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Mafia de Chicago dans les années 30 : quand les femmes aussi tuaient de sang-froid
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Bonnes feuilles

Elles sont meurtrières, frondeuses, séductrices, esprits rebelles et libres, elles ont choisi d'être des Lady Scarface, à la vie à la mort... De la naissance des bordels de Chicago à celle d'Hollywood, Diane Ducret nous plonge dans l'intimité des "fiancées de la poudre", les femmes du clan d'Al Capone et autres gangsters qui ont fait trembler le monde. Extrait de "Lady Scarface" de Diane Ducret, aux éditions Perrin 1/2

Diane Ducret

Diane Ducret

Diane Ducret est une journaliste, philosophe et historienne.

Elle collabore à la rédaction de documentaires historiques pour la télévision et est aussi chroniqueuse occasionnelle sur Europe1 dans l'émission de Laurent Ruquier, On va s'gêner. Son premier livre, Femmes de dictateur, est paru en 2011 aux éditions Perrin.

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Le 12 janvier 1928, à 23h01, à la prison de Sing Sing, dans l’Etat de New York, la ménagère du quartier populaire du Queens Ruth Snyder, 32 ans, sa robe foncée au-dessous des genoux écartés par les entraves, cheveux tirés en arrière, visage supplicié, prononce comme derniers mots ceux du Christ sur la croix : "Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent pas ce qu’ils font".

La mère de famille par son époux délaissée entretenait une liaison avec un vendeur de corsets, marié lui aussi. Pas de quoi électrocuter une femme ! L’affaire s’était hélas corsée lorsque son cher et tendre avait eu la fâcheuse idée d’accrocher une photo de sa première fiancée sur le mur du foyer conjugal. Monsieur avait en outre baptisé son bateau en l’honneur de ladite fiancée, ajoutant le très flatteur commentaire suivant : "La plus raffinée des femmes que j’ai connues ces dix dernières années". C’en était trop. Le goujat devait avaler son bulletin de naissance. Encore fallait-il l’assaisonner.

Après l’avoir convaincu de contracter une assurance-vie de plusieurs dizaines de milliers de dollars, avec bien sûr une clause qui doublait l’indemnité en cas de mort violente par agression, Ruth Snyder et son amant – un faible qui agissait à son corps défendant – avaient étranglé le mari signataire et rempli son nez et sa gorge de chiffons imbibés de chloroforme supposés maquiller son trépas en un cambriolage ayant mal tourné. Le cocu occis, l’amant avait pris soin de ligoter Ruth au milieu du salon, afin que la police la trouve ainsi. Deux Italiens seraient entrés, avait-elle raconté en jouant la partition de l’épouse éplorée, et auraient sauvagement assassiné son mari pour mieux les détrousser. Le plan était parfait, ou presque.

Etre une reine du crime ne s’improvise pas. Cela demande de la pratique. Ruth avait au préalable expérimenté sept tentatives sur le cobaye, comme l’enfermer dans le garage le moteur de la voiture allumé, laisser encore le gaz dans la cuisine se répandre joyeusement dans la maison tandis qu’il y était, ou charger son whisky de mercure. Cette fois-ci, elle a jugulé le problème. Mais Ruth a commis une erreur de débutante : elle a dissimulé les bijoux supposés avoir été dérobés sous leur matelas, bien vite retourné par les enquêteurs qui passent la maison au peigne fin. Au tribunal, elle évoquera en guise de défense la vie insupportable que son mari lui faisait subir, son quotidien de femme aux espoirs brisés par un mariage qui l’avait enterrée vivante. La préméditation ne laisse aucun doute sur sa culpabilité. L’affaire provoque un débat passionné sur la peine de mort, dont s’emparent abolitionnistes et féministes. On découvre avec horreur que les femmes aussi peuvent être machiavéliques et tuer de sang-froid.

Depuis que la chaise électrique a remplacé la pendaison, en août 1890, presque toutes les femmes condamnées à la peine capitale ont été graciées. Mais les temps ont changé avec l’arrivée des mafieuses. Du fond de sa cellule, Ruth Snyder reçoit quelque 2 500 lettres de femmes la félicitant de s’être soulevée contre la domination de son mari… ainsi que 164 demandes en mariage !

