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Des voitures sans conducteurs, vraiment ? Pourquoi la conduite automatisée promise par Elon Musk et Tesla Motors ne pourra jamais être qu’une conduite assistée
©Reuters

Chauffe, Marcel !

En déplacement en Norvège récemment, Elon Musk (co-fondateur de Tesla Motors) s'est exprimé sur ce qu'il estimait être l'avenir des transports et de l'automobile. Selon lui, la conduite automatisée devrait se développer, se démocratiser et finalement conquérir l'ensemble des conducteurs. Un constat un peu rapide et simplifié.

Michel Volle

Michel Volle

Michel Volle est économiste français.

Diplômé de l'École Polytechnique et de l'École Nationale de la Statistique et de l'Administration Économique, il est l'auteur d'un blog dédié à l'actualité économique.

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Atlantico : A l'occasion d'une conférence sur l'avenir du transport, Elon Musk s'est exprimé sur les avancées en matière de conduite automatisée. Selon lui, les conducteurs devraient rapidement adopter les véhicules autonomes, plus sécurisés (50% d'accidents en moins à en croire ses données). Cette affirmation vous semble-t-elle crédible ? Peut-on réellement imaginer que les nombreuses recherches menées actuellement déboucheront sur une conduite complètement émancipée du conducteur ?

Michel Volle : Elon Musk est plus réaliste que ceux qui croient que l'automatisation supprimera tous les accidents : 50% d'accidents en moins, ce n'est pas "zéro accident". Oui, il est possible qu'une assistance informatique au conducteur réduise le nombre d'accidents, il n'est pas besoin pour cela d'une automatisation totale de la conduite.

La délégation de conduite permet déjà de couvrir une gamme de situations. Le travail du conducteur est assisté par de multiples copilotes, de l'assistance à la tenue de trajectoire et au freinage jusqu'à l'assistance au stationnement, à la régulation de vitesse liée au trafic et à l'automatisation totale dans les embouteillages.

S'il est possible de faire rouler une voiture sur autoroute dégagée sans solliciter son conducteur, il faut définir le moment où l'automate doit rendre la main au conducteur. L'exemple du pilote automatique des avions de ligne est à méditer : il est parfois source d'une confusion aux conséquences fatales.

Pour atteindre l'automatisation complète de la conduite, il faudrait que la machine fût exempte de défauts, et comment prévoir toutes les situations auxquelles le conducteur pourra être confronté ? Les démonstrations de conduite automatique ne sont pas encore probantes car elles se déroulent toutes dans un contexte simplifié et sans rapport avec la réalité routière.

Le rêve de l'automatisation totale finira peut-être par s'ajouter au catalogue des promesses intenables de la science-fiction et des cabinets de consulting. Les voitures sont en effet soumises à des exigences beaucoup plus fortes que les avions, dont les conditions d'usage sont relativement simples à modéliser et à programmer.

Dans certaines circonstances très spécifiques, ce type de conduite pourrait-il voir le jour ? Peut-on effectivement envisager un autobus qui voyagerait, automatiquement, de station en station ? Quels aménagements cela impliquerait et d'ici combien de temps pourraient-ils être faits ?

Parmi les rêves que suscite l'automatisation de la conduite, on rencontre l'autobus urbain automatisé et aussi le taxi automatique. Pour les autobus, il serait sans doute possible de définir des itinéraires balisés, délimités, qui se prêteraient à l'automatisation : ce serait un aménagement supplémentaire pour les couloirs qui leur sont aujourd'hui réservés, et qu'il faudrait généraliser au détriment des autres véhicules, moyennant un investissement dont il est difficile d'évaluer le coût et le délai. Mais il faut considérer la situation dans son ensemble : le conducteur d'un autobus assure aussi une fonction de relation avec les passagers, que l'automatisation supprimerait. Quel serait, au total, le bilan d'une automatisation ?

