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Et si la décennie perdue lors de la crise avait pulvérisé le potentiel de croissance économique des pays développés
©Sebomari.com

Décalage

Olivier Blanchard et les autres n’ont pas complètement tort : il faudrait faire des réformes de moyen-long terme, car une partie de la crise est devenue structurelle à force de ne pas avoir colmaté les brèches dans la conjoncture : sauf que je ne vois pas bien comment financer ces réformes.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Olivier Blanchard avait proposé il y a quelques années de passer à un objectif d’inflation temporairement supérieur, à 4%/an, pour en finir rapidement avec la crise (cela supposait en effet une vigoureuse détente monétaire) puisque les effets dits d’hystérèse dépendent crucialement de la durée de la crise (on pense en particulier à la perte de qualification des chômeurs), pour ne pas se laisser piéger par le poids des dettes, et en quelque sorte pour re-crédibiliser l’objectif autour de 2%/an car après la déflation de 2008-2009 la symétrie supposait un régime monétaire temporairement plus laxiste, un peu dans l’esprit dit du price level targeting.

Bien entendu, cette proposition était assez maladroite, très inférieure à l’idée de Scott Sumner d’une cible de croissance du PIB nominal : car elle donne l’impression que l’on traite l’inflation comme une chose positive (alors que c’est l’activité que l’on souhaite, les revenus, et non la hausse des prix par elle-même), car on ne sait jamais très bien ce que signifie « temporaire » (avec le risque qu’il s’inscrive dans l’éternité du provisoire qui dure), et aussi au passage car avec cette idée nous resterions tous les prisonniers d’une mesure dysfonctionnelle, viciée et vicieuse, de l’inflation (en zone euro, l’indice des prix à la consommation, la plus foireuse mesure possible du phénomène, qui se situait encore à près de 4% sur douze mois à la fin de l’été 2008, quand la crise faisait déjà rage).

>>> A lire aussi : Croissance en berne, stagnation des revenus, angoisses et populisme en hausse… et si l'explication était limpide : le monde a trop de travailleurs (mais voilà ce qu'on peut faire)

Mais au moins Blanchard provoquait le débat, de même que d’autres économistes que l’on ne peut pas accuser de dérives pro-inflation, en particulier Ken Rogoff : le champion du monde des banquiers centraux conservateurs (son article de 1985 fait froid dans le dos quand on le relit de nos jours dans un monde sans inflation…) appelait lui aussi à une inflation de 4%/an pendant quelques années, pour ne pas entraver le processus nécessaire de désendettement. Ces auteurs à l’époque ont tous été moqués, dénoncés et à vrai dire descendus en flammes par tout ce que le monde des apparatchiks du central banking compte de séides, d’idiots utiles et de journaleux aux ordres : souvenez vous de la réaction épidermique de la Bundesbank et de la BRI et de certaines officines parisiennes (réaction que l’on retrouvera par exemple en 2011 pour monter les taux BCE et provoquer ainsi une méga-crise, et que l’on retrouvera en 2012 contre les initiatives « hétérodoxes » de la Hongrie puis du Japon, initiatives que la BCE devra ensuite bien prendre une trentaine de mois plus tard). Aujourd'hui, on s’aperçoit que les économistes avaient raison et que les bureaucrates, nos Gamelin de la politique monétaire, avaient tort. Avec un QE plus précoce et plus massif, et/ou une dévaluation plus franche, nous n’en serions pas là, pas avec une inflation nulle sur l’ensemble de 2015 ET de 2016 en zone euro (et au fond très loin de l’objectif depuis 8 ans), pas avec des banques en pleine japonisation, pas avec autant de chômeurs et avec autant de dettes. Blanchard devrait donc enfoncer le clou, poursuivre dans sa logique victorieuse, et aller jusqu'au bout : réclamer une refonte statutaire et managériale de la BCE, militer pour une remise des dettes, raccrocher aux idées de Scott Sumner, débattre de la « monnaie hélicoptère ».

