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Débordements et violences dans les manifs anti-El Khomri : le gouvernement est-il capable de stopper les casseurs ?
©Reuters Pictures

Perte de contrôle

Les manifestations contre la loi El Khomri de ce jeudi 28 avril ont été entachées de sérieuses violences, faisant trois blessés graves parmi les forces de l'ordre. Entre les zadistes, Nuit debout et ces manifestations, il semblerait que les nouveaux mouvements sans organisation n'arrivent pas à contenir leur violence en leur sein. La question est de savoir ce que le gouvernement peut faire pour éviter que la situation n'empire.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : Vous relevez, à propos du mode d'action des zadistes, qu'ils affichent "une volonté de sortir de la sphère d’influence de l’État mais aussi de la sphère marchande" et estiment que le "recours à la violence est également une évidence". Cela a mené, il y a moins de deux ans, au décès de Rémi Fraisse. D’un autre côté, si Nuit debout a commencé de manière non-violente, les rassemblements sont depuis entachés par de nombreuses violences (casseurs, affrontements avec les forces de l’ordre). Ce jeudi, les manifestations contre le projet de loi El Khomri ont connu de nombreux dérapages violents. Ces mouvements sans encadrement sont-ils encore maîtrisables ? Que peut faire le gouvernement pour éviter le pourrissement ?

Eddy Fougier : Il y a toujours une incompréhension entre les militants, notamment les plus radicaux, et les forces de l’ordre. Du côté des forces de l’ordre, la violence consiste à recourir à la force dans un contexte d’illégalité. Pour les militants, la violence commence avec les violences physiques sur des personnes humaines. Viser quelqu’un ou essayer de le blesser, c’est de la violence. Mais tout le reste n’en est pas. Ca va très loin pour certains militants, pas que chez les zadistes. Je me rappelle d’un militant anti-nucléaire qui avait utilisé un lance-roquette en considérant que ce n’était pas de la violence. Ce que les zadistes nomment "l’action directe non-violente" sont souvent des actions illégales, que les forces de l’ordre vont trouver violentes, car il y a un recours à la force contre des biens. Les troubles que peuvent engendrer zadistes, Nuit debout et les mobilisations régulières contre le projet de loi El Khomri, attirent des militants radicaux, que je ne qualifierais pas de casseurs. Pour moi un casseur, c’est, très vulgairement, un jeune des "quartiers" qui va utiliser les rassemblements pour briser une vitrine et voler des baskets.Là, nous sommes plus dans une logique de sabotage, donc plus politique, même si cela ne justifie pas la chose. Effectivement, du côté des zadistes à Sivens, des groupes radicaux se sont greffés. Il est difficile de savoir si Rémi Fraisse en faisait partie. Il y a eu des violences assez importantes et c’est dans ce contexte que Rémi Fraisse est décédé en recevant une grenade tiré par les forces de l’ordre. Mais c’est également ce que nous avons pu voir les week-ends du côté de Nuit debout et de quelques manifestations. 

La question qui se pose, c’est de savoir si ceux qui commettent ces actes appartiennent ou pas au mouvement. Pour certains, ce sont des personnes extérieures, pour d’autres ce sont les plus radicaux. Selon moi, ce sont les seconds qui sont les plus proches de la réalité. Un certain nombre de zadistes peuvent être pacifiques et, selon les circonstances, peuvent virer à la violence. Quand nous parlons du phénomène "black bloc", ce n’est pas un groupe. C’est une technique de combat. Les zadistes peuvent être pacifiques, mais s’ils estiment avoir été harcelés par la police, ils mettent une cagoule et envoient des pierres sur les policiers avec une technique de combat assimilée aux blacks blocs. C’est plus une différence de degré qu’une différence de nature entre les pacifiques et les violents. Sur Nuit debout, j’ai moins d’informations sur le sujet. Mais j’ai discuté récemment avec un commissaire de police qui me disait que les violences ont été commises par des groupes connus, des autonomes, des anarchistes et des antifascistes classiques. Ils sortent du bois quand il y a ce type de mouvement, mais ils peuvent aussi appartenir en même temps à la nébuleuse Nuit debout. 

