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Macron,  sauveur... ou fossoyeur de la gauche ? Petit mémo sur le destin des travaillistes britanniques des années 70
©Reuters

Mêmes causes, mêmes effets ?

Quelques semaines à peine après le lancement de son mouvement "En Marche!", Emmanuel Macron affirmait ce jeudi ne pas être "l'obligé" du président. Tout laisse donc à penser que le ministre de l'Economie s'apprête à continuer en solitaire. Un potentiel risque politique pour lui et le PS.

Bruno Bernard

Bruno Bernard

Anciennement Arthur Young.
Ancien conseiller politique à l'Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, Bruno Bernard est aujourd'hui directeur-adjoint de cabinet à la mairie du IXème arrondissement de Paris.

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Atlantico : En 1981, le Labour Party (parti travailliste anglais) se scindait en deux, donnant naissance au Social Democratic Party, positionné au centre. Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron lançait son propre mouvement, "En marche", se désolidarisant progressivement du PS. Dans quelle mesure la situation française actuelle est-elle comparable à ce précédent britannique ? 

Bruno Bernard : Tout d'abord, il faut rappeler qu'Emmanuel Macron n'est pas encarté au PS ; c'est d'ailleurs ce qui a constitué pendant un temps son image de marque. Aujourd'hui, il cherche visiblement à capitaliser là-dessus, profitant par la même occasion de l'impopularité record du président en place. Cerains avaient vu dans son mouvement "En Marche!" une tentative combinée avec François Hollande pour ramener des électeurs un peu perdus. Aujourd'hui, il semblerait que ce mouvement soit plus personnel comme les initiales le suggèrent (EM). 

La différence fondamentale par rapport à la situation britannique évoquée réside dans le fait que le mouvement actuel d'Emmanuel Macron n'est pas du tout au même stade de développement que le Social Democratic Party à ses débuts. Ce dernier venait, en effet, d'un parti qui existait. Le Social DemocraticParty consistait en une expérimentation d'individus qui pensaient qu'ils avaient un espace à conquérir en dehors de leur parti originel. Le parti, dès son origine, avait vocation à présenter des candidats aux élections, à exister politiquement donc, voire même, à terme, à remplacer le parti travailliste. Or, à l'usage, cela ne s'est pas produit ; c'est même la vieille structure qui a perduré, et pas en si mauvais état que cela puisque Tony Blair a pu reconquérir le pouvoir en 1997. On imagine mal, à l'heure actuelle, "En Marche!" venir défier électoralement le PS. Peut-être cela sera-t-il le cas d'ici quelques années : il se pourrait d'ailleurs que nous assistions aux prémisses d'une recomposition que beaucoup appelle de leurs voeux

Après cette scission, le Labour s'est davantage gauchisé, se réduisant à des membres de la "gauche de la gauche" britannique (notamment les trotskistes). Ceci a participé à l'affaiblissement du parti, qui n'a réuni que 27,6% des voix lors des élections générales de 1983 (son plus bas score depuis 1918). L'émancipation d'Emmanuel Macron et de son mouvement pourraient-ils avoir un impact similaire sur le PS ?

En premier lieu, il convient de se rappeler de la situation du Labour à cette époque, face à une Margaret Thatcher au fait de son pouvoir. Après les années 1970, le Labour était déjà mal en point. 

On pourrait imaginer que l'émancipation d'Emmanuel Macron puisse avoir un effet similaire sur le PS à ce qui s'est passé pour le parti travailliste à partir de 1981, mais au moins à échéance post-présidentielle 2017. La question qui se poserait alors serait de savoir qui récupèrerait les électeurs : si l'on se base sur le cas où François Hollande l'a emporté sur Martine Aubry, on remarque qu'il y a toujours une légère majorité social-démocrate au PS. Ainsi, Macron pourrait récupérer cette majorité, voire même peut-être l'augmenter un peu en ramenant des personnalités pas nécessairement habituelles comme François Bayrou ou Jean-Pierre Raffarin qui pourraient travailer avec lui. Il est néanmoins difficile de bouger les institutions que sont les partis actuellement, qui résistent plutôt bien.

Tous ceux qui, en général, font scission, s'affablissent eux-mêmes : il n'y a qu'à regarder les exemples de Jean-Pierre Chevènement avec son Mouvement des citoyens en 1992 ou bien François Bayrou, président de l'UDF en 2007, qui se sont satellisés à terme avec leurs scissions. 

Si l'on en revient maintenant à la gauchisation du parti travailliste évoquée dans la question, il convient de préciser que c'est justement ce phénomène de gauchisation qui a permis à Tony Blair de prendre le parti travailliste, de le transformer en le marketant de manière totalement différente, le rebaptisant d'ailleurs le New Labour grâce auquel il l'a emporté. La gauche britannique était devenue tellement caricaturale dans les années 1980 que les germes de la réaction se trouvaient au sein même du parti travailliste. On pourrait donc imaginer que le PS, très gauchisé et donc un peu hors-course, puisse renaître de ses cendres tel le Phoenix au bout d'un moment sous l'impulsion, par exemple, d'un Manuel Valls, ou de son descendant. Dans le cas où François Hollande perdrait en 2017, le PS devra choisir sa voie : se gauchiser ou faire le choix clair et définitif de la social-démocratie. Dans ce dernier cas, on peut se demander si Macron ne risque pas de perdre son espace politique, ce qui est probable. 

Quels effets aurait cette division de la gauche sur l'avenir politique d'Emmanuel Macron et son mouvement lui-même ? A quelles conditions pourrait-elle leur être bénéfique ? 

Dans la mesure où Emmanuel Macron ne se positionne visibilement pas à gauche, cela n'aurait pas un réel impact. Sa volonté, comme beaucoup d'ailleurs à travers les époques de la politique française, est d'espère la mise en place d'un grand mouvement central, pivot de la politique française, avec du centre-droit et du centre-gauche. Tous ceux qui ont essayé n'y sont pas parvenus, de Jean Lecanuet à Jacques Delors, en passant par François Bayrou. Les Français aiment bien savoir à qui ils ont affaire : un homme de gauche ou un homme de droite, même s'il est possible, par la suite, de tendre des mains. Par conséquent, je ne pense pas que la tentative d'Emmanuel Macron soit vouée à une quelconque réussite sous son angle de tentative personnelle. De même, je ne vois pas "En Marche!" devenir un parti politique ; ou alors, ce sera un supplétif qui rentrera dans la nébuleuse du centre, comme il en existe déjà quelques-uns. La seule chose qui pourrait être bénéfique à Emmanuel Macron serait la recomposition complète du paysage politique français. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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