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Respecter ne signifie pas avoir peur ou se soumettre à plus fort que soi
©Reuters

Bonnes feuilles

Assumer les sources religieuses de la responsabilité, éclaircir les polémiques contemporaines sur l'amour et le mariage, sur l'écologie, l'éducation, comprendre les insuffisances idéologiques actuelles pour retrouver le sens du pardon, la noblesse perdue du respect et de la dignité, telles sont les pistes proposées par André Guigot, pour qui l'espoir renaîtra par l'esprit de responsabilité. Extrait de "Pour en finir avec l'irresponsabilité" d'André Guigot, aux éditions Desclée de Brouwer 1/2

André Guigot

André Guigot

André Guigot est professeur à Nantes et essayiste. Il est l'auteur du très remarqué Pour en finir avec le « bonheur », mais aussi de Qui pense quoi ? (Bayard), Sartre, liberté et histoire(Vrin) et du Petit dictionnaire de l'amour (Milan). Il anime de nombreux débats et conférences. Ses travaux portent sur la philosophie contemporaine, le renouveau du spiritualisme et les exigences d'une éthique propre à notre temps.

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La noblesse perdue du "respect"

Poser clairement un problème, c’est nommer les choses par leur nom, en éliminant tous les procès d’intention qui parasitent la vision de la réalité au point de rendre l’action inefficace ou impossible. Le diagnostic concernant l’abandon contemporain du respect est à la fois simple et sombre. Dans les faits, le «respect» a laissé sa place à la soumission. Le mot «respecter» a été trahi: il signifie trop souvent se soumettre à plus fort que soi, que ce soit physiquement en reconnaissant une force, une santé, une jeunesse ou une beauté supérieures, ou intellectuellement en légitimant des avantages économiques ou symboliques à ceux et celles qui sont reconnus comme «dominants» dans tous les domaines. La soumission relève de l’éthologie et non de la morale. Confondre le sens et la valeur du respect avec la soumission ne relève pas de l’erreur logique ou sémantique mais de la faute, dont les plus coupables sont ceux-là mêmes qui avaient depuis le début le pouvoir de l’éviter. Si la conséquence n’était pas la destruction pure et simple du respect en tant que tel, une telle confusion ne mériterait qu’une leçon de vocabulaire. Mais ce concept étant au cœur même de l’esprit de responsabilité, il importe de le préciser.

La philosophie morale de Kant a fondé pour longtemps l’essentiel des exigences dans ce domaine, c’est pourquoi il faut y revenir. Partant du constat que l’homme n’est pas suffisamment « bon» par nature pour qu’il puisse progresser spontanément vers le bien sans éducation et sans contrainte, le philosophe pose le devoir comme condition de possibilité de toute évolution. Si le «devoir» moral prend une forme impérative, c’est d’une part parce que l’être humain ne tend pas de lui-même à devenir moral, c’est aussi parce qu’il doit être en mesure d’obéir à une injonction que lui seul sera capable de s’imposer librement. Or, tous les «impératifs» ne sont pas moraux, en tout cas pas autant les uns que les autres. S’obliger à bien agir en espérant une récompense ou en craignant, dans le cas contraire, une punition, c’est obéir à un impératif de prudence. Il est certes utile, et évidemment plus «moral» que de ne rien faire du tout, mais au sens kantien, l’acte moral authentique ne saurait être qu’inconditionné. Il faut donc trouver une formule du devoir à la fois inconditionné, que chacun pourrait s’imposer librement (sans contrainte, ni intérêt extérieur de type «crainte» ou «espoir»), supposant une certaine maturité intellectuelle (cette exigence est impossible pour un enfant) et réalisant l’autonomie du sujet, autrement dit la capacité à obéir aux lois dont il est comme l’auteur, à défaut d’en être l’origine, puisque l’on ne demande à personne d’«inventer» littéralement de nouvelles valeurs morales. «Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle…» La formulation de l’impératif catégorique donne un contenu formel au devoir, autrement dit un premier critère d’évaluation de ses propres actions: la possibilité ou non de leur universalisation.

Le philosophe nous offre donc une sorte de législation morale a priori (indépendante de toute expérience) permettant à chacun de répondre à la question: «Ce que je fais est-il moral ou non ?» En étant capable de se poser une telle question et d’agir indépendamment de tout intérêt autre que celui propre à l’action elle-même, l’individu devient un sujet moral. Ainsi, l’autonomie de la volonté se réalise et ouvre à la seconde formule du devoir: respecter la personne humaine. Qu’est-ce que le respect au sens kantien ?

Les êtres dont l’existence dépend à vrai dire, non pas de notre volonté, mais de la nature, n’ont cependant, quand ce sont des êtres dépourvus de raison, qu’une valeur relative, celle de moyens, et voilà pourquoi on les nomme des choses; au contraire, les êtres raisonnables sont appelés des personnes, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui, par suite, limite d’autant toute faculté d’agir comme bon nous semble (et qui est un objet de respect).

Les personnes ainsi considérées sont alors comprises comme des fins objectives et ont une valeur absolue: cela ne dépend pas d’un caprice quelconque et ne relève pas d’un «point de vue» subjectif. C’est ce qui fonde la définition kantienne du respect que résume l’impératif pratique que chacun peut dans son esprit lui associer: «Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen.» Respecter ne signifie donc ici absolument pas avoir peur et se soumettre à plus fort que soi pour éviter tel ou tel désagrément ou telles représailles, et être respecté n’a aucun rapport avec le fait d’être craint pour les mêmes raisons.

Dans le même sens, on peut dire que la meilleure manière de respecter quelqu’un est de postuler en lui ou elle une autonomie présente ou à venir (par exemple à viser par une éducation permettant de s’y élever). Le respect est ici une relation positive, et non une simple tolérance à l’égard d’autrui. Il ne suffit pas de supporter la présence de l’autre «malgré» ses différences de culture, d’origine ethnique ou d’origine sociale pour le respecter. Sur un autre plan, respecter les différences d’opinions ne peut pas se limiter à tolérer négativement qu’existent des points de vue opposés au nôtre. Si vraiment, comme nous l’indique Kant, le respect authentique exige d’appréhender l’autre comme fin en soi ayant une valeur absolue, et non comme un moyen ayant de ce fait une valeur relative (par exemple à l’usage que l’on peut en faire, comme se faire valoir en ayant raison, en se positionnant grâce à cette opposition, ou en le réduisant à une force productive dont la seule valeur serait d’augmenter un chiffre d’affaires), alors, les différences de tous ordres doivent être accueillies comme des richesses et comme des chances de progresser soi-même.

Extrait de "Pour en finir avec l'irresponsabilité" d'André Guigot, publié aux éditions Desclée de Brouwer, 11 mai 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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