La loi El Khomri à l'Assemblée : que restera-t-il vraiment du texte sur la réforme du travail ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des militants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d'extrême-gauche derruère une banderole "retrait du projet de loi El Khomri" à Paris lors des défilés du 1er mai 2016.
Des militants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d'extrême-gauche derruère une banderole "retrait du projet de loi El Khomri" à Paris lors des défilés du 1er mai 2016.
©Reuters/Charles Platiau

Beaucoup de bruit pour rien

Ce mardi la loi Travail sera débattue à l'Assemblée nationale. Près de 5000 amendements ont été déposés. La loi initiale, déjà fortement édulcorée, risque d'être encore plus vidée de sa substance par le parlement. Impossible toutefois pour le gouvernement de battre en retraite : abandonner à un an de la présidentielle serait le symbole d'un terrible échec.

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou est économiste et essayiste, fondateur du cabinet de conseil Asterès. Il a publié en septembre 2015 Le Grand Refoulement : stop à la démission démocratique, chez Plon. Il enseigne à l'Université de Paris II Assas et est le fondateur du Cercle de Bélem qui regroupe des intellectuels progressistes et libéraux européens

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Maud Guillaumin

Maud Guillaumin

Journaliste à Europe 1, BFM, ITélé, Maud Guillaumin suit pour le service politique de France-Soir la campagne présidentielle de 2007. Chroniqueuse politique sur France 5 dans l’émission Revu et Corrigé de Paul Amar, puis présentatrice du JT sur LCP, elle réalise également des documentaires : « Les Docs du Dimanche », « Les hommes de l’Élysée » sur les grands conseillers de la Ve République et « C’était la Génération Mitterrand » transposé de son livre Les Enfants de Mitterrand (Editions Denoël, janvier 2010). Elle écrit également dans la revue littéraire Schnock. Elle est l'auteur de "Le Vicomte" aux éditions du Moment (2015).

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Le débat sur la loi Travail s’ouvre ce mardi à l’Assemblée nationale. 4983 amendements ont été déposés par les députés. Que restera-t-il de la loi Travail après son passage au parlement ? 

Nicolas Bouzou : Il est très difficile de répondre à cette question. La loi Travail a déjà été fortement édulcorée. A ce sujet, la passion l’a vraiment emporté sur la raison comme le montrent les manifestations qui continuent. Le débat manquera assurément de sérénité. 

La bonne mouture de cette loi était celle proposée initialement par le gouvernement. Elle a déjà été dégradée et elle le sera sans doute encore par le parlement. J’espère tout de même que l’inversion des normes sera préservée. Si on réussit à conserver l'idée selon laquelle les accords en entreprise sont prioritaires par rapport aux autres, ce sera déjà une bonne chose. C'est un aspect important qui correspond à la modalité de fonctionnement des pays qui ont un marché du travail qui fonctionne bien. 

Eric Verhaeghe : Il est encore difficile de le savoir exactement, mais la tendance générale est sans surprise. La majorité parlementaire multiplie les amendements pour arrondir le texte et en modifier l'économie générale. Rappelons que la loi reposait sur un donnant-donnant : plus de protection pour les salariés, notamment avec le compte personnel d'activité, et plus de flexibilité pour les entreprises. Les différents blocages, les uns dus notamment à l'UNEF, grande alliée des frondeurs, les autres dus à la majorité, modifient cet équilibre. Plus le temps passe, moins il y a de flexibilité et plus il y aura de protections pour les salariés. La gauche s'offre donc le luxe d'avoir fabriqué un million de chômeurs supplémentaires en quatre ans, et de renforcer le boulet que les entrepreneurs portent pour développer leur activité. Personne ne sait jusqu'où le bouleversement de l'économie interne du texte sera poussé. Il est en revanche acquis que les semelles des employeurs pèseront plus lourd à la promulgation de la loi qu'avant la présentation du projet de loi. 

Au vu du rapport de force parlementaire, quelles sont les dispositions dont on peut penser qu’elles resteront ? Quelles sont celles susceptibles d’être retirées ou complètement vidées de leur substance ? 

Nicolas Bouzou : Le rapport de force à l’Assemblée est très clairement en défaveur du gouvernement. D'une part, la gouvernement fait face à l’opposition qui a d’ailleurs recours à une argumentation curieuse et malhonnête. Les arguments de l’opposition consistent à dire que la loi ne va pas assez loin et qu’elle n’est pas parfaite. Ce ne sont pas des motifs pertinents pour voter contre une loi : on vote pour une loi si elle améliore l’existant, ce qui est le cas de la loi Travail. D’autant plus que la loi El Khomri représente typiquement le genre de mesures que la droite aurait dû instaurer pendant le précédent quinquennat. D'autre part, le gouvernement est confronté à une forte opposition de gauche. Le rapport de force est donc en faveur de ceux qui souhaitent que cette loi soit un échec du gouvernement ou en tout cas qu’elle ne ressemble pas à sa version initiale.

Ma crainte est que l’on perde tous les éléments de flexibilité qui ont été introduits dans cette loi, notamment la question du plafonnement des indemnités prud’homales (une mesure qui est presque déjà perdue de toute façon puisque le gouvernement est prêt à revenir sur ce point). 

Si j’espère que l’inversion des normes sera sauvée, il est impossible de savoir quelles dispositions seront sauvegardées. Les milliers d’amendements que vous évoquez visent essentiellement à faire obstruction, à ralentir le débat, le rendre plus pénible. 

