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Secret des affaires : l’Europe résiste à la pression des tenants du tout transparent mais oublie encore largement l’enjeu de la protection de ses données
©Reuters

Combler le retard

Une directive européenne protégeant le "secret des affaires" a récemment été adoptée par le Parlement européen. De nombreux commentateurs y ont vu le début d'une prise de conscience de l'importance de mieux protéger le patrimoine industriel. Ce dispositif ne va toutefois pas assez loin, la problématique du stockage des données n'ayant pas été couverte.

Christian Harbulot

Christian Harbulot

Christian Harbulot est directeur de l’Ecole de Guerre Economique et directeur associé du cabinet Spin Partners. Son dernier ouvrage :Les fabricants d’intox, la guerre mondialisée des propagandes, est paru en mars 2016 chez Lemieux éditeur.

Il est l'auteur de "Sabordages : comment la puissance française se détruit" (Editions François Bourrin, 2014)

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Atlantico : Ce dispositif se justifie-t-il selon vous, au regard des différents risques qui pèsent sur les entreprises européennes ?

Christian Harbulot : Le développement de  notre économie implique que nous soyons à la hauteur des niveaux d'affrontement qui dominent le marché mondial. N'en déplaisent aux tribuns de la société civile, la transparence nous affaiblit plus qu'elle nous renforce dans le monde tel qu'il est aujourd'hui. Les économies les plus compétitives, celles justement qui nous prennent des emplois et des parts de marché, ont des dispositifs très élaborés pour qu'on ne puisse pas lire dans leurs stratégies offensives. C'est notamment le cas d'un pays libéral comme les Etats-Unis qui se garde bien de rendre accessible ces paradis fiscaux à une investigation du type "Panama papers". C'est aussi le cas de la Chine dont le régime autoritaire permet toutes les dissimulations possibles. La directive européenne est donc le début d'une prise de conscience de notre vulnérabilité dans notre manière de gérer l'information économique et financière. La priorité absolue pour tout Européen est de conserver ou de trouver du travail. Si la directive votée par le Parlement européen permet de mieux protéger notre patrimoine industriel afin d'atteindre cet objectif, elle est amplement justifiée. 

Certains de ses contradicteurs évoquent le fait que les lanceurs d'alerte, qu'il faut certes protéger, pâtiront de ce nouveau dispositif. Qu'en est-il réellement ? Leur rôle est-il vraiment beaucoup plus contraint ?

Il existe une grande différence entre la nécessité de protéger nos secrets vitaux dans la compétition économique mondiale et la volonté de certains de frauder le fisc ou de vivre de la corruption en cachant leurs méfaits. Aucune directive ne pourra assurer la protection des lanceurs d'alerte. Ils savent qu'ils sont dans un rapport de force et que le seul moyen d'en sortir vainqueur est de faire valoir le bien-fondé de la sincérité de leur démarche, notamment auprès des médias ou d'avocats non opportunistes à la hauteur de ce type de défi. Mais le lanceur d'alerte n'est pas la seule victime potentielle. Depuis que les Etats-Unis et la Grande Bretagne se sont dotés d'un arsenal juridique de lutte anticorruption, on constate que certaines des affaires instruites peuvent couvrir de véritables opérations de guerre économique. La pression psychologique assortie d'une forme de chantage juridique pour inciter un cadre à dénoncer un fait de corruption n'a plus grand chose à voir avec l'image idyllique du lanceur d'alerte. Il s'agit d'un pion sur un échiquier qui est utilisé pour déclencher une crise informationnelle afin d'affaiblir la position d'un groupe industriel ou même pour le racheter. La loi devient alors une arme pour affaiblir un concurrent. Pour illustrer mon propos, je n'arrive toujours pas à comprendre comment un cadre dirigeant d'Alstom a pu être incarcéré quatorze mois dans une prison de haute sécurité américaine sur le seul motif de ne pas avoir dénoncé une affaire de versement de commission. Et je m'explique encore moins la simultanéité de sa remise liberté au moment de l'annonce du rachat d'une partie des activités d'Alstom par General Electric.

Pour autant, à quoi cette directive ne répond-elle pas ? Les entreprises européennes sont-elles intégralement protégées juridiquement contre le vol de données ?

Cette directive ne couvre pas la problématique des informations "non dissimulées"... Qu'en est-il de la question, oh combien stratégique, du stockage des données et leur localisation. Contrairement aux Etats-Unis, les pays membres de l'Union européenne ne se sont pas donné les moyens de stocker leurs données et leurs connaissances. Les patronats nationaux et les grandes entreprises du CAC 40 nous font comprendre que c'est trop tard, que l'écart d'investissement avec les Etats-unis est trop important. Cette position est incompréhensible. Avec un tel mode de raisonnement, la Chine de 1978 ne se serait jamais lancée dans son effort de développement pour combler son retard sur les économies de marché du monde occidental. Autrement dit, le plus dur reste à faire. Notre principale vulnérabilité est la dépendance, en termes de technologies de l'information, que nous entretenons à l'égard de notre meilleur allié.

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