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Anita Hausser : "2010-2012 a été la période la plus harmonieuse de la relation Juppé-Sarkozy, mais les compteurs ont été remis à zéro après la défaite"
©Reuters

Guerre politique

A l'occasion de la sortie de son livre "Ennemis de 30 ans" (Editions du Moment), Anita Hausser revient sur les différends et les différences de caractère et de méthode de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, deux hommes qui partagent la même ambition : gagner la primaire de la droite en novembre 2016 puis l'Elysée en mai 2017.

Anita Hausser

Anita Hausser

Anita Hausser, journaliste, est éditorialiste à Atlantico, et offre à ses lecteurs un décryptage des coulisses de la politique française et internationale. Elle a notamment publié Sarkozy, itinéraire d'une ambition (Editions l'Archipel, 2003). Elle a également réalisé les documentaires Femme députée, un homme comme les autres ? (2014) et Bruno Le Maire, l'Affranchi (2015). 

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Atlantico : Votre livre s'intitule "Ennemis de 30 ans". Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sont-ils vraiment en guerre depuis tout ce temps ? Question de caractère ou d'ambition ?

Anita Hausser : "Ennemis de Trente Ans", c'est un clin d'œil aux "Amis de trente ans" qu'étaient supposés être Jacques Chirac et Edouard Balladur. Nicolas Sarkozy a gravi tous les échelons : de simple militant à président de la République, en luttant et en s'imposant. Alain Juppé est entré en politique par la grande porte, mais avant d'accéder à Matignon en 1995, il a eu un parcours électoral plus compliqué. Nicolas Sarkozy et Alain Juppé n'ont jamais été amis. Ils ne fréquentent pas les mêmes cercles, n'ont pas les mêmes centres d'intérêts et leurs caractères sont pour le moins différents. Nicolas Sarkozy est extraverti, bouillonnant, Alain Juppé est plus distant.

Tous deux ont évolué dans le sillage de Jacques Chirac et d'Edouard Balladur tant que ces derniers travaillaient ensemble. Ils se sont ligués contre Charles Pasqua et Philippe Séguin lorsqu'ils ont voulu s'emparer du RPR dans un premier temps, puis lorsqu'ils ont appelé à voter contre le Traité de Maastricht, deux ans plus tard. Tous les deux étaient alors des hommes politiques ambitieux en devenir ; leur communauté de vues sur les questions économiques et européennes masquaient une relation constamment teintée de méfiance et de jalousie, tout cela dans le sillage de Jacques Chirac au RPR ou à la Mairie de Paris. Leurs chemins se sont vraiment séparés lors de la présidentielle de 1995. Ne croyant plus aux chances du maire de Paris (Jacques Chirac) qui avait échoué à deux reprises, (en 1981 et en 1988), pour succéder à François Mitterrand, Nicolas Sarkozy avait choisi de soutenir Edouard Balladur, tandis qu'Alain Juppé s'est rangé aux côtés de Jacques Chirac. Mais la politique étant davantage une question de rapports de force que de sentiments, Edouard Balladur était prêt à nommer Alain Juppé (alors secrétaire général du RPR) à Matignon s'il avait gagné la présidentielle.

Et Alain Juppé, soucieux de rassembler "la famille", ne souhaitait pas laisser Nicolas Sarkozy "hors jeu" après 1995. De même, lorsqu'il a accédé à l'Elysée en 2007, (élection qu'Alain Juppé a "manquée" à cause de sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris), Nicolas Sarkozy a souhaité qu'Alain Juppé fasse partie du gouvernement de François Fillon. Et il tenait à le faire revenir au gouvernement (que Juppé avait quitté à la suite de son échec aux législatives en 2007), avant la présidentielle de 2012. Cette période (de 2010 à 2012), a certainement été la plus harmonieuse de leur longue relation. Mais après la défaite de 2012 les compteurs ont été remis à zéro. Nicolas Sarkozy ayant annoncé son retrait de la vie politique, Alain Juppé a re-commencé à réfléchir à son propre avenir présidentiel. Le téléscopage de leur candidature à la primaire de la droite n'était pas inéluctable. C'est d'abord la guerre Fillon-Copé, puis l'affaire Bygmalion qui ont bouleversé le cours de l'histoire de l'UMP, devenue depuis, le Parti les Républicains.

