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Derrière l'enjeu du triple A, la question lancinante de l'indépendance de la BCE !
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40 ans pour en arriver là

Comment l'Europe s'est-elle livrée pieds et mains liés aux marchés ? 1er numéro de notre série sur les 40 ans qui ont permis à la finance de prendre le contrôle du monde réel.

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser est ancien député européen apparenté RN.

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Avant l'annonce de la dégradation par Standards & Poors de neufs Etats de la zone euro dont la France, l’objectif de la BCE était de limiter rapidement la hausse des taux d’intérêt sur les obligations souveraines, du moins pour des pays solvables comme l’Italie et l’Espagne. En prêtant aux banques près de 500 milliards en décembre, la BCE voulait qu’elles aient des liquidités à ne plus savoir quoi en faire et qu’elles veuillent bien, par nécessité, acheter de la dette publique et financer l'économie plutôt que de les replacer aussi sec à la Banque centrale en perdant ainsi de l’argent. Les banques empruntent, en effet, à 1% à la BCE pour replacer cet argent à 0.25% à la même BCE, ce qui conduit à une perte.

Mais pourquoi procèdent-elles donc ainsi? Les banquiers n’étant pas frappés de folie collective, c’est bien sûr parce qu’ils y voient un intérêt : placer son argent -même à perte- à la BCE, leur paraît toujours moins risqué que de trouver des projets à financer dans une économie en dépression ou que de se prêter de l’argent entre banques, le marché interbancaire restant en effet tendu (ce qui montre bien que les banques n’ont toujours pas confiance entre elles). Les banques ont quand même fini, récemment, par acheter de la dette publique à faible dose ce qui a donné une accalmie relative et momentanée sur le marché de la dette publique. En clair, les banques ont donc pris le ‘’risque’’ de prêter entre 3 et 6% aux Etats, l’argent qu’elles ont-elles-mêmes emprunté à la BCE à 1%. C’est toute la ’’subtilité’’ du système actuel d’intervention de la BCE qui n’a pas trouvé d’autre moyen pour détendre le marché des dettes souveraines que d’aboutir à un nouvel enrichissement des banques grâce à l'argent des Etats, faute de pouvoir faire autrement… 

Or, il ne pourrait bien s’agir là que d’un répit de courte durée sur le marché de la dette… Car la détente obtenue sur les taux des obligations d’Etat par ce calcul à court terme est désormais confrontée à la perte du triple A de 9 pays de la zone euro opérée par Standards and Poors qui devrait entraîner un renchérissement inéluctable à moyen et long terme même si ce n’est pas le cas, pour le moment, sur des adjudications à court terme comme celle opérée par la France ce lundi.

La peur des marchés que finissent par survenir des défauts de remboursement de dette d’Etat est compréhensible. Simplifions à l’extrême leurs craintes. Si vous avez, par exemple, un endettement de 100% du PIB, sans croissance, et que le taux d’intérêt est de 6%, il vous faudrait un excédent de 6% de votre budget public pour ne pas être obligé de vous endetter pour payer l’intérêt de la dette ; pour autant, avec 6% d’excédent, vous n’avez pas encore commencé à rembourser le principal de la dette qui demanderait encore un excédent supérieur. La règle d’or – qui n’est pas appliquée – est dès lors bien insuffisante pour ne pas vous enfoncer plus dans la dette. La crainte des marchés de ne pas être remboursés de leurs prêts suscite alors des taux d’intérêt croissants qui reflètent ce risque.

Mais, compte tenu de la croissance faible ou nulle des Etats de la zone euro,  en raison justement de cette rigueur rapide demandée par les marchés, l’intérêt de la dette devient de plus en plus lourd et vous enferme encore plus dans la spirale de la dette. Aucun pays de la zone euro n’ayant un excédent budgétaire ou une croissance prévisible qui stabiliserait dans l’immédiat la dette, vous pouvez comprendre la cohérence des marchés...

