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Pourquoi, contrairement à l'Italie, la France ne cherche que mollement à connaître les raisons du tabassage à mort d’un de ses ressortissants en Egypte
©Reuters

Mystères au Caire

Il y a plus de deux ans et demi, Eric Lang professeur de français au Caire est tabassé à mort par ses co-détenus dans un commissariat. Il avait été interpellé pour un motif futile. Deux hauts policiers semblent avoir laissé faire. Une plainte a été déposée contre eux. La famille de l'enseignant se heurte à des difficultés énormes pour connaître la vérité sur ce drame. Alors que l'Italie, confrontée elle aussi, au début 2016, à la mort mystérieuse d’un de ses ressortissants, avait rappelé son ambassadeur, la France n’a rien fait…

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Un enseignant français du Caire est mort en septembre 2013, assassiné sans mobile apparent. Il habitait en Egypte depuis 20 ans. La France a réagi mollement.

  • Dans un cas similaire, un étudiant italien avait été découvert mort dans un fossé de la banlieue du Caire au début 2016. L'Italie avait réagi vigoureusement et rappelé son ambassadeur.

  • Deux ans et demi après la mort d’Eric Lang, sa mère et sa sœur se demandent toujours si elles connaîtront la vérité sur ce funeste jour de septembre 2013.

Il ne fait pas bon se promener au Caire (Egypte)… Surtout en ayant laissé ses papiers à la maison et en ayant sur soi un objet en fer, même petit. Oh ! Pas une arme, comme on dit, par destination, mais simplement un objet destiné à se défendre… Au cas où. Car il est vrai que dans cette ville frémissante, en proie à des manifestations monstres dues à des luttes de pouvoir, - Mohamed Morsi vient d'être renversé par Abdel Fattah al-Sissi - il vaut mieux être prudent. Faute d'avoir eu sur lui ses papiers d'identité mais avoir eu en sa possession cette maudite barre de fer, Eric Lang, 49 ans, originaire de Nantes, professeur de français au Centre culturel français du Caire où il s'était installé il y a une vingtaine d'années, a connu une fin tragique. Il a en effet été tabassé à mort, entre le 7 et le 13 septembre 2013, par six détenus enfermés comme lui dans une cellule d'un commissariat du Caire. Une mort mystérieuse qui, par certains aspects, ressemble à celle de l'étudiant italien de 28 ans Giulio Regeni, enlevé le 25 janvier 2016 dont le corps, torturé, sera découvert dix jours plus tard, dans un fossé de la banlieue du Caire... Une affaire qui entraînera le rappel, en avril, de l'ambassadeur d'Italie en Egypte.

Que s'est-il réellement passé pour Eric Lang ? Pourquoi est- il mort dans des conditions atroces ? Quelle part de responsabilité a, dans ce drame, le chef du commissariat qui n'aurait rien vu ? Pourquoi - question capitale - Eric Lang, après une nuit passée en cellule, alors que le procureur va requérir, le 7 septembre 2013, sa libération, restera-t-il détenu ? Pourquoi, encore, l'autopsie du corps d'Eric faite par les légistes français contredit-elle celle effectuée par leurs confrères égyptiens ?

Nicole Prost, la mère d'Eric, et sa sœur, Karine, se posent ces questions. Sans trop de réponse. Pourtant, leur jeune avocat, Raphaël Kempf, qui connait bien l'Egypte où il a séjourné deux ans, s'est constitué partie civile auprès du tribunal de grande instance de Nantes et a obtenu une information judiciaire pour homicide volontaire. Il se dépense sans compter. Demandant à la juge d'instruction d'envoyer des commissions rogatoires au Caire pour que cette histoire ténébreuse soit élucidée. Demandant encore au Quai d'Orsay que l'intégralité des documents concernant l'arrestation d'Eric Lang soit également transmise à la magistrate nantaise. Hélas, les choses se hâtent... lentement. Peut-être qu'après la récente visite de François Hollande au Caire, qui a alerté son homologue égyptien sur le cas Eric Lang, l'écran de fumée qui entoure cette tragédie va-t-il peu à peu disparaître et que l'on saura enfin la vérité sur ce qui s'est réellement passé pendant près d'une semaine dans ce funeste commissariat.