Aujourd'hui ils ont tous les deux (et ils ne sont pas les seuls), la même détermination : gagner la primaire de la droite en novembre, puis l'Elysée en mai 2017. Alain Juppé, favori dans les sondages, bâtit son projet au fil du temps en puisant les idées dans les travaux de groupes d'experts, et adoptant la méthode de la co-création avec ses supporters. Il avance ses propositions dans des ouvrages thématiques (école, l'Etat, l'économie). Nicolas Sarkozy, toujours pas officiellement déclaré, fait également plancher des experts, mais a une méthode "verticale": il fait valider ses propositions en soumettant des questions bien cadrées aux militants.

Vous avez vu de nombreux membres des équipes de l'un et de l'autre, les langues se délient-elles facilement ? Parle-t-on facilement de celui d'en face? 

Dans les deux camps on se montre prudent, voire méfiant ; on se plait à souligner ce qui différencie le candidat de son choix avec l'autre. Chez Alain Juppé on aime répéter que l'on n'apprécie pas l'orientation droitière affichée par les dirigeants LR. On se veut fédérateur : normal puisqu'il cherche à ratisser large et rallier l'électorat centriste en vue de la primaire. Chez Nicolas Sarkozy on moque volontiers les hésitations du maire de Bordeaux, qui ne veut surtout pas cliver de peur de perdre son avance dans les sondages ! On en a eu un exemple au moment du débat sur la déchéance de la nationalité : Alain Juppé a voté pour la résolution du Bureau Politique de L.R. en faveur de la déchéance, et il a déclaré par la suite qu'il n'était pas favorable à cette mesure ! Pour l'heure les controverses sont cantonnées à la sphère politique et on évite les attaques personnelles ! Personne ne peut prédire comment les choses vont évoluer lorsque la campagne interne va démarrer en septembre.

Plus qu'adversaires, ils sont donc ennemis aujourd'hui. Pourtant, à l'issue de la primaire, l'un d'eux devra se rallier à l'autre. Cela vous paraît-il envisageable ? Alain Juppé pourrait-il soutenir Nicolas Sarkozy, ou bien l'inverse?

C'est Jean-Pierre Raffarin qui a coutume de dire que l'élection présidentielle de 2017 sera une élection à quatre tours puisqu'aux deux tours du scrutin viennent s'ajouter les deux tours de la primaire. La Charte de la Primaire stipule que le candidat battu au deuxième tour rallie le vainqueur et s'engage derrière lui pour la présidentielle. C'est la théorie, mais tout va dépendre de la tournure qu'aura pris la campagne des primaires ; si elle devait tourner au vinaigre et si les coups bas devaient se multiplier entre les deux camps, le soutien du battu au vainqueur deviendrait tout à fait relatif. C'est ce que redoutent aujourd'hui nombre de parlementaires qui refusent pour le moment de choisir officiellement entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé (seul François Fillon a affiché clairement ses soutiens parlementaires à ce jour). En 2006, après la victoire de Ségolène Royal à la primaire interne au PS, les ténors du parti ont mollement soutenu la candidate. En 2011/2012, lorsque François Hollande a défait Martine Aubry à la primaire de la gauche, la rancœur a été jetée à la rivière le temps de la campagne car la gauche voulait battre Nicolas Sarkozy coûte que coûte. Aujourd'hui on ne peut pas prédire qui va gagner la primaire à droite car Juppé et Sarkozy ne seront pas seuls sur la ligne de départ. Ce qui semble en revanche certain, c'est qu'en cas de victoire d'un troisième homme (ou femme) à la primaire, c'en serait fini de leur carrière politique à tous les deux !

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