Eric Verhaeghe : Le compte personnel d'activité, sujet encore flou mais très poussé par la CFDT, devrait rester et même s'enrichir. Cet ajout n'est pas choquant en soi, en revanche on voit mal quelles seront les contreparties de ces ajouts. Les employeurs apprécieraient bien entendu que le gouvernement desserre l'étau réglementaire qui pèse sur les recrutements. Manifestement, l'autorité de l'exécutif n'est plus suffisante pour y parvenir. Ce défaut d'autorité menace directement des dispositifs très sensibles. Pour l'instant, le gouvernement n'a pas modifié le principe général de possibles dérogations à la loi par des accords d'entreprise. Le principal risque est de voir ces possibilités de dérogation réduites à un champ de moins en moins large, pour ne plus rien représenter. Parallèlement, le recours à la décision unilatérale de l'employeur sera définitivement escamoté. Autrement dit, la flexibilité promise sera extrêmement faible, fragile, friable. Rien ne dit, d'ailleurs, qu'à la fin du cycle parlementaire, la définition du licenciement économique ne sera pas remise en cause dans un sens plus favorable aux salariés.

Bref, les acquis qu'espéraient les syndicats patronaux, comme la définition du licenciement économique ou le plafonnement des indemnités prudhommales, sont neutralisés. Le gouvernement a cédé beaucoup sur "l'inversion de la hiérarchie des normes". Rien n'exclut qu'il cède encore plus. 

La ministre du Travail, Myriam El Khomri, interrogée le dimanche 1er mai sur Europe 1 et i>Télé a déclaré "Renoncer à ce projet de loi serait une retraite. Ce projet de loi est juste et nécessaire pour notre pays". La réforme du droit du travail est-elle une bataille qui vaut encore la peine d’être menée à la fois concrètement et en termes de symbole politique ? 

Nicolas Bouzou : Politiquement, le pire des scenarios serait celui du CPE (contrat première embauche) en 2005, c’est-à-dire le fait de battre en retraite. Cela serait terrible et ferait perdre 10 ans à la France car pendant 10 ans, il serait impossible de revenir sur ces sujets. 

Par ailleurs, si le gouvernement veut faire baisser le chômage, il doit continuer à mener cette bataille : toutes les études montrent que la protection des salariés telle qu’elle est pratiquée en France est un obstacle à l’emploi. A l’inverse, les pays qui sont au plein-emploi (la Suisse, l’Autriche, le Danemark) sont des pays dans lesquels la cause même de licenciement n’existe pas. Ce n’est pas le droit du travail qui protège les salariés et encore moins les chômeurs. C’est cela que nous devons réussir à faire comprendre. Cela ne veut pas dire que le droit du travail est le seul élément explicatif du niveau du taux de chômage. Je pourrais citer une dizaines d’autres raisons, parmi lesquelles, le niveau des charges sur certains salaires, la formation professionnelle, l’apprentissage, le manque de croissance…Mais l’argument qui consiste à dire que comme il existe d’autres causes au chômage, il ne faut pas s’attaquer au droit du travail, ne tient pas. 

Maud Guillaumin :La bataille vaut encore le coup d’être menée, sinon on pourra vraiment dire que François Hollande n’a rien fait. Il est important pour le gouvernement de montrer que sur certains points, et même en ayant à faire face à des tas d’amendements (ce qui arrive à tout un tas de gouvernements), il a su aller au bout de son projet, aussi transformé soit-il. Si il abandonne à seulement un de la présidentielle, ce serait un symbole catastrophique. De toute façon, dès qu’un tournant libéral est pris au sein d’un gouvernement de gauche, comme on l'a vu en 1983 ou en 1997 avec Lionel Jospin, il y a toujours une partie de la gauche qui est forcément contre. Cette loi a certes été critiquée dès le début par la gauche de la gauche mais il y a maintenant une partie de la gauche pro-gouvernement qui a accepté les inflexions libérales et qui attend que des mesures plus libérales soient prises. Si elles ne sont pas prises, alors le gouvernement aura déçu non seulement la gauche de la gauche (puisque ce projet ne répond pas du tout à leurs attentes) mais aussi la gauche qui a accepté le tournant pris par Manuel Valls.

Il est vital pour le gouvernement de poursuivre la bataille aujourd’hui, sinon cela donnera un incroyable sentiment d’échec, vis-à-vis de la droite et vis-à-vis d’une partie de la gauche. C’est maintenant au gouvernement de défendre les quelques propositions du projet initial qui sont restées. On verra jusqu’où la bataille peut être menée.

Eric Verhaeghe : En fait, le gouvernement est acculé car, pour lui, un recul sur la loi serait une catastrophe politique alors que Manuel Valls a assez bien joué en termes de communication. Il a évité une révolte étudiante, il a détourné le mécontentement vers le stérile mouvement de la Nuit Debout, et il dispose d'une majorité syndicale pour faire passer le texte. Ce n'est donc pas le moment de reculer. Pour le pays, en revanche, on peut craindre le pire. Ce n'est certainement pas le moment d'ajouter de nouvelles protections aux salariés, qui en ont déjà énormément. Or le débat parlementaire risque d'amenuiser la flexibilité pour renforcer ces protections. En termes d'intérêt général, il vaudrait donc mieux arrêter les dégâts et faire machine arrière. Maintenant, une alternative existe : attendre l'essoufflement définitif de la contestation dans la rue, dégager la place de la République, et revenir, au Sénat, avec une rédaction du texte beaucoup plus proche de la flexibilité initialement voulue. Manuel Valls se grandirait en suivant cette stratégie, car il est vital de défendre l'intérêt commun des salariés et des employeurs. Celui-ci passe par une facilitation des embauches.  

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