La souffrance par l'ennui ? Après le syndrome du burn-out, un 1er cas de "bore-out" devant les prudhommes<!-- --> | Atlantico.fr
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Un singe catarhinien bâille près des eaux gelées des monts Huang dans la province d'Anhui en Chine, janvier 2016.
Un singe catarhinien bâille près des eaux gelées des monts Huang dans la province d'Anhui en Chine, janvier 2016.
©Reuters

Jurisprudence en vue ?

Un salarié qui estime avoir été placardisé et payé à ne rien faire dans son entreprise se retrouve, lundi 2 mai, face à son employeur devant les prud'hommes de Paris. Jugeant avoir été victime d'un "bore-out" et sa souffrance "niée", il espère obtenir réparation et faire reconnaitre les souffrances psychiques engendrées par une mise à l'écart volontaire au sein d'une entreprise comme une maladie professionnelle.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Frédéric  Desnard

Frédéric Desnard

Frédéric Desnard est un un ancien salarié d'une entreprise multinationale. Licencié fin septembre 2014, après un arrêt maladie de sept mois, il attaque son employeur devant les prud'hommes de Paris. Jugeant avoir été victime d'un "bore-out" et sa souffrance "niée", il espère obtenir réparation.

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Atlantico : Pouvez-vous raconter votre expérience professionnelle dans l'entreprise que vous attaquez aux Prud'hommes de Paris ?

Frédéric Desnard : Je respecte énormément cette entreprise, son succès. Au début, nous étions tellement heureux dans cette entreprise que nous l'appelions "l’île des Bisounours".

Je regrette juste le manque de solidarité généré par la baisse temporaire du chiffre d'affaire.

Je n'ai été qu'une victime collatérale de combats entre grands décideurs et j'ai été discriminé car contrairement à de nombreux collaborateurs, je n'ai pas eu le droit à une négociation de départ lors de la cessation du contrat de départ.On m'a gardé, gardé, mais on ne m'a confié que des tâches subalternes. 

A partir de quand vous a-t-on diagnostiqué comme souffrant du syndrome de "Bore-out" ?

Frédéric Desnard : Quelques semaines après mon accident, mais on reste dans un déni absolu pendant de nombreux mois. Dans l'émission "7 milliards de voisins", l'une des interlocutrices explique qu'un de ses témoins (médecin) a été victime d'un burn-out sans pouvoir l'identifier (malgré sa formation et son expérience médicale).

Le bore-out, de son côté, est très encore très méconnu en France.

J'espère que ce procès permettra de tracer les lignes de ce que peuvent engendrer les souffrances par le vide au travail.

Quels ont été vos symptômes ?

Frédéric Desnard : j'ai souffert de multiples symptômes :

-Fatigue extrême.

-Troubles du sommeil.

-Repli sur soi.

-Sentiment de honte.

-Perte d’estime de soi.

-Sentiment d’amputation de soi Up & down émotionnel.

- Des dépressions.

- Des crises d’épilepsie.

- Des pulsion suicidaires.

Pourquoi portez-vous votre affaire devant les prud'hommes de Paris ?

Frédéric Desnard : Je souhaite juste que mon ex-multinationale prenne ses responsabilités... sans chercher à transférer les coûts engendrés à des établissements financés par des fonds publics (sécurité sociale ou à la Cotorep "MDPH"). Quand un enfant casse une chose dans un magasin, les parents se précipitent à la caisse pour présenter des excuses et/ou proposer de rembourser (non !?).

J'espère que mon procès fera "jurisprudence" (pour protéger celles et ceux qui ne peuvent se battre car ils sont au bord du suicide et obtenir réparation). Je vais me battre pour ces gens qui finissent résumés par cette simple annonce RATP ou SNCF : "Suite à un accident grave voyageur, le trafic est fortement perturbé sur l'ensemble de la ligne".

Le "bore-out" n'est pas reconnu comme une maladie professionnelle en France, même si les faits que monsieur Desnard décrit l'ont été plusieurs fois (il existe 244 arrêts de la chambre sociale de la cour de Cassation portant sur des faits de mise au placard ou de déshérence professionnelle intentionnelles, considérés comme harcèlement moral). En ce sens, porter son cas devant devant les prud'hommes de Paris est-il un acte légitime ?

