tous les effets pervers, notamment la perte de crédibilité, et ce, sans en avoir les effets bénéfiques. 

Propos recueillis par Nicolas Goetzmann

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