Retour sur une histoire qui aurait dû rester banale. Nous sommes le 6 septembre 2013, au Caire à quelques pas de l'ambassade des Etats- Unis. Eric Lang, en compagnie d'un ami, marche dans la rue. Il a rendez- vous dans quelques minutes avec un autre ami à Bab el- Louq, quartier précisément où se situe l'ambassade. C'est alors qu'un officier demande aux deux hommes leurs papiers d'identité. Celui qui accompagne Eric est en règle. Il peut partir tranquillement. Quant à Eric, qui a oublié ses papiers d'identité à son domicile, il est retenu. On trouve sur lui une bouteille de vin et une barre, qui, dit- il, lui sert, en cas d'attaque à se protéger. L'officier le conduit alors au commissariat où il reste la nuit. Le lendemain, 7 septembre, il est présenté au parquet pour être interrogé par le procureur adjoint. Rappel des faits. Absence de passeport. Evocation de la barre qu'Eric portait sur lui. Rien que de très banal. Ambiance apparemment sereine. Tant et si bien qu'au bout d'une heure, le magistrat remet en liberté l'enseignant.

Affaire terminée ? Pas le moins du monde. Elle ne fait que commencer. En effet, le commissariat de police de Qasr el- Nil refuse de libérer Eric Lang. Une décision sans aucun fondement légal. Et voilà le Français qui se retrouve dans une cellule dudit commissariat, en compagnie de six autres détenus, tous de nationalité égyptienne. Il est sûr que leur cohabitation n'a rien à voir avec un long fleuve tranquille. Il est à peu près certain que cette promiscuité, doublée de conditions d'hygiène qu'on devine déplorables n'est pas faite pour rapprocher les gens. De là à ce que cela débouche sur un meurtre, il y a une marge énorme. Et pourtant, cinq jours après son arrivée en cellule, Eric Lang est retrouvé mort. De quoi ? Comment ? Selon l'enquête diligentée par le parquet du tribunal de première instance du Caire- Centre, une dispute aurait éclaté entre les détenus et le Français.

A partir de là, les agresseurs se seraient relayés pour lui asséner des coups de pied, de poing sur différentes parties du corps. Eric Lang serait tombé avant d'être ligoté au sol par ses agresseurs. Et serait mort d'une fracture du crâne. Seulement voilà : cette version est contredite par les médecins légistes français qui pratiquent une nouvelle autopsie sur le corps du professeur rapatrié en France. Selon eux, il est mort d'une strangulation. Autre élément nouveau : on trouve des traces de liens autour des poignets. Pour connaitre enfin la vérité, la mère d'Eric et sa sœur attendent beaucoup de l'issue du procès des six co- détenus du professeur de français. Problème : le procès commencé en juin 2014 traine en longueur, puisque la dernière audience s'est tenue le 8 février 2016.

Le jugement n'a toujours pas été rendu. Aussi, comble de l'absurdité, tant qu'une décision n'est pas rendue, la justice égyptienne ne veut pas entendre les six co- détenus, pas plus qu'elle ne veut interroger deux témoins clés du drame. En l'occurrence, le commissaire du commissariat de Qasr el-Nil et le chef des enquêtes de ce commissariat. Me Kempf a d'ailleurs déposé plainte contre ses deux policiers dès octobre 2013. Pour abus d'autorité, séquestration et violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner… Plus le temps passe, plus diminuent les chances de savoir pourquoi un professeur de français, résidant au Caire depuis 20 ans, est mort dans des conditions épouvantables. Sans aucun mobile apparent. On n'ose croire que si la France ne semble s'intéresser que mollement à ce drame, c'est pour ne pas froisser les intérêts économiques d'un pays qui multiplie les contrats avec Paris.

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