Le lendemain de l’exécution, l’Amérique découvre en première page la photo floue d’une pauvresse ligotée sur une chaise électrique, prise à l’instant où son corps recevait la décharge. Le New York Daily News, qui publie le cliché en couverture, ne peut satisfaire la demande et doit réimprimer à plus de 700 000 exemplaires. Les femmes de mauvaise vie fascinent et provoquent un sentiment ambivalent. Pour Hoover, elles sont au coeur de la grande machine du crime qui détruit l’Amérique : "Elles sont plus que des compagnes, elles sont le ressort principal. Les gangs ne pourraient exister sans elles".

La naissance concomitante du féminisme moderne et de la criminalité féminine plonge le pays dans une turpitude inédite : ces "secrétaires" toujours plus nombreuses qui lisent des illustrés et touchent un salaire, ces ouvrières qui remontent leurs manches et montrent leur anatomie remettent en cause les fondements de la famille traditionnelle, qui repose sur la suprématie du mâle dominant. La dévotion, l’oubli de soi et de ses propres intérêts pour satisfaire celui qui travaille si dur et garde le logis semblent un paradis perdu pour la gent masculine. Cette anxiété nationale, Hoover compte l’utiliser, l’exacerber. Les bandits femmes deviennent son obsession car, libres et sauvages, affranchies des codes bourgeois ou sexuels, elles pratiquent l’amour libre et font fi des obligations de leur sexe. Cibler les meurtrières sera plus facile et surtout moins risqué que d’éradiquer les gangs de la mafia. Les qualifier de déviantes tout en célébrant leur rôle éternel de mères, créatures dévouées à la paix et à la chaleur du foyer, voilà qui emportera tous les suffrages et l’assentiment des politiques comme de la masse, et qui achèvera de le rendre populaire.

La perversion est donc largement le fait d’une minorité dévoyée qu’il faut briser pour remettre la majorité dans le droit chemin de la soumission. Dès 1932, J. Edgar Hoover lance une véritable campagne visant à arrêter toutes les maîtresses, femmes et compagnes de hors-la-loi. Pour les affronter, il faut une sorte d’hommes très spéciale. Ce seront les G-Men, les "Government Men", les agents spéciaux du bureau d’investigation, rebaptisé FBI en 1935. Le service de renseignements intérieurs et de police judiciaire, avec pour devise "Fidélité, bravoure, intégrité" est dans cette tâche tout-puissant.

Un de ces G-Men reçoit une lettre des plus éloquentes : "Bonjour, canon", écrit une admiratrice qui vante ses avantages physiques, notamment sa poitrine généreuse, et l’invite à venir lui rendre une visite toute privée : "Tu penses que tu es bon, n’est-ce pas ? Je suis sûre que je n’arriverai jamais à t’oublier, même si je le voulais". Hoover est outré, cette vermine l’insupporte : "Je vais dire la vérité à propos de ces rats. Je vais dire la vérité sur leurs femmes sales, crasseuses et malades". Diaboliser ces créatures du démon et les neutraliser, voilà désormais son mantra. "Ce type d’ignorance béate que l’on retrouve chez presque toutes les fiancées de la poudre m’a toujours étrangement intéressé. L’une des qualités que la femme est supposée posséder, c’est la curiosité. Pourtant la fiancée de la poudre semble toujours capable de convaincre le monde en général qu’elle est née sans la qualité qui a fait manger la pomme à Eve". Elles semblent dépourvues de toute curiosité et même de bon sens : "Pourquoi une fille devrait-elle s’embêter l’esprit avec des choses aussi déplaisantes qu’une accusation de meurtre planant sur la tête de son amoureux, alors que cela risque d’interférer avec sa joie de recevoir une nouvelle bague en diamant offerte avec l’argent du sang ?" Hoover a une explication : "C’est la galanterie américaine qui est à blâmer derrière l’existence des fiancées de la poudre".

Le puissant directeur, croisé de l’ordre traditionnel, entreprend alors de mettre l’ensemble des moyens financiers et policiers à sa disposition pour les anéantir.

Extrait de "Lady Scarface" de Diane Ducret, publié aux éditions Perrin, avril 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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