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Plus fort que Skype ou Facetime, avoir la sensation de toucher un vêtement (ou quelqu’un…) à distance, le chantier scientifique est ouvert
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Télékinésie ?

Une expérience allemande montre à quel point il est facile de leurrer le sens du toucher en jouant sur la complexité de la perception cognitive. Une meilleure compréhension de celle-ci permettrait d'engager une virtualisation du toucher en recréant la sensation tactile procurée par un objet.

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Atlantico : Comment fonctionne cette expérience allemande (voir ici) qui montre comment le cerveau peut être trompé sur la nature des sensations ?

Jean-Gabriel Ganascia : C'est la question de la sensation qui se pose ici. Dans cette expérience, on montre que de la même façon qu'une image, en grossissant sur le fond de la rétine, donne une sensation de mouvement, le fait de modifier l'élasticité d'une surface donne des sensations de toucher différentes de ce qui se passe dans la réalité. Avec les nerfs du toucher, une sensation a lieu, qui, si l'on effectue un petit déplacement, donne une sensation de pression quand il n'y en a, en fait, pas. Ce genre d'illusions sont multiples et très fréquentes dans notre quotidien, et ce qu'on essaye de faire aujourd'hui, c'est de les comprendre chacune, pour avoir une vision globale de nos capacités sensorielles et cognitives. 

Cette illusion sensorielle ouvre, selon le docteur Marc Ernst qui a travaillé sur l'étude, un nouveau champ de possibilités et de recherches autour de la réalité virtuelle. Alors que les premiers casques de réalité virtuelle visuelle sont commercialisés de nos jours, est-t-on en train de vivre les premiers pas d'une réalité virtuelle sensorielle ?

On essaye aujourd'hui de reproduire le mouvement des muscles, des nerfs. Ce qu'on appelle "réalité virtuelle" correspond en fait à une image virtuelle. Concrètement, quand on est derrière un miroir, on a le sentiment que l'ensemble des rayons lumineux proviennent d'un objet situé derrière ce miroir. Dans les faits, ce n'est pas ainsi que cela se produit : le miroir réfléchit la lumière. C'est le même mode de principe pour la réalité virtuelle : il s'agit de simuler la présence d'un objet quelque part. Pour la vision, c'est désormais quelque chose d'assez classique grâce à la synthèse d'image – que nous maîtrisons par ailleurs assez bien. Donner l'illusion est assez simple, dans la mesure où il suffit d'une image par œil. Le couplage des mouvements se réalise grâce à des algorithmes assez puissants que nous savons également faire. Là où la tâche se complique, c'est quand il s'agit de simuler les autres sens : c'est tout de suite beaucoup plus délicat. Pour l'ouïe, cela reste très imaginable, puisque le stéréo fonctionne bien. Ici, la difficulté vient du couplage son-image. En revanche, tout ce qui relève du mouvement reste plus difficile. On essaye de recréer cette sensation, les aspects tactiles, ceux liés à la vitesse… Il est possible de créer une interface qui permet de retrouver certaines de ces sensations et donc, in fine, de se repérer. Nous savons, par exemple, créer des capteurs à retour d'efforts. Aussi ténues soient ces choses, elles permettent de faciliter l'échange. Le retour d'effort tend à faciliter les gestes, comme c'est le cas dans le cadre du pilotage aérien : quand le manche d'un avion résiste un peu, il transmet des informations, il concrétise un geste.

Le docteur Marc Ernst affirme ainsi qu'on pourra toucher des objets à distance. Comment en arrive-t-il à cette prévision ? Comment une telle prouesse pourrait-elle s'effectuer ?

Ce qu'il veut dire, c'est qu'il serait possible d'avoir la même sensation en touchant l'objet qu'en le faisant à distance. Il est déjà possible de déterminer la température d'un objet, sa matière… Il s'agirait là de parvenir à recréer la sensation tactile procurée par l'objet. Ce genre d'expérimentations existe depuis un moment déjà, en vérité, même si elles sont encore en phase de perfectionnement. A Grenoble, on associe réalité virtuelle et musique, par exemple. On sait aujourd'hui que c'est tout à fait faisable et les applications que tout cela sous-entend sont vraiment très intéressantes.

Quelles seraient les applications possibles d'une telle innovation ?

On va d'abord commencer par perfectionner des choses qui existent déjà. Par exemple si on fait de la chirurgie, c'est une bonne chose d'avoir une sensation qui a un rapport réel avec ce que l'on fait, pour rendre facile l'interaction. C'est donc encourager l'action réciproque. Le numérique permet d'agir aujourd'hui, mais pas d'éprouver sensiblement le retour ; ce qui est perturbant parce que le lien entre l'action et l'interaction est dissocié. La cognition passe par de nombreux éléments et sensations qu'on essaye aujourd'hui de reconstituer pour les comprendre. 

Aujourd'hui, les expériences sur ces questions se multiplient dans ce but de rationalisation et d'adaptation. 

Ne peut-on pas s'inquiéter d'une généralisation et du perfectionnement des technologies de virtualité ? N'y a-t-il pas quelques dangers qu'on peut présupposer dans une utilisation déraisonnée de ces technologies ?

C'est une très vieille question. Dans les années 1990, on m'affirmait déjà que la réalité virtuelle nous enfermerait dans un caisson. La réalité virtuelle est un aspect ponctuel et ténu qui peut être très utile pour quelques actions particulières, comme la télé-opération par exemple. Mais aussi pour le jeu, ou la publicité ! Pour chaque application, il y a un kit de techniques appropriées, mais il me semble que le tactile est une excellente chose pour tout ce qui va être opération à distance et simulateur (de vol, de conduite …). Cela pourrait rendre beaucoup de services en monitorisant de nombreuses actions. Pour le jeu, cela ouvre la porte à énormément de possibilité ludiques ! Il y a aussi de nombreux débouchés économiques que l'on ne peut pas négliger. 

Ce qui est central dans la question de l'interface homme-machine est que l'on prolonge déjà les gestes avec des pads tactiles, des joysticks ou des souris. L'espace culturel de la machine doit être appréhendé. Chaque moyen de retrouver un mouvement demande évidemment un apprentissage et est plus ou moins adapté à telle ou telle action. La réalité virtuelle offre une nouvelle possibilité. 

Evidemment les questions d'usage demeurent : passer de la souris à la VR est difficile quand on sait que beaucoup de gens refusent le passage de la souris au trackpad

Quand on est passé du noir et blanc à la couleur, on a ouvert des nouveaux champs d''utilisation de l'image. Ici c'est la même chose, on ouvre des nouveaux champs d'utilisation de la manipulation. Cela ne veut évidemment pas dire que la version précédente est inutile, mais qu'on l'a augmentée en lui offrant des options supplémentaires et adaptées à d'autres situations. 

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