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L'administration Obama doit décider au mois de juin si les 28 pages classifiées concernant l'Arabie Saoudite dans le rapport rédigé par le Congrès américain au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 doivent être rendues publiques.
L'administration Obama doit décider au mois de juin si les 28 pages classifiées concernant l'Arabie Saoudite dans le rapport rédigé par le Congrès américain au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 doivent être rendues publiques.
©REUTERS/Sara K. Schwittek/File GMH/ME/HK

Pétrodollars

Les Saoudiens menacent de retirer leurs actifs des Etats-Unis si la résolution du Congrès visant à les poursuivre devant la justice américaine pour leur rôle dans les attentats du 11 septembre est adoptée. Pas de quoi affoler l'administration Obama, d'autant plus que l'Arabie Saoudite n'a aucun intérêt à se lancer dans un tel rapport de forces.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : L'administration Obama doit décider au mois de juin si les 28 pages classifiées concernant l'Arabie Saoudite dans le rapport rédigé par le Congrès américain au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 doivent être rendues publiques. Le Congrès souhaite adopter une mesure permettant de poursuivre l'Arabie Saoudite devant la justice américaine pour son rôle joué dans les attentats. En réaction, Riyad menace de retirer les 750 milliards de dollars d'actifs dont elle dispose aux Etats-Unis si la loi passe. Pourquoi l'Arabie Saoudite cherche-t-elle à bâillonner le Congrès américain ?  

Alain Rodier : Le rapport rédigé par le Congrès américain après les attentats du 11 septembre 2001 avait été écrit dans l’urgence. Il se basait sur des enquêtes du FBI et des services de renseignement américains (CIA, NSA, etc.) qui eux-mêmes avaient obtenu des bribes d’informations auprès des services étrangers. Comme 15 des 19 kamikazes étaient d’origine saoudienne, les organismes de police et de renseignement du Royaume avaient été fortement sollicités. La coopération, autant que je le sache, avait été exemplaire car on agissait alors dans le cadre d’une émotion -voire d'un traumatisme- bien compréhensible. Certains des terroristes étaient donc "bien connus des fichiers" saoudiens. C’est d’ailleurs ce qui a permis d’obtenir relativement vite des réponses aux questions fondamentales qui concluent une enquête : qui, où, quoi, quand, comment ? Et c’est peut-être là que le bas blesse ! Certains de ces terroristes étaient déjà connus, mais pourquoi ?

Quelles sont les craintes du pouvoir saoudien ? Dans quelle mesure les pages confidentielles du rapport pourraient-elles mettre en évidence une implication directe de la famille royale dans les attentats ? Quelles conséquences cela aurait-il pour l'Arabie Saoudite ?

Alain Rodier : Je ne pense pas que la famille royale saoudienne soit impliquée d'une manière ou d'une autre dans les attentats du 11 septembre. Par contre, il est tout à fait possible que ses services de renseignement aient fait des erreurs d’appréciation, surtout depuis les attentats de 1998 dirigés contre les représentations diplomatiques américaines de Dar es Salam et de Nairobi.

Pour comprendre comment cela fonctionnait, il convient de remonter un peu dans le temps.

Après l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques en 1979, il a été décidé par les Etats-Unis de s’opposer à ces derniers en utilisant une résistance intérieure -les moudjahiddines- soutenus depuis l’extérieur. Le Pakistan était la base arrière des rebelles et l’Arabie saoudite assurait la majorité des financements en s’appuyant sur les Frères musulmans alors encore en odeur de sainteté à Riyad. Oussama Ben Laden, jeune héritier pieux d’une puissante famille saoudienne, n’était qu’un "pion" dans les mains des services saoudiens qui le traitaient en direct (la légende de sa manipulation par la CIA est fausse. La centrale passait par l’intermédiaire de Riyad et d’Islamabad). Je dois dire que même le KGB et le GRU, les services de renseignement soviétiques très bien informés sur l’Afghanistan et pour cause, ne considéraient pas le jeune Oussama Ben Laden comme "très important". Il devait bien être présent sur leurs fiches comme un "logisticien", mais sans plus. Sa réputation de "combattant héroïque" a été construite de toutes pièces après le conflit par ceux qui le soutenaient (les Américains ont bien tenté pour leur part de lui attribuer une jeunesse de débauche à Beyrouth, ce qui était aussi totalement faux). Il ne se montrait alors pas particulièrement anti-occidental puisqu’il était certainement très au courant du rôle qu’il jouait dans le "grand jeu" de l’époque: la guerre qui allait mener l'URSS à sa perte, peu importe les moyens employés, en l'occurence, l'islam radical contre le communisme. 

Ce n’est qu’après le départ des Soviétiques d’Afghanistan en 1989 que les choses on commencé à se gâter. Ben Laden pensait être accueilli à Riyad avec les honneurs qui lui étaient dus mais, dans le domaine de la guerre secrète, la reconnaissance est la dernière chose qui existe . En 1991, l’Irak envahit le Koweït et menace directement le Royaume. Ben Laden se précipite au palais royal pour proposer ses services. "Enfer et damnation", la famille royale préfère recourir aux moyens des Américains impies qu’à ceux de ses volontaires fraîchement rentrés d’Afghanistan.

