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Le fantasme de la grande coalition gauche-droite post 2017 serait-il un remède pire que le mal ?
©Wikipedia / Louis-Léopold Boilly - Bibliothèque nationale de France

Misère des ambitions visionnaires

Selon le Canard enchaîné, Jean-Marie Le Guen aurait plaidé pour une grande coalition gauche-droite après la présidentielle de 2017. Les résultats électoraux en Autriche, où gauche et droite se partageaient le pouvoir, ont démontré que ce type d'arrangement pourrait être dangereux.

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj est chargé de recherche à Sciences Po. Diplômé et docteur en science politique de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, il est spécialisé dans les comportements électoraux et politiques en France, en Europe et aux Etats-Unis et la psychologie politique,

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Selon le Canard enchaîné, Jean-Marie Le Guen aurait déclaré : "Celui qui aura gagné l’élection présidentielle face au Front National devra passer un compromis pour les élections législatives au sein du camp républicain… il ne pourra plus être le chef d’un clan". Les élections autrichiennes ont marqué un effacement des partis de gouvernement au profit des partis protestataires, et ce malgré des conditions économiques. En France, la population est-elle réellement à la recherche du "ni droite ni gauche" mis en avant par plusieurs politiques ou, à l’inverse, d’une réponse politique affirmée pour sortir de l’impasse actuelle ?

Vincent Tiberj : C'est une vieille erreur d'analyse que de croire que les Français voudraient un dépassement du clivage gauche-droite. Les gens ne sont pas dans une logique de dépassement, ils sont dans une logique de foi. C'est tout le problème aujourd'hui : trop d'électeurs ne voient pas assez de différences entre les politiques de gauche et les politiques de droite. C'est quelque chose de dangereux, qui fait monter le FN. Quel que soit le choix que vous faites, LR ou PS, Nicolas Sarkozy ou François Hollande, vous avez les mêmes politiques derrière. C'est de cette manière que le FN se pose en alternative. Il faut se méfier de la recherche du candidat consensuel. Il faut réussir à retraduire la cote de popularité en termes d'intentions de vote. C'est là que nous constatons qu'Emmanuel Macron est populaire, mais il l'est avant tout auprès de gens qui voteront pour un candidat républicain. Eventuellement en cas de second tour contre Mélenchon, ils voteront Macron. Nous avons le même problème avec Alain Juppé, dans une moindre mesure. Il est populaire au centre et à droite. Mais ce qui fait qu'il est largement plus populaire que Sarkozy, c'est grâce aux électeurs de gauche, qui ne seront pas forcément si nombreux à se déplacer pour la primaire. Cette volonté de dépassement du clivage gauche-droite est trompeuse, car l'élection, c'est aussi la possibilité de pouvoir choisir. 

Christophe Bouillaud : En France, si vous regardez les sondages, les électeurs s'orientent vers les partis traditionnels, PS ou LR, ou vers le parti vu comme le parti antisystème par excellence, le FN. A moins d'une surprise extraordinaire, nous savons globalement quel sera le paysage. Le PS et LR garderont un poids prépondérant. Le candidat des Républicains, quel qu'il soit, sera en théorie le vainqueur de l'élection présidentielle. La dynamique de la victoire devrait l'emmener à une victoire de son camp aux législatives. Même si Marine Le Pen arrive à faire un bon résultat, du fait de sa défaite au second tour, elle sera démoralisée pour les législatives. La gauche sera probablement éparpillée et ne survivra que grâce à ses différentes implantations locales d'élus dans les régions ou métropoles où la gauche est relativement forte. De toute façon, le candidat des Républicains, vu comment fonctionne actuellement l'électorat français, aura très probablement une majorité.

Comment la réponse à cette question varie-t-elle selon le profil sociologique des électeurs ? Peut-on définir deux tendances, entre une population intégrée, qui souhaite ce dépassement du clivage droite-gauche à travers des mesures principalement techniques, et un électorat composé des "victimes du système" à la recherche d’une réponse politique tranchée ?

Vincent Tiberj : D'abord, ceux qui vous disent qu'ils ne voient aucune différence entre la droite et la gauche sont les électeurs les plus éloignés du système politique en tant que tel. Ce sont ceux qui ont le moins de chances de voter. Ensuite, vous avez une partie de l'électorat qui passe de l'un à l'autre, de la gauche à la droite et qui aurait l'attitude de François Bayrou, de prendre le meilleur des deux camps. Mais pour l'instant c'est une infime minorité des électeurs, qui certes pèsent sur l'élection, mais restent très minoritaires. Pour finir, vous avez des gens insatisfaits, qui ne sont pas pour le déplacement du clivage, mais qui sont favorables à son renforcement. Il faut bien faire attention entre les électeurs frontistes d'un côté et ceux de la gauche de la gauche de l'autre. Nous avons tendance à dire qu'ils sont d'accord sur tout, notamment sur le système économique et sur le système européen. Il faut bien se rendre compte qu'ils ont très peu de choses en commun. Les électeurs de la droite de la droite souhaitent souvent plus de protections, mais sont également des libéraux économiques, issus du monde de la boutique et de la ferme. Alors que du côté des électeurs de gauche, les plus remontés, il y a la volonté d'un autre système économique et d'une autre Europe.

Le bruit médiatique veut un dépassement du clivage gauche-droite, alors que les gens ne sont pas dans cette logique. Ils veulent avoir un choix, ce qui est très important dans une démocratie. 

Christophe Bouillaud : C'est une question difficile. Aujourd'hui, l'électorat français, même s'il dit qu'il ne se reconnaît pas dans la division gauche-droite, a une forte tendance à repérer le candidat de la gauche et de la droite qui lui plaît. Il ne faut pas s'illusionner sur le fait que les électeurs n'auraient plus de tendance droite ou gauche. En réalité, dès qu'un candidat paraît plus à droite, il séduit les gens qui se sentent plus à droite. Si vous regardez l'électorat près à voter pour le FN, lui aussi s'identifie plutôt à l'extrême-droite. Les gens tiennent une forme de double discours que nous pourrions résumer par : "Je ne crois ni en la droite, ni en la gauche, mais si je suis de gauche, je vote à gauche et si je suis de droite, je vote à droite". Ce qui est vrai, c'est que les partis traditionnels, PS, LR et UDI, attirent un électorat plus âgé, qui s'identifie plus à la partition droite-gauche. Effectivement, ce n'est pas complètement un hasard si le FN fait de bons scores parmi les jeunes qui vont voter, sachant qu'il y en a beaucoup qui ne votent pas. De la même manière, dans les classes populaires qui votent, le FN a une prise assez importante.

Il ne faut pas oublier que les jeunes et les classes populaires votent moins que les autres. D'où une distorsion entre la sociologie d'un groupe social et son expression politique. 

Un tel projet de "grande coalition" est-il seulement viable politiquement ? En quoi sa focalisation sur des enjeux techniques ayant un impact "à la marge" et faisant abstraction des grands enjeux politiques pourrait-elle en faire un remède pire que le mal lui-même ?

Vincent Tiberj : Du point de vue du FN, c'est l'archétypique de son discours "tous les mêmes, tous pourris", "l'UMPS" et "Les Ripoublicains". C'est donner l'impression que les élites se rassemblent et confisquent les décisions au peuple. Dans un climat politique où les responsables ont du mal à inspirer de la confiance et ne veulent pas déléguer aux électeurs, en négligeant les référendums ou en s'en méfiant, c'est effectivement maintenir la verticalité du politique et empêcher ce renouvellement démocratique que nous voyons émerger un peu partout, notamment à Nuit debout. Cette configuration déboucherait rapidement sur une vision du haut contre le bas. Et effectivement, si vous analyser d'un point de vue marxiste ceux qui prônent ce type de coalition, ils font partie du système. C'est exactement ce que dénoncent l'extrême-droite et la gauche de la gauche avec des logiques et des propositions différentes.

Christophe Bouillaud : S'il y avait un rapprochement officiel par miracle, cela donnerait un prétexte aux deux extrêmes – droite et gauche – de critiquer les élites. Nous réfléchissons souvent sur le FN, mais nous oublions généralement qu'il y a une gauche de la gauche encore là, qui n'attend que de prouver que le PS n'est jamais qu'un faux nom de la droite. Il y a un renforcement des deux côtés. Le FN dénoncerait l'UMPS et la gauche de la gauche, Mélenchon et d'autres, clameraient : "Vous êtes le parti unique de l'argent !" L'idée d'une union nationale, en dehors d'une situation de guerre ou d'une situation exceptionnelle que nous n'envisageons pas dans cet entretien, me paraît fantaisiste.

Outre ces considérations liées à l’électorat, quelles sont les spécificités françaises, notamment institutionnelles, qui peuvent s’opposer à un tel dépassement du clivage droite-gauche et à l'émergence d'une "grande coalition" ?

Vincent Tiberj : Déjà nous avons une culture politique qui n'est pas une culture du consensus. Elle tient aussi au système politique en tant que tel et aux institutions, nous y reviendrons. Il y aussi clairement volonté d'opposition entretenue par les politiques eux-mêmes. Les appels à la grande coalition ou au gouvernement des experts, c'est bien joli. Mais bien souvent, quand ces appels ont lieu, nous nous retrouvons avec une fin de non-recevoir du parti dans l'opposition. Il faut bien voir que vous avez deux phénomènes. Le parti de la majorité voit souvent cela comme une manière de trouver un peu d'air. L'opposition se dit qu'il peut arriver au pouvoir juste après. Sous François Hollande, il y a eu des appels du pied, notamment à François Bayrou et à la droite. Nous pouvons penser à la déchéance de nationalité ou au pacte contre le chômage. Il y a également eu un appel de collaboration entre le Gouvernement Valls et Jean-Pierre Raffarin par exemple. Nous avons rapidement vu que cette main tendue a reçu une fin de non-recevoir. Le Premier ministre Valls, comme son prédécesseur François Fillon, est dans une logique de difficulté face à l'opinion avec un rapprochement de l'élection présidentielle. Dans ce cas, l'opposition n'a pas d'intérêt à venir aider un gouvernement qu'il peut renverser.

Ensuite, il est très clair que notre système institutionnel cultive l'affrontement. Il a été créé pour maintenir un pouvoir exécutif fort. Ce pouvoir fort ne recherche pas le consensus, à la différence du système américain. Le système américain est fait selon la logique des contre-pouvoirs et du balancement entre les pouvoirs, qui sont indépendants. En France, nous avons fait le choix d'un exécutif qui domine le législatif. Aux Etats-Unis, le président est plus un arbitre qu'un capitaine, en France le Président pourrait être un hyperprésident. La réforme du quinquennat a même amplifié cela. Nous aurions pu organiser des élections simultanées, qui équilibreraient les choses. Nous avons fait en sorte que les législatives soient des élections de confirmation de la présidentielle. Le but est de renforcer le pouvoir du président. Du coup, nous avons une faible représentation des petits partis, qui comme le FN ont du mal à s'insérer dans une alliance. Au contraire, une prime est donnée aux grands partis arrivés en tête, PS ou LR. Ce système cultive l'affrontement et le règne d'une majorité. L'équilibre n'est pas réalisé pour que la minorité n'ait pas envie de collaborer.

Christophe Bouillaud : En France, il n'y a pas besoin de grande coalition avec notre mode de scrutin majoritaire à deux tours. Il permet normalement l'expression d'une majorité présidentielle assez facilement. De plus, il empêche l'émergence de forces "marginales" non autorisées à devenir des forces centrales. Il donne un avantage extraordinaire aux deux forces, qui dominent le centre-droit et le centre-gauche. La seule chose qui pourrait faire changer d'avis les deux grands partis sur ce mode de scrutin est la découverte que le FN est capable de devenir majoritaire. Mais pour le moment, les deux partis sont d'accord pour restreindre le jeu. Un bon exemple est la nouvelle loi adoptée pour le fonctionnement des élections présidentielles, qui va favoriser les grands partis. Nous risquons d'avoir assez de candidats qui pourront se présenter avec les 500 signatures. Ensuite, l'égalité des temps de parole a été restreinte au minimum, au profit d'une longue période d'équité qui profite aux grands partis. Ce mode de scrutin est assez surprenant, car il est plus restrictif que le mode de scrutin à l'anglaise, le "first past the post" britannique, qui est un peu plus ouvert que notre système. Pour le moment, nous ne voyons pas pourquoi ces deux partis se mettraient ensemble, car ils jouent sur la balançoire. LR et leurs alliés UDI vont probablement tout gagner. Et ça sera peut-être la gauche autour du PS en 2022. Il n'y a pas de raison d'arrêter de jouer ce jeu tant que nous n'avons pas l'incident de parcours, le FN qui passe en tête, ce qui ne sera pas pour 2017.

Au mieux, le président de la République pourra pratiquer "l'ouverture" comme François Mitterrand en 1988, qui avait coopté un certain nombre de responsables du centre pour venir à l'appui du gouvernement Rocard. Nicolas Sarkozy a fait la même chose en 2007, sans nécessairement avoir besoin des forces électorales au niveau du Parlement. Il avait la majorité parlementaire sans cette ouverture. Nous pouvons imaginer ce genre de configuration, mais cette situation n'a rien à voir avec une grande coalition. Elle consiste à recruter quelques grandes personnalités du centre qui ont envie d'être ministre et qui sont en général de vieux routards de la politique, comme Bernard Kouchner, ou des apprentis politiques, comme Rama Yade. Mais cela ne représente absolument rien en termes de débats politiques et partisans. Mas je vois mal pourquoi le PS aurait à venir au secours des Républicains alors qu'ils auraient gagné les élections.

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