Il est vrai que les pays de la zone euro n’ont pas à renouveler immédiatement l’ensemble de leur stock de dettes de  8500 milliards d’euros en 2011 ; les anciens taux bien plus bas subsisteront donc en grande partie ; ils sont cependant nettement supérieurs à la croissance attendue en 2012 et il faudra bien trouver les plus de 800 milliards d’euros dont a besoin la zone euro en 2012 pour refinancer sa dette. Sur un marché déjà tendu actuellement, les nouveaux taux seront donc nécessairement plus élevés que les anciens. A terme, si rien n’est changé, si l’incertitude subsiste sur la capacité de rembourser des Etats – compte tenu du processus décrit ci-dessus mais aussi d’un éclatement possible de la zone euro, autre sujet que nous ne traiterons pas ici - c’est tout le stock de dettes qui devra être renouvelé à des taux croissant.

Des pays solvables qui ont fait de grands efforts comme l’Italie, l’Espagne subissent déjà cette tension. La France entrera probablement dans ce cycle à son tour. Elle a le plus gros déficit budgétaire de la zone euro combiné au plus gros déficit commercial. Elle a pu maintenir sa croissance –à court terme- grâce à ses déficits, en limitant ses déficits, elle diminuera sa croissance. Sa dette coûtera plus cher car les marchés sont impatients une fois que la peur se propage ; ils demandent un rétablissement rapide, voire instantané, des comptes publics. Nous nous trouvons alors dans une situation de crise systémique qui fait que plus on essaie de sortir de la crise, plus on s’y enfonce.

Il faut envisager d’autres solutions. La France avait fait une proposition audacieuse en proposant que le Fonds Européen de Stabilité Financière ou FESF puisse se fournir directement à la BCE au même taux d’intérêt que les Banques. L’Allemagne l’a refusée.

Plus largement, si, par exemple, la Banque centrale avait pu procéder à des avances au Trésor des Etats pour le même montant de monnaie de base créée à partir de rien depuis 2005, (cette monnaie de base cumulée est passée dans le bilan de la BCE de 700 milliards à 1700 milliards en 2012, dont environ 700 milliards créés uniquement pour aider le système financier) ; elle aurait pu racheter toute la dette de la Grèce et du Portugal (500 milliards), ces maillons faibles de la zone euro, leur prêter à taux zéro ou même annuler cette dette par la création monétaire. Plus fort encore, il resterait 200 milliards disponibles pour des investissements rentables créant de nouvelles richesses plus particulièrement dans les pays structurellement déficitaires comme la Grèce et le Portugal !  

Mais la Banque centrale ne peut réaliser une telle politique ; ça lui est constitutionnellement interdit. L’Allemagne y veille tout en veillant à ces intérêts (voir l’article rédigé sur ce sujet…) car la création monétaire a été faite, avec sa possible inflation, mais elle est faite pour les banques…Dans la situation actuelle, le statut d’indépendance de la BCE, l’impossibilité constitutionnelle faite aux Etats de se financer directement à la Banque centrale au même taux que les banques, en ne  laissant même pas la Banque centrale agir en toute indépendance si elle jugeait une telle solution pertinente, empêche toute sortie rapide de la crise et surtout pousse à l’effondrement de la zone euro.  

Mais avant d’envisager de nouvelles solutions que nous avons déjà évoquées dans d’autres articles, essayons de comprendre ce processus  qui nous a conduits à cette situation… Les 40 années qui nous ont mené à la crise actuelle ou comment l’industrie de la finance a fini par imposer son pouvoir sur l’Europe depuis la loi de 1973 interdisant au Trésor français de s'adresser directement au guichet de la banque centrale pour assurer ses besoins de financements non couverts par les recettes fiscales.

La perte du triple A nous oblige en effet de manière pressante à réfléchir à l’impossibilité constitutionnelle dans le traité de Maastricht et de Lisbonne qu’ont les Etats de se fournir auprès de la Banque centrale européenne ainsi qu’à l’indépendance encadrée de la Banque centrale qui, même si elle jugeait pertinente une telle politique pour sortir de la crise, ne pourrait pratiquer une telle politique.

Pour la suite, 2nde partie, 3ème et 4ème, c'est ici :

Mais pourquoi avait-on voté en 1973 cette loi imposant à l'Etat de passer par les banques privées ou les marchés pour financer sa dette ?

Comment l'industrie financière a réussi son OPA idéologique sur le reste de l'économie

Comment la crise des subprimes a mis l'Europe à la merci de Wall Street

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