Finira-t-on par trouver le statut juridique permettant aux créateurs de jeux vidéos de percevoir des droits d'auteur ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Super Mario Bros, ancêtre des jeux vidoés, qui représentent, dans certains pays comme la France, des marchés considérables.
Super Mario Bros, ancêtre des jeux vidoés, qui représentent, dans certains pays comme la France, des marchés considérables.
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Justice numérique

Un rapport parlementaire a été remis au ministre de la Culture afin de sécuriser le cadre juridique et favoriser le régime du droit d'auteur des jeux vidéo. Mais beaucoup de points restent encore à préciser...

Antoine Chéron

Antoine Chéron

Antoine Chéron est avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC, fondateur du cabinet ACBM.

Son site : www.acbm-avocats.com

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Le marché du jeu vidéo français pourrait atteindre 3,8 milliards d’euros en 2014. Néanmoins cette expansion se réalise dans des conditions juridiques imprécises. De fait, la