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Anne "néo Mao" Hidalgo : mais à quoi ressemblerait le quinquennat d’une maire de Paris devenue présidente, elle qui trouve le gouvernement "conservateur sur les questions de société et ultralibéral sur les questions économiques" ?
©Reuters

Grand bond en avant

Anne Hidalgo a récemment déclaré que le gouvernement s'était montré "conservateur sur les questions de société et ultralibéral sur les questions économiques". Cette prise de position étonnante nous éclaire sur ce que pourrait être un quinquennat avec l'actuelle maire de Paris à l'Elysée.

Google et Yahoo, internet

Serge Federbusch

Serge Federbusch est président d'Aimer Paris et candidat à l'élection municipale de 2020. Il est l'auteur de La marche des lemmings ou la 2e mort de Charlie, et de Nous-Fossoyeurs : le vrai bilan d'un fatal quinquennat, chez Plon.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Dans le dernier numéro de VSD, Anne Hidalgo a déclaré que le Gouvernement actuel s'est montré "conservateur sur les questions de société et ultralibéral sur les questions économiques". Dans l'hypothèse (évidemment improbable) ou Anne Hidalgo serait candidate en 2017, quelles mesures pourraient prendre son gouvernement pour aller encore plus loin que François Hollande (qui a tout de même fait voter le mariage pour tous, exclu les religieux des comités d'éthique, sacré l'avortement "droit fondamental" et fait un pas vers l'euthanasie...) ? Voudrait-elle légaliser la GPA, l'euthanasie et la polygamie ? Ordonnerait-elle la nationalisation des logements ? Et quoi d'autre encore ?

Serge Federbusch :Hidalgo tient comme à son habitude un discours qui est un véritable concentré de démagogie. La réalité est exactement à l’inverse de ce qu’elle décrit. Hollande n’a fait de réformes que sociétales : celles que vous énumérez, notamment le mariage homosexuel. Il fallait bien donner le change et payer cash le soutien du lobby LGBT en 2012.

En matière économique, c’est l’ultra-conservatisme au contraire. L’action gouvernementale a consisté à protéger par priorité les rentiers ayant voté Hollande, fonctionnaires et assimilés en particulier. Le Président ne s’en est pris qu’aux catégories sociales votant clairement à droite : cadres supérieurs ayant des familles nombreuses, professions libérales, bénéficiaires de revenus de placements élevés. Face à Bruxelles et Francfort, il a fait un chantage discret à la sortie de l’Euroland afin que Mario Draghi rachète nos dettes et permette une baisse tout à fait injustifiée des taux d’intérêt que nous supportons. Là encore, c’est du conservatisme appuyé sur de la rouerie.

En réalité, Hidalgo pense à l’après-2017 et essaie de s’inventer un positionnement alternatif à celui de Hollande, reprenant un discours crypto-mélenchonnien en matière économique et poussant sur les soi-disant avancées sociétales. En bonne démagogue, elle ferait n’importe quoi sur la question de l’adoption ou de la GPA.

Ce faisant, elle confond les attentes de son électorat de bobos de l’hyper-centre parisien et celles des Français. Si d’aventure le PS se laissait aller à lui confier son destin, il en prendrait pour vingt bonnes années d’opposition. Hidalgo à la tête de l’opposition en France, ce serait comme les frères Milliband en Grande-Bretagne avec le même résultat à l’arrivée.

Jean Petaux : Les propos d’Anne Hidalgo que vous reprenez et qui sont rapportés par VSD ont de quoi surprendre en effet. Ils s’inscrivent dans une appréciation plutôt négative de la politique déterminée par le président Hollande et mise en œuvre par le Premier ministre Manuel Valls. Le jugement d’Anne Hidalgo est même sans appel puisqu’on peut lire quelques lignes avant le passage que vous citez, dans le même article de VSD, ce pronostic de la maire de Paris : "Sauf miracle, il y aura une alter­nance. La gauche est dans un très très sale état et mettra sûre­ment du temps à se recons­truire. L’échéance de 2017 va être diffi­cile pour ma famille poli­tique parce qu’on ne peut pas dire qu’on ait démon­tré une grande effi­ca­cité dans les réali­sa­tions et on a un peu trop tourné le dos aux enga­ge­ments".