Xavier Camby : Il convient de faire premièrement une distinction essentielle : s'ennuyer au travail, malgré l'inconséquent battage médiatique actuel et des publications bien hâtives, n'est pas une maladie et ne le sera jamais. En fait, il existe un vrai bore-out au travail, que reconnaissent de nombreux autres pays : il s'agit d'un écoeurement professionnel radical, immédiat et quasiment irrémédiable.

En sont principalement touchées les professions médicales, les enseignants - les étudiants, aussi -, les créatifs et les dirigeants. Les symptômes en sont très précis : une personne, qui pourtant réussit très bien dans son travail, est très soudainement prise de nausées, de vertiges, d'évanouissements et de vomissements. D'autres symptômes apparaissent ensuite, communs aux autres troubles psychiques au travail : perte du sommeil, désespérance, isolement volontaire et culpabilisation, dérèglement de tous les cycles naturels...

L'arrêt instantané du travail est la seule issue pour celui qui en souffre. La reprise ultérieure d'un travail ne peut s'envisager, hélas, sans une précise et longue ré-éducation psychique. Cette forme grave de destruction de la personnalité nait d'une longue et inconsciente contrainte intérieure, le plus souvent celle d'exercer un métier ou une activité qu'on n'aime pas.... Le harcèlement moral et la manipulation qui résultent en un douloureux isolement au travail peuvent générer de graves et définitives blessures psychiques. Mais il ne s'agit aucunement d'un véritable bore-out.

Si monsieur Desnard remporte son procès, cela peut-il déboucher sur une reconnaissance du syndrome du "bore-out" en tant que maladie professionnelle?

Xavier Camby : Introduire une instance en justice est pertinent lorsque le préjudice est certain, qu'une intention dolosive est manifeste et que la causalité entre les 2 existe. Encore est-il indispensable de fonder sa requête sur des faits probants et une qualification exacte. L'échec professionnel, aussi pénible soit-il, ne peut être, sans solides preuves, imputable au seul employeur ! Je ne connais rien du cas de cette personne et n'est aucune intention de me livrer à des pronostics hasardeux. Si le harcèlement semble probable, le bore-out me paraît un bien trop fragile motif de requête, d'autant que sans aucune existence juridique à ce jour... Le vrai bore-out sera certainement un jour reconnu en France, de même que le burn-out, comme des accidents professionnels (et non pas des maladies). Le choix de la juridiction prud'homale me semble appropriée. Mais elle est cependant habituellement trop peu informée et trop inexpérimentée - en France, toujours - de la réalité de la détresse psychique au travail, de ses processus, de ses symptômes et de ses conséquences.

Outre le paiement du préavis, l'avocat de monsieur Desnard réclame des dommages-intérêts à hauteur de 150.000 euros. Il estime en effet que son client a été "victime d'une mise à l'écart intentionnelle de la part de son ex-employeur qui a atteint son objectif : le licencier sans avoir à lui payer d'indemnités et notamment d'indemnité compensatrice de préavis". Monsieur Desnard a-t-il une chance de remporter son procès avec ce type d'argumentation ?

Xavier Camby : Oui, peut-être, si l'on évite de parler de maladie professionnelle et de bore-out... Il s'agit, je crois, d'un seul problème de relation contractuelle salariée, avec une très longue absence du salarié, pour raison médicale, alors que l'échec professionnel et relationnel de cette personne semblait avoir été avéré.

L'avocat de l'entreprise dit rejeter l'ensemble des accusations du plaignant, dont il entend pointer les "incohérences" et "l'absence de preuves". Il souligne notamment le fait que "le plaignant ne se soit jamais manifesté, ni par courriel, ni par courrier auprès de l'entreprise pour faire part de son mal-être". Selon lui, il aurait même "changé d'argumentaire au fil du temps, parlant d'abord de "burn-out", épuisement professionnel par suractivité, puis à partir de 2015 seulement, de "bore out"". L'entreprise a-t-elle une chance de remporter son procès avec ce type d'argumentation ?

Xavier Camby : L'absence d'appel à l'aide est un des symptômes propres à toutes les détresses psychiques au travail, de même que les interprétations abusives ou erronées. Cependant l'absence de soudaineté des "maux" ressentis par cette personne milite pour éliminer radicalement l'appellation de bore-out pour qualifier la détresse ressentie par cette personne. Le harcèlement moral, encore une fois, doit se prouver par des faits, des témoignages ou des actes dolosifs à caractère intentionnel. Pas seulement par les troubles ressentis par un salarié, qui peuvent avoir beaucoup d'autres causes... 

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