Il se met alors à comploter et s’exile au Soudan où Hassan al-Tourabi (mort en mars 2016) lui réserve un bien meilleur accueil. C’est là, au cours de différentes conférences et colloques internationaux qui réunissent tout le gratin de l’islam conquérant planétaire, qu’il fonde sa nébuleuse en apportant, en plus, ses bases de données où sont répertoriées les identités des moudjahiddines qui ont transité par le MAK (bureau d’aide aux réfugiés, une organisation de couverture des Frères musulmans pour aller combattre en Afghanistan). A noter qu’al-Qaida peut se traduire par "la base" en arabe. Ce nom a d’abord été donné par les Américains à cette organisation naissante. Washington inquiet de l’influence  grandissante de Ben Laden au Soudan demande aux Saoudiens qui viennent de lui retirer sa nationalité (tiens, une mesure qui a fait beaucoup débat en France ! ) d’intervenir. Il aurait très bien pu être exfiltré du Soudan comme l’a été Carlos en 1994 par la DST mais il semble qu’il ait bénéficié d’une certaine mansuétude des Saoudiens qui sont intervenus en sa faveur en raison des services rendus, pour le laisser rejoindre en famille l’Afghanistan en 1996.

Surviennent les attentats de 1998 dans la corne de l’Afrique et Ben Laden est formellement identifié comme le commanditaire. Les Saoudiens ne font rien contre l’apatride qui coule des jours heureux en Afghanistan. Et c’est là que se trament les attentats du 11 septembre. S’il est évident que ce n’est pas Riyad qui a organisé ces attentats, il est difficile d’imaginer que les services de renseignement saoudiens qui ont une bonne réputation d’efficacité et qui suivaient le trublion à la trace depuis son échappée soudanaise, n’aient rien vu venir.Par contre, l’information est remontée jusqu’à quel niveau ? C’est peut-être là le sujet des pages du fameux rapport mises à l’index.

Pour un pouvoir absolu comme celui de Riyad, c’est perdre la face que de reconnaître qu’il était au courant et qu’il n’a rien fait ou, pire encore, qu’il n’était pas au courant. Cela démontrerait un sacré dysfonctionnement au sein des institutions sécuritaires du royaume. La réputation de la famille royale actuellement à la tête de diverses coalitions au Yémen, en Syrie ou contre le terrorisme serait mise à mal. Il y a actuellement une intense lutte de pouvoir à Riyad dont personne ne connaît l'issue. Les dirigeants actuels n'ont donc aucun intérêt à ce que la polémique perdure.

L'administration Obama tenterait, selon le New York Times, de repousser l'adoption de la résolution par le Congrès, craignant des retombées économiques et diplomatiques si l'Arabie Saoudite mettait ses menaces à exécution. Qu'est-ce que cela traduit de l'influence de l'Arabie Saoudite aux Etats-Unis ? 

Thierry Coville : La menace de l'Arabie Saoudite de transférer hors des Etats-Unis 750 milliards de dollars de bons du trésor américain ne semble pas en mesure d'affoler le gouvernement américain. Certes, c'est une faiblesse structurelle de l'économie américaine d'avoir une balance courante structurellement déficitaire. Cela oblige les Etats-Unis à financer ce déficit en attirant des capitaux de l'étranger. De ce fait, les Etats-Unis sont en situation de "dépendance" vis-à-vis de cette épargne étrangère. Ainsi, le fait que l'essentiel des réserves en devises de la Chine (plus de 3 trillions de dollars) soit placé en bons du Trésor américains met la Chine dans un rapport de forces favorable, en termes géopolitiques, avec les Etats-Unis.

Toutefois, si jamais l'Arabie saoudite, transférait tous ces avoirs, cela n'aurait qu'un impact très minime sur l'économie américaine. Ces 750 milliards ne représentent que près de 1 % de l'ensemble des actifs financiers (actions et obligations). De plus, ces ventes de dollars ne seraient pas de nature à déstabiliser la monnaie américaine compte tenu des transactions journalières impliquant le dollar (4 trillions). De telles ventes pourraient avoir un impact sur le marché des bons du Trésor puisque cela représenterait 5% du montant des bons du trésor actuellement détenus. Cependant, la Réserve fédérale peut toujours décider d'acheter ces bons du Trésor pour que cela n'ait pas d'impact sur le marché.

La situation serait différente si l'on était dans un contexte de défiance vis-à-vis de l'économie américaine. Or, c'est le contraire aujourd'hui. Il y a beaucoup d'incertitudes sur la capacité des pays émergents (Chine, Brésil, etc.) à maintenir ou retrouver un fort taux de croissance. Les perspectives sur la zone euro n'incitent pas à l'optimisme ...L'économie américaine apparaît comme le moteur de l'économie mondiale.

Enfin, réaliser une telle vente de la part de l'Arabie Saoudite serait ressentie comme une "attaque" par les Etats-Unis. Or, l'Arabie Saoudite reste très dépendante des Américains pour sa sécurité. L'Arabie Saoudite ne gagnerait pas grand chose à se lancer dans un tel rapport de forces ...

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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