Il est par contre beaucoup plus difficile de se représenter un taxi automatisé. Contrairement à l'autobus, qui suit un itinéraire bien défini, un taxi doit pouvoir se faufiler partout, y compris dans des voies encombrées par des travaux, par une foule, etc. : son itinéraire ne peut donc pas être balisé, sauf à équiper l'ensemble des rues : on retrouve pour le taxi les mêmes contraintes que pour la voiture en général. 

D'un point de vue très concret, où en sommes-nous aujourd'hui en matière d'intégration de l'intelligence artificielle à la conduite ? Dans quelle mesure une conduite assistée constitue-t-elle une avancée réelle par rapport à ce dont nous sommes d'ores et déjà capables ?

Il ne faut pas se faire d'illusions sur les capacités de l'intelligence artificielle : un ordinateur n'est pas "une chose qui pense", mais un automate qui exécute un programme. Même si l'exactitude de sa mémoire et la puissance de son processeur lui procure des facultés qui excèdent celles d'un être humain, son "intelligence" n'est rien d'autre que celle du programmeur. 

L'avenir de l'informatisation réside donc dans la qualité de l'articulation entre "l'intelligence à effet différé" du programmeur, stockée dans un programme, et "l'intelligence à effet immédiat" de l'utilisateur auquel l'ordinateur apporte une assistance. Contrairement à l'automate, l'être humain est capable en effet d'interpréter une situation imprévisible, à laquelle un programmeur n'aurait jamais pu penser. C'est pourquoi l'avenir appartient non à l'automatisation totale de la voiture, mais à la conduite assistée par l'ordinateur. 

Il faudra définir finement le partage des tâches entre l'automate et le conducteur, notamment la façon dont l'un rend la main à l'autre. Comment faire pour que le conducteur ne s'endorme pas lorsque l'automate conduit ? Nous avons déjà bien du mal à lutter contre la somnolence lorsque nous conduisons sur une autoroute monotone !

On peut faire en sorte que l'automate soit "conscient" de l'état de veille du conducteur et qu'il range automatiquement la voiture sur un bas-côté si celui-ci s'est assoupi. On peut aussi concevoir entre la voiture et le conducteur un dialogue qui s'afficherait sur le pare-brise et maintiendrait le conducteur en éveil : informations sur la circulation, sur les lieux traversés, sur l'état de la route, etc. 

Dans un cas comme dans l'autre (conduite assistée ou automatisée), les risques et les inconvénients persistent. Quels sont-ils et dans quelle mesure peuvent-ils freiner l'avènement d'un nouveau modèle ?

L'automatisation de la voiture n'est pas un phénomène récent : nombre des fonctions assurées naguère par des organes mécaniques sont accomplies par des programmes informatiques qui permettent des performances auparavant impossibles (réglage dynamique du moteur, de la suspension et du freinage) ou des actions nécessaires à l'évolution du véhicule (gestion des batteries des voitures électriques, ouverture sans clé, etc.). Les fonctions les plus récentes sont la géolocalisation et l'aide à la navigation, ainsi que le contrôle en temps réel de l'état du véhicule et des pneumatiques.

Dans notre société informatisée, il est normal que l'automobile s'informatise et s'automatise-t-elle aussi. Mais cette évolution rencontre l'obstacle de la complexité et du coût, elle ne pourra donc être que très progressive. Pour atteindre un niveau acceptable de fiabilité, il faut multiplier les capteurs, les processeurs et les algorithmes, et ils doivent être capables de se prémunir contre la défaillance d'un composant ou d'un programme. La conception d'un tel équipement ne peut qu'être coûteuse. Beaucoup de travail sera nécessaire tant sur les logiciels que sur les capteurs et actionneurs avant de pouvoir commercialiser une voiture partiellement autonome.

L'informatique n'a pas supprimé la mécanique dans les fonctions physiques de base que sont la liaison au sol ou la protection contre les chocs, mais elle a enrichi ces fonctions en ouvrant des possibilités nouvelles, accompagnées de risques nouveaux liés à la multiplication des composants et interfaces : des chercheurs ont montré qu'il était possible pour un hacker malveillant de prendre le contrôle d'une voiture à distance et de mettre ses passagers en danger en manipulant son CAN (Controller Area Network).

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