Comment à l’heure d’Internet et de la mondialisation, les ambassadeurs doivent impérativement se transformer en VRP du "made in France"<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ambassade de France à New York
L'ambassade de France à New York
©Sotheby's

Diplomatie économique

Ancien ambassadeur, Bruno Delaye se défend des accusations sur sa gestion comptable lorsqu’il était en poste à Madrid. Il en profite pour mettre à bas les clichés qui perdurent sur le Quai d’Orsay. Il décrit également ce que doit être la mission d’une ambassade à l’heure d’Internet et de la mondialisation.

Bruno Delaye

Bruno Delaye

Bruno Delaye est ancien ambassadeur de France. 

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Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Gilles Gaetner :  Un livre récent sur "La face cachée du Quai d’Orsay" parle de "scandale étouffé" à propos de votre gestion des réceptions d’entreprises lorsque vous étiez ambassadeur à Madrid entre 2007 et 2012. Vous niez catégoriquement. Qu’en est-il exactement ?

Bruno Delaye : La vérité est limpide. Dans mon rôle d’ambassadeur, la promotion des entreprises françaises, de leurs produits et de leurs services, est devenue primordiale. Pour autant, j’estime que ce n’est pas à l’Etat de payer les petits fours et le champagne quand il s’agit de mettre les salles de réception de l’ambassade à leur disposition. Une main anonyme a voulu lancer contre moi une accusation de détournement des sommes que je faisais ainsi régler par les entreprises. À chaque fois je signais moi-même un reçu, en toute transparence. Après six mois d’enquête et examen des documents comptables, aucune charge de détournement ou de malhonnêteté n’a été retenue contre moi par l’administration. J’ai, en revanche, reçu un blâme pour non-respect des procédures administratives relatives à la mise à disposition des locaux d’ambassade au bénéfice d’entreprises françaises. J’ai en effet ignoré des procédures complexes, mais dans un souci louable : celui de faciliter l’accès aux services de l’ambassade par ces entreprises. Depuis cette affaire, qui en réalité n’en n’était pas une, l’administration a revu les procédures (compte spécial dédié, convention spécifique de mise à disposition des locaux, etc.). Il est faux de taxer l’administration de complaisance comme de parler d’immunité. Aussi est-il tendancieux et diffamatoire de présenter cet épisode de 2012 comme un "scandale étouffé". Je le dis et le répète, il n’y a eu aucun détournement de ma part. Voilà quarante ans que je suis au service de l’Etat, eh bien, aucun reproche au plan de l’intégrité ne peut m’être opposé.

On dit aussi que le Quai d’Orsay serait "un nid d’espions". Les clichés auraient-ils la vie dure ?

Assurément, ils ont la vie dure. Le renseignement et la diplomatie sont deux métiers différents, bien que s’exerçant tous deux en dehors de nos frontières. Il est de notoriété publique que dans quelques ambassades le représentant local de la DGSE dispose d’un bureau, comme c’est le cas pour ses confrères d’autres pays dans leurs ambassades respectives. Dans ce cas, leur présence et qualité sont signalées au pays d’accueil. Leurs activités, leurs contacts avec leurs homologues du pays hôte ne relèvent pas de la compétence de l’ambassadeur. Il est vrai que la priorité de la lutte contre la menace terroriste s’impose également aux deux administrations, lesquelles ont été amenées à se rapprocher et échanger. Cependant, chacune rapporte séparément à son ministre de tutelle et au président de la République. Je vous le répète, inutile de fantasmer, les deux métiers restent donc bien distincts et croyez-moi, dans le cas français, la séparation fonctionnelle est étanche !

Récemment, il a été  fait état d’une très mauvaise atmosphère au Quai d’Orsay. Ce ne sont pas seulement des "on dit", mais un sentiment partagé par nombre de diplomates de haut rang. Qu’en est-il ?

Le "blues du Quai d’Orsay" est une chanson connue, un vieux thème. Rien de nouveau sous le soleil…

Les soubresauts qui existent ne seraient-ils pas liés à une contestation de la politique étrangère de la France qui, dans le cas du conflit au Moyen-Orient et la poussée très forte de Daech, ne souhaite pas négocier avec Bashar al-Assad ?

Je vais vous décevoir, mais le Quai n’est pas une maison de soubresauts ! Récemment d’anciens diplomates et ministres des Affaires étrangères ont pris la plume pour exprimer un point de vue critique sur notre politique étrangère, notamment au Moyen-Orient, mais vous oubliez que ce n’est pas la première fois que ce type d’intervention se produit. À l’intérieur du Quai, les diplomates appliquent fidèlement et loyalement les instructions gouvernementales et présidentielles.

À l’âge d’Internet et de la mondialisation, a-t-on encore besoin d’ambassade et d’ambassadeur ?

On a glosé depuis longtemps sur la "fin des ambassades". Il est vrai que l’image encore prégnante dans l’esprit de beaucoup de gens est celle d’un monde suranné et dépassé tournant autour de mondanités ("Rocher Ferrero"…) et de conciliabules de chancelleries. La réalité contemporaine est toute autre, même si la discrétion qui entoure notre métier ne nous aide pas à changer la perception du grand public. En fait, les services du diplomate sont encore plus nécessaires dans le monde d’aujourd’hui, ultra-connecté et surinformé. D’abord, en ces temps de crises à répétition, qui trouve-t-on en première ligne pour la protection ou le rapatriement de nos ressortissants en cas de catastrophe ou menace terroriste ? Nos ambassades et leurs diplomates. Ensuite, dans le chaos quotidien du monde, qui est à même de rendre intelligible, voire prédictible, l’enchainement des événements, de faire des recommandations d’action pertinentes, de suivre patiemment sur le long terme une stratégie pour circonscrire un conflit, voire pour le régler, d’Afrique au Moyen-Orient ? Là encore nos diplomates savent combiner connaissance du terrain, profondeur historique, propositions concrètes de remèdes et mesures. Vous l’ignorez peut-être, mais chaque jour arrivent au Quai d’Orsay des milliers de pages d’analyses, de recommandations d’action permettant à nos dirigeants de prendre des décisions effectives et à notre pays de continuer à prétendre à une vocation universelle (du nucléaire iranien à la réglementation de la pêche en haute-mer). Plus le monde est dangereux, plus la circulation de l’information grossit et s’accélère, plus s’impose le besoin de mise en cohérence, de pilotage stratégique de notre action internationale pour la protection de la France et la promotion de ses intérêts. Loin d’une survivance du passé, l’outil que représente notre réseau diplomatique (le second dans le monde), composé de professionnels expérimentés est devenu un atout stratégique. Mais il est vrai que le métier a profondément changé.

Il nous faut de plus en plus sortir du secret des chancelleries et nous immerger dans la société civile des pays de résidence. Nos ambassades se transforment en têtes de réseaux d’influence, jouant sur tous les leviers du "soft-power". Au-delà des discrètes démarches diplomatiques qu’il nous faut continuer à faire, nous devons nous connecter -hors des salons officiels- avec toutes les forces vives du pays hôte. Ces dernières années, comme ambassadeur, je passais bien plus de temps à faire mon travail d’influence et de conviction auprès des relais d’opinion (média, industriels, financiers, syndicats, élus locaux, ONG, scientifiques, artistes, etc.) qu’avec les haut-fonctionnaires ou même ministres du gouvernement local. Nous sommes devenus les super-lobbyistes désintéressés des valeurs et intérêts de la France, les agents d’influence de ses idées et de son économie, avant d’être les discrets négociateurs d’arrangements diplomatiques dans l’honneur. Plus encore, notre métier devient celui de militants. Notre cause : la France, sa République, ses valeurs, le travail des Français et leur production quotidienne, matérielle et immatérielle.

Une dernière question : que penser de la diplomatie économique chère à Laurent Fabius, il y a peu encore ministre des Affaires étrangères, désormais président du Conseil constitutionnel ?

C’était pour moi, comme pour d’autres, pas seulement une instruction ministérielle mais une affaire d’engagement personnel et de conviction. Réduire le chômage, relancer la croissance, c’est l’impératif français de la décennie. Notre diplomatie se doit d’y contribuer. Comme diplomate, quand on se bat pour arracher un contrat, on doit le faire en pensant aux milliers d’heures de travail gagnées pour nos ingénieurs et ouvriers, en pensant aux nouvelles embauches générées en France. Finie la dissertation savante -mais passive- sur l’état du monde ! Il faut descendre dans l’arène violente de la compétition économique. Intégrer les arcanes de la finance, de l’industrie et du commerce. Il n’y a rien de dégradant à devenir les VRP du "made in France", bien au contraire. C’est un honneur que d’être placé aux avant-postes de la bataille pour l’emploi en France. Avoir réussi à convaincre un investisseur brésilien ou un industriel espagnol de choisir la France pour s’implanter en Europe, vous fait ressentir plus qu’une satisfaction professionnelle. C’est une émotion qui donne sens, en quelques instants intenses, à l’engagement passé d’une carrière au service de l’État.

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