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80 ans du Front populaire : le gouvernement voit-il l'ironie qu'il y a célébrer une victoire causée par l'échec d'une politique d'austérité Laval qui ressemblait beaucoup à la sienne ?
©wikipédia

1936-2016

L'événement a de quoi faire sourire tant la dynamique d'austérité du gouvernement Valls est à l'opposé de la politique de dévaluation du front populaire.

Guillaume Duval

Guillaume Duval

Guillaume Duval est rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques, auteur de La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! aux éditions La Découverte (2015) et de Made in Germanyle modèle allemand au-delà des mythes aux éditions du Seuil et de Marre de cette Europe-là ? Moi aussi... Conversations avec Régis Meyrand, Éditions Textuel, 2015.

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Atlantico : Alors que le parti socialiste et François Hollande s'apprêtent à commémorer les 80 ans de la victoire du Front Populaire, le 3 mai 1936, est-il réellement possible d'établir un lien de filiation entre les politiques économiques déployées au cours de ces deux époques ? 

Guillaume Duval : Dans les deux cas les socialistes sont arrivés au pouvoir plusieurs années après le déclenchement d’une grave crise économique et financière, celle de 1929 dans un cas, celle de 2008 dans l’autre. Ils arrivent aux affaires à un moment où cette crise n’est toujours pas surmontée, où le chômage continue de s’étendre et où les perspectives semblent sombres pour le pays. Le contexte est cependant très différent à bien des égards. En 1936, le Front populaire succédait au gouvernement de Pierre Laval qui avait mené, sans succès, une stricte politique déflationniste de baisse du coût du travail et des dépenses publiques. 

Le Front populaire est influencé par les thèses de John M. Keynes et la politique du New Deal de Franklin D. Roosevelt aux Etats Unis, mais aussi sans doute par le succès rencontré sur le plan économique par le volontarisme étatiste d’Adolf Hitler en Allemagne. Il entend marquer une rupture par rapport à la politique déflationniste de Laval. Sous la pression de l’insurrection pacifique qui balaie le pays en mai 1936, il sera d’ailleurs obligé d’aller nettement plus loin dans ce sens que ce qu’avait prévu son très sage programme électoral.

François Hollande a, lui, succédé à Nicolas Sarkozy qui, pour l’essentiel, en bon disciple de Jacques Chirac, avait au contraire mené une politique keynésienne classique après la crise de 2008 en laissant filer les déficits publics et en ne faisant rien pour limiter le coût du travail. Il n’a –heureusement- guère écouté en particulier la petite musique déflationniste que lui susurraient pourtant constamment à l’oreille François Fillon et les inspecteurs des Finances de Bercy. 

A l'inverse, n'est-il pas plus pertinent d'indiquer, aussi bien au travers des politiques d'austérité européennes, que de la politique de "sérieux budgétaire" prônée par le gouvernement actuel, que la filiation semble plus nette entre ce que connaît la France depuis 2008 et l'expérience déflationniste française des années 1930, régulièrement symbolisée par les décrets Laval de 1935 ?

Nicolas Sarkozy a laissé à la gauche des déficits et une dette élevée dans un contexte où partout ailleurs en Europe, on avait au contraire commencé à mener de strictes politiques déflationnistes sous la férule d’Angela Merkel et Wolfgang Schäuble. En renonçant d’emblée, dès 2012, à chercher à modifier ces politiques européennes, François Hollande s’est lui aussi coulé dans le moule austéritaire et a engagé des politiques classiquement déflationnistes de baisse du coût du travail et des dépenses publiques avec le CICE puis le pacte de responsabilité. Ces politiques n’ont cependant pas eu des effets aussi catastrophiques que la déflation Laval en 1935 parce que leur action néfaste a été limitée par la politique monétaire très expansive de la BCE et par l’effet de soutien au pouvoir d’achat des Français exercé par la forte baisse du prix du pétrole et des matières premières.       

Comment expliquer un tel retournement idéologique ? En quoi l'expérience du Front populaire peut-elle être remise en question ? En quoi est-elle, au moins dans le principe, obsolète ? 

Tout d’abord, si l’expérience du Front populaire a laissé un souvenir très fort dans la mémoire collective, il faut bien reconnaître qu’elle a été malgré tout plutôt un échec. Le gouvernement Blum lui-même n’a tenu qu’un an. Le Front populaire n’a pas pu empêcher la dégradation de la situation internationale avant que la chambre du Front populaire, certes amputée des députés communistes, finisse par voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain… 

Par ailleurs, un élément essentiel du contexte a évidemment changé : la disparition de l’Union soviétique. A l’époque du Front populaire, même si les crimes de Staline commençaient à être connus, l’idée qu’il existait une alternative au capitalisme était encore dominante et le communisme une force montante. Aujourd’hui, l’idée que l’action de la gauche devrait remettre en cause les fondements du système économique lui-même est devenu très minoritaire. 

Cela s’est traduit notamment, non seulement par le déclin des partis communistes en France comme ailleurs, mais aussi par la conversion des partis socialistes et sociaux-démocrates, longtemps restés eux-mêmes en théorie hostiles au système capitaliste, à ce qu’on appelle le social-libéralisme, qui accepte les politiques libérales mises en œuvre dans tous les pays développés depuis la fin des années 1970 tout en s’efforçant d’en amoindrir les effets sociaux. En théorie du moins, le parti socialiste français était resté, dans le monde social-démocrate, le plus hostile à ce virage. Mais en pratique, la présidence de François Hollande a consisté à adopter et mettre en œuvre ce programme. Le paradoxe de l’affaire étant que les échecs du social-libéralisme et son incapacité à peser sur la réalité de la vie des plus démunis a été tel ailleurs que cette orientation est remise en cause par Bernie Sanders aux Etats Unis et par Jeremy Corbyn au Royaume Uni pendant que le SPD schröderien n’arrive pas à stopper sa descente aux enfers. Et c’est au moment où le bateau social-libéral coule que François Hollande et les socialistes français choisissent de monter à bord…  

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