Eh bien non. Dans son dernier texte, Olivier Blanchard fait plutôt un pas vers les idées structuralistes de ceux qui ont eu tout faux depuis 8 ans. Est-ce lié à son rôle quasi « institutionnel » (il était le chef économiste du FMI de fin 2008 à fin 2015, et l’on sait le rôle que le Fonds accorde aux réformes structurelles) ? Ou à une conversion aux idées très en vogue de « new normal » ou de « stagnation séculaire » ? Ou à un agenda plus politique, à un an d’échéances majeures dans son pays d’origine (on se souvient qu’en 2012 cet homme de gauche avait été très critiqué pour avoir soutenu la droite alors que tous ses collègues se vautraient dans un hollandisme salonard et arriviste) ? Olivier Blanchard met désormais l’accent sur la démographie (vieillissement) et sur la diminution (plus que cyclique) des gains de productivité, ce qui le conduit certes à rappeler ses vieux articles sur les effets d’hystérèse, mais ce qui le conduit surtout à un discours prêchi-prêcha sur les réformes (sans trop de précisions) : la question de la détente monétaire est désormais évacuée, au motif qu’elle aurait déjà eu lieu, et dès lors les initiatives nouvelles (monnaie hélicoptère, taux très négatifs) sont reléguées à un futur hypothétique (« au cas où des mauvaises choses arriveraient » : ah bon, je croyais naïvement que les mauvaises choses étaient encore là). Comment un esprit de grand standing comme Blanchard peut-il dire que la crise de demande agrégée est derrière nous, comme un vulgaire Hollande pour qui la reprise est bien installée ?

Une partie du décalage vient de ce que Blanchard s’exprime ici à une échelle très globale, qui inclut sans doute le monde anglo-saxon et l’Europe hors zone euro, qui vont beaucoup mieux que nous : les 5 ou 6 millions de chômeurs en France ne sont pas une norme universelle, le monde entier ne subit pas la double coventrysation du Parti socialiste et de la bombe à neutrons qu’est l’euro. Une autre partie du décalage s’explique peut-être par l’ADN économique de Blanchard, penseur du MIT et donc néo-keynésien, le genre saltwater : un courant de pensée où très souvent la politique monétaire s’arrête lorsque les taux arrivent à 0% (alors qu’en fait elle commence précisément à ce moment là).

Enfin, Blanchard et les autres n’ont pas complètement tort, il faudrait en effet faire des réformes de moyen-long terme, car une partie de la crise est devenue structurelle à force de ne pas avoir colmaté les brèches dans la conjoncture : sauf que je ne vois pas bien comment financer ces réformes avec si peu de croissance, avec un euro si cher, avec un tel surplomb de dettes privées et publiques, et avec des taux si faussement accommodants. Blanchard pense peut-être à des initiatives budgétaires, sauf que cette voie est une impasse en France, pays déjà trop dépensier. Quant au marché du travail, on voit bien qu’il est très compliqué de le reformer : quand une vague proposition constructive est avancée, elle se transforme vite en une nouvelle taxation des CDD (de façon à ce que les jeunes soient plus surement et plus souvent chômeurs).

Blanchard à Boston ne se coltine pas la CFDT et la CGT, et ça se voit. J’espère qu’il ne se transformera pas en un de ces universitaires-à-vie parisiens qui réclament une libéralisation pour tout le monde sauf pour eux, en solidarité avec les banquiers centraux ultra-protégés qui dénoncent le rôle des protections en pleine crise monétaire. Ils me font penser aux militaires pétainistes qui soulignaient le rôle de l’esprit de jouissance dans la défaite de 40, là où tout était lié à la nullité analytique de l’état-major c'est-à-dire d’eux-mêmes. Il flotte comme un air de capitulation ces derniers temps, entre ceux qui capitulent sur les 2%/an, ceux qui capitulent façon Japon des années 90 à propos de la croissance (« la démographie, ma bonne dame »), et puis toute cette macroéconomie de bazar où la politique monétaire, sous prétexte qu’elle n’est pas comprise, est remisée ou traitée comme dangereuse et belliciste comme jadis les chars et l’aviation. Blanchard vaut beaucoup mieux que ces gens, et même s’il n’est pas friedmanien il a tout de même plus pratiqué l’économie que Patrick Artus : c’est pourquoi je ne suis pas trop inquiet, il se convertira d’ici peu à l’idée d’une vraie détente monétaire (après l’échec de Juppé fin 2017 ? après un nouvel échec de la Troïka en Grèce ou ailleurs ?).   

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