Il peut paraître étonnant que la critique portée soit sur le registre qu’aborde Anne Hidalgo. Il est toujours loisible de considérer que l’on peut faire davantage quand on est dans tel ou tel camp politique et surtout dans la fraction qui soutient l’action gouvernementale, d’estimer qu’il reste encore beaucoup à faire, mais en l’espèce comme vous l’indiquez, jusqu’où faudrait-il faire évoluer la législation ? En réalité ce que veut dire Anne Hidalgo c’est qu’il aurait sans doute fallu faire preuve d’autant d’audace sur les questions morales et sociétales que pour ce qui a été engagé (par un président se disant de gauche et élu comme tel) en matière de rénovation de la pensée économique "socialiste" qui a mis en œuvre par exemple une politique de l’offre en abandonnant la sacro-sainte politique économique fondée sur la demande, dogme invariant du PS depuis la Libération…

Pour autant, Anne Hidalgo n’est pas une "frondeuse" (au moins publiquement) et si elle est considérée comme proche de Martine Aubry (elle a été membre de son cabinet ministériel dans le gouvernement Jospin entre 1997 et 2002), elle l’est moins (là encore publiquement) que son mari Jean-Marc Germain, député des Hauts-de-Seine, ancien directeur de cabinet de Martine Aubry puis de Lionel Jospin. Anne Hidalgo, en sa qualité de maire de Paris, est une femme politique qui a sa propre liberté de parole, un statut vraiment à part au sein du PS et surtout une capacité à s’exprimer sur la politique gouvernementale sans aucune forme d’interdiction possible d’où que ce soit d’ailleurs, pas plus du "Château" (l’Elysée) que de Solférino (le PS). C’est le "privilège" de l’Hôtel de Ville !

Alors que le bilan économique, social et international de François Hollande est très critiqué, les prétendues "avancées sociétales" n'apparaissent-elles pas au contraire de ce qu'affirme Anne Hidalgo comme le seul héritage de son quinquennat (ou du moins le seul apport jugé positif par le cœur de son électorat de 2012) ? Le progressisme sociétal et l'égalitarisme effréné sont-ils désormais les seuls marqueurs officiels de gauche, voués à être mis en avant en 2017 ?

Serge Federbusch :Dès lors que le PS ne fait pas son auto-critique sur les deux raisons de son échec depuis plus de 30 ans, à savoir son adhésion en 1983 au dogme de la monnaie dite forte et son refus de réformer l’Etat et ses démembrements, il ne peut que tenter dediffuser un rideau de fumée. D’où ces pseudo-avancées sociales qui concernent une infime minorité d’individus et sont des symboles à destination des médias. Les vrais hommes et femmes de gauche ne peuvent que hausser les épaules devant ce progressisme de pacotille. Hidalgo agite ces leurres mais sa vérité est ailleurs, quand elle se fait la servile exécutante des capitalistes de connivence les plus brutaux.

Il suffit de voir comment la mairie de Paris fraye avec Bolloré (Autolib’), la foncière Unibail (Halles, Parc des expositions), LVMH ou Decaux pour réaliser à quel point il s’agit d’une gauche en peau de lapin.

Jean Petaux : En politique, il existe une règle quasi-immuable qui transcende les époques et les formations au pouvoir. Plus les équipes qui gouvernent sont en difficulté avec un bilan contrasté, pour ne pas dire parfois "franchement médiocre" où en "attente de résultats qui tardent à se manifester", et plus le discours politique tenu tend à se radicaliser. Le principe est simple : en rajouter dans la surenchère pour donner l’illusion d’être resté fidèle au programme originel. Sur ce fonctionnement tenant presque de l’invariant structurel, se rajoute un autre mécanisme : l’évocation de mesures clivantes et "clashantes" crée une polarisation des positions, elle repolitise en somme le débat et fait diversion. Et ainsi le débat politique se perd dans les volutes de la légalisation (ou pas) du cannabis ou dans le chiffon rouge du voile-hijab agité avec forces menaces d’interdiction à l’université (ce qui est d’autant plus idiot que c’est impossible car anticonstitutionnel) qui vont faire que pendant trois jours on parlera d’autre chose que de la loi El Khomri. La ficelle est grosse comme un câble électrique de ligne à très haute tension mais le "coup" fonctionne avec toujours autant de bonheur.

A l’automne 1983, devant un parterre de représentants des différents courants socialistes réunis en congrès à Bourg-en-Bresse, les caciques du Gouvernement d’alors, derrière le Premier ministre Pierre Mauroy, s’emploient à faire passer la potion amère du "tournant de la rigueur", politique économique mise en place après les municipales catastrophiques du printemps précédent et surtout du fait du décrochage économique et financier de la France par rapport à l’Allemagne (déjà !...). Cette "mue politique" était alors bien plus difficile à vivre pour le PS que la situation actuelle. Pour une raison simple : personne n’a imaginé lors de l’élection de François Hollande en mai 2012 que le "grand soir" était arrivé. En revanche, une immense majorité de Français l’a cru au soir du 10 mai 1981 avec l’élection de François Mitterrand. La déception de 1983 était donc éminemment bien plus forte alors qu’aujourd’hui.