Que peux faire le gouvernement ? C’est toujours très compliqué, surtout un gouvernement de gauche. Il est difficile de mettre fin à ce mouvement qui bénéficie de sympathie – pas partout, pas à Nice chez les Républicains –, d’un point de vue électoral. J’ai eu l’occasion de discuter avec un sondeur il y a une dizaine de jours. Il m’a montré un sondage, finalement non publié, qui montrait une indifférence bienveillante à l’égard de ce mouvement. Dans un contexte qu’il estime meilleur, le gouvernement ne va pas empêcher des jeunes de se réunir sur une place publique. Mais de l’autre côté, dans un contexte d’état d’urgence et de menace terroriste omniprésente, s’il y a des dérapages, on va l’accuser de laxisme. Ils sont un peu coincés, comme ils l’ont été avec les zadistes. Dans certaines communes, comme à Sivens, les forces de l'ordre sont intervenues. A Notre-Dame-des-Landes, le pouvoir a décidé de trancher l’affaire en prévoyant l'organisation d'un référendum au mois de juin. Donc, il n’y a pas nécessairement de pistes bien déterminées. Surtout pour un gouvernement de gauche face à des mouvements qui se revendiquent de la gauche et de l’écologie. C’est un facteur de division. Cela se voit à Notre-Dame-des-Landes, où Ségolène Royal est plutôt favorable à l’arrêt des travaux contrairement à Manuel Valls qui, lui, est favorable à cet aménagement pour construire un nouvel aéroport. 

Les partis d’extrême gauche et les syndicats peuvent-ils encadrer ces mouvements et ont-ils des raisons politiques de le faire ? 

Ils peuvent être tentés de le faire, mais à mon avis, ils n’y parviendront pas. Les syndicats ont déjà du mal avec leur base. Là nous sommes face à des mouvements spontanés, plus ou moins critiques face aux organisations, des corps intermédiaires et des partis politiques. Ils sont méfiants à l’égard de toute forme de récupération. Je ne suis pas certain que la CGT ou le NPA auront intérêt à se présenter comme les porte-paroles institutionnels de ces mouvements. Je ne suis pas certain qu’ils y aient intérêt. Lorsque Mélenchon et José Bové s’étaient rendus à Notre-Dame-des-Landes, ils s’étaient fait conspuer. Là, l’encadrement serait une mauvaise idée. Besancenot en interview est très prudent en ne cherchant pas du tout à se présenter comme un porte-parole médiatique du mouvement. Donc, les militants ne veulent pas de récupération et les organisations seraient bien imprudentes à s’y risquer.

Les violences qui ont émaillé la mobilisation d'hier contra le projet de loi Travail ont surtout éclaté dans les grandes métropoles françaises, et non dans des zones désindustrialisées ou périphériques. Que peut-on en déduire quant au profil sociologique des fauteurs de troubles ?

Nous ne disposons pas suffisamment d’informations sur le profil de ces militants radicaux et extrémistes, et je n’établirai pas nécessairement de parallèle entre le contexte économique des lieux où ces violences se sont déroulées et l’intensité de ces violences.

Ce qui est vrai, c’est que les antifascistes, les anti-nanotechnologies, et autres individus radicaux que l’on retrouve, ne sont pas les plus déshérités. La thèse qui consiste à dire que ce sont les plus pauvres qui agissent violemment, motivés par un ressentiment à l’égard de la société, est éloigné de la réalité. Il s’agit davantage d’une avant-garde qualifiée professionnellement, et diplômée qui en vient à ses fins.

Ainsi, chez les zadistes, aux côtés des marginaux et des punks à chiens, des "arrachés" comme on les appelle, se trouvent plutôt des militants, des étudiants du supérieur et des intellectuels précaires.

Comment le gouvernement peut-il interpréter cette donnée pour décider de la réponse à y apporter ? 

L’avantage de ces groupes est qu’ils sont dans la violence claire, sans ambigüité, au moins du point de vue du gouvernement. Celui-ci pourra donc y répondre par la répression sans craindre la réaction de l’opinion publique. Il y aura moins d’hésitations que pour José Bové par exemple, qui avait détruit un champ d’OGM, certes, mais en plein jour, et qui avait réussi à s’attirer une certaine sympathie de la part des médias, d’associations et de personnalités politiques. D’ailleurs, contrairement à José Bové, ces mouvements ne cherchent absolument pas à obtenir le soutien de l’opinion. Ils sont au contraire dans une logique de remise en cause du système, et revendiquent le fait d’avoir recours à ce qu’ils nomment le "sabotage". 

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