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Quand le Washington Post retrace l’itinéraire de quatre terroristes de l’Etat islamique infiltrés en Europe au milieu des migrants
©D.R

Passoire

Ils n'ont jamais vraiment été interrogés ou retenus à leur entrée sur le continent.

Plus d'un million de migrants sont entrés en Europe, un record. Et selon les agences de renseignement européennes, plusieurs centaines de milliers d'entre eux l'ont fait sans vérifications de sécurité suffisantes à leur point d'entrée en Grèce. Sur les six derniers mois, près de 40 islamistes présumés qui se sont fait passer pour des migrants ont été arrêtés ou sont morts pendant la préparation d'actes terroristes. L'Etat islamique se vante qu'il y en a beaucoup d'autres.

Parmi tous ceux-ci, quatre d'entre eux au moins étaient des agents de l'Etat islamique. Deux ont été arrêtés, deux se sont fait exploser à Paris le 13 novembre. Le Washington Post, se fondant sur des entretiens avec des membres de services de renseignement européens ainsi qu'avec un dirigeant de l'Etat islamique, et sur des documents des services de sécurité français, a recensé les itinéraires de ces quatre agents.

En septembre dernier, les quatre hommes, agents entraînés, se sont retrouvés dans le salon d'une maison dans une ville du centre de la Syrie. Là, un officier leur a expliqué qu'il était l'heure de quitter le califat. "Votre mission est d'aller en France, de tuer, de devenir des martyrs", leur a-t-on dit. "Ils étaient heureux et se sentaient honorés d'avoir été choisis pour aller mourir pour Allah", raconte un membre d'un service de sécurité européen.

Leur objectif : Leros, l'île grecque où se retrouvent la plupart des migrants. Pour cela, ils se sont glissés de la Syrie vers la Turquie, puis sont allés sur la côte et ont pris un bateau. Certaines des îles grecques sont à 30 minutes de bateau à peine de la côte turque. L'afflux de migrants était tel que la Grèce, déjà mise à genoux par les coupes budgétaires imposées par l'UE, ne pouvait pas gérer. Si Frontex, la police des frontières européennes, a fourni un peu d'assistance, la plupart de la gestion du problème était laissée à la police locale et aux gardes-côtes grecs, complètement débordés.

Selon une estimation des services de sécurité européens, jusqu'aux attentats de novembre, seuls 20% des migrants arrivés ont vraiment fait l'objet d'un entretien et d'un contrôle d'identité rigoureux.

Zacharoula Tsirigoti, général dans la police grecque, a déclaré avoir supplié l'Union européenne de fournir de l'assistance, comme des personnels et ordinateurs supplémentaires pour rentrer les informations des migrants dans la base de donnée régionale, Eurodac, mais cette assistance n'a pas été fournie, jusqu'aux attaques de Paris.

Le matin du 3 octobre, les quatre terroristes se sont mêlés aux migrants arrivés sur l'île ce matin. Ils faisaient partie d'un groupe de 47 demandeurs d'asiles déclarant fuir la guerre en Syrie, mais il y avait également de nombreuses autres nationalités : Somaliens, Yéménites, Afghans et Palestiniens. Les deux terroristes irakiens ont montré des passeports syriens ; les restes des passeports retrouvés sur leurs corps au Stade de France ont indiqué qu'ils venaient d'une cache de plus de 3 800 vrais passeports syriens saisis par l'Etat islamique en 2013. A part les nouvelles photographies, les passeports étaient authentiques. Ni Frontex, ni les Grecs n'ont sérieusement remis en question leurs allégations. Comme les dizaines d'autres migrants arrivés ce jour-là, ils n'ont pas été retenus ou interrogés outre-mesure.

D'après des documents confidentiels obtenus par le Washington Post, les Irakiens ont ensuite rejoint un camp de réfugiés en Serbie. D'ici à novembre, ils avaient rejoint les autres terroristes des attaques de Paris. Le 13 novembre, ils participèrent aux attentats de Paris.

Mais les attentats auraient pu être pires : les neuf attaquants auraient pu être onze.

Comme les deux Irakiens, d'autres terroristes, Adel Haddadi, algérien, et Mohamed Usman avaient des vrais-faux passeports syriens. Mais eux ont bien été interrogés et ont cédé sous la pression. Usman, pakistanais, parlait mal l'arabe, démontrant qu'il n'était pas syrien. Haddadi ne savait presque rien de la ville dont il disait être originaire, Alep.

Les deux hommes furent transférés vers l'île de Kos, où ils reçurent une décision judiciaire-éclair. Comme tous les migrants arrivés sous de faux prétextes, ils reçurent un sursis de trois mois ainsi qu'un ordre de quitter le pays dans le mois, et furent relâchés dans la nature, le 28 octobre.

Par l'application de messagerie WhatsApp, les deux hommes ont demandé de l'argent, qu'ils ont reçu par virement depuis la Turquie, et ont continué leur voyage. Comme de nombreux migrants, ils ont traversé les Balkans. Retardés, ils n'ont pas pu participer aux attaques. Ils sont rentrés en Autriche, sans passeports et sous de faux noms, mais avec leurs véritables nationalités. Les deux hommes ont fait une demande d'asile en Autriche et se sont retrouvés dans un centre pour réfugiés bondé, un dépôt de camions reconverti près de la frontière allemande. Les données de leurs téléphones montrent qu'ils étaient en contact avec des individus partout en Europe, à la fois des migrants nouvellement arrivés ainsi que des immigrés liés à la criminalité organisée.

Après les attentats du 13 novembre, une énorme enquête pan-européenne fut lancée. Après la découverte d'un passeport syrien au Stade de France, les enquêteurs ont recoupé les empreintes digitales et découvert que deux des hommes étaient arrivés en Grèce comme migrants syriens le 3 octobre. Avec l'aide des services de renseignement allemands et américains, un manifeste des arrivées de la journée, y compris les photos, fut passé dans un logiciel de reconnaissance faciale et comparé aux bases de données d'extrémistes connus. Deux individus ont été découverts : des hommes, se disant également syriens, arrivés le même jour.

Le 10 décembre, la police autrichienne a reçu leurs photos ainsi que leurs faux noms syriens ; en quatre heures, ils avaient retrouvé les individus et leur centre d'accueil, et les deux hommes furent arrêtés. Pendant l'arrestation, Haddadi a tenté de passer sa carte SIM à un autre migrant, qui fut lui aussi arrêté. Sur 150 heures d'interrogation, les deux hommes ont tout raconté ; ils sont maintenant détenus en Autriche, et leur témoignage a déjà permis l'arrestation de deux autres migrants du même camp. Il est probable que les deux hommes seront extradés en France où ils seront jugés pour leurs liens avec les attentats du 13 novembre.

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