Pierre Mauroy prend donc la parole au congrès de Bourg-en-Bresse et sort de son chapeau deux projets de loi qui vont refaire vibrer les "cœurs socialistes" : la mise en cause et la reprise en main des grands groupes de presse (Hersant à l’époque) hostiles au Gouvernement et la mise en place d’un "grand service public et laïc de l’éducation" avec le projet de loi Savary. L’assemblée socialiste exulte. Le premier projet sera vite abandonné. Le second va rallumer la guerre scolaire, mettre des centaines de milliers de manifestants dans la rue dans toutes les grandes villes de France jusqu’à un million à Versailles en juin 1984, remobiliser toute la droite politique et aboutir au départ de Pierre Mauroy en juillet 1984, emmenant avec lui les quatre ministres communistes et menant à l’arrivée de Laurent Fabius à Matignon… Joli bilan !

Eh bien malgré cela, malgré cette sorte de jurisprudence qui devrait faire réfléchir plutôt deux fois qu’une les tenants d’une surenchère idéologique, il est fort probable que les mêmes causes produiront les mêmes errements d’ici 2017. Pour une raison forte, souvent mise en avant et qui n’est d’ailleurs pas erronée électoralement parlant : il faut d’abord ressouder son propre camp, ses propres électeurs, les remobiliser en leur réinjectant de fortes "doses d’idéologique en concentré", un peu comme des produits dopants, avant de partir à la conquête de tous les électeurs et surtout de ceux de son adversaire. Ceci explique, pour partie, la logique de la surenchère.

Ce mercredi, la ministre des Familles Laurence Rossignol a quant à elle déclaré que le candidat de la gauche pour 2017 portera dans son programme l'élargissement de la PMA à des femmes ne souffrant pas de problèmes d'infertilité, comme les couples de lesbiennes. Ce candidat, quel qu'il soit, a-t-il de réelles chances d'être élu sur ce seul socle idéologique ? A quelles conditions ?

Serge Federbusch : Si Hollande et sa bande comptent sur ce projet pour gagner en 2017, la droite n’a même pas besoin de faire campagne pour l’emporter ! La PMA pour les lesbiennes, c’est 500 à 1000 voix en plus, à tout casser, et au moins 50 000 en moins, celles des gens ulcérés par ce nouveau bricolage biologico-juridique et qui ne se seraient pas rendus aux urnes. Laurence Rossignol ferait mieux de lutter contre l’islamisme et le port du voile comme elle a courageusement commencé à le faire. Ce serait beaucoup plus profitable pour le PS quoi qu’en pense Hollande qui a été en partie élu grâce aux voix musulmanes en 2012 mais ne peut plus l’être en 2017, ce qu’il n’a toujours pas compris.

Jean Petaux : La proposition de Laurence Rossignol, qui s’est déjà attirée plus que son lot de critiques en provenance des rangs de la gauche et surtout des militantes et militants fort bruyants et très actifs des "luttes genrées", en acceptant de "récupérer" un portefeuille ministériel dont l’intitulé a suscité une vraie polémique dans l’électorat de gauche ("Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes"  : une première dans le "genre", sans mauvais jeu de mots) vient de déchaîner la "tweetosphère" avec sa récente interview sur les "femmes portant le voile" et les comparant "aux nègres américains favorables à l’esclavage". Ce n’est donc pas vraiment surprenant que Laurence Rossignol ait besoin de se "regauchir" quelque peu en évoquant l’élargissement de la PMA après 2017. Disons que cela correspond à une posture compensatrice. Il en va des petites phrases politiques et du petit jeu des "voyez mes plumes de gauche, je suis bien de gauche" comme de la scoliose chez les adolescents : pour corriger telle ou telle déviation, la colonne vertébrale se tord fortement dans l’autre sens. Un candidat en 2017 ne sera jamais élu sur la seule question de l’élargissement (ou pas) de la  Procréation médicalement assistée. Ce serait d’ailleurs un véritable scandale. Que l’on soit pour ou contre cette proposition d’étendre la PMA à tous les couples, y compris lesbiens, il serait absolument aberrant que le sort d’un Etat de plus de 60 millions d’habitants soit lié à cette seule question. Seuls les obsédés du problème (qu’ils soient "pros" ou "antis" au demeurant) détermineront leur vote à l’aune de l’évolution (ou pas) de la PMA. Au final, la démarche de Madame Rossignol n’a donc aucune espèce d’importance politique et ne relève pas d’autre chose que de la manœuvre de diversion : "J’ai des choses à me faire pardonner, je ramène la PMA sur le devant la scène : voyez, gens de gauche, je ne suis pas si à droite que ce que vous dites puisque je ressors une de vos revendications". Si l’illusion fonctionne encore, c’est que le public est de bonne composition. Et justement il l’est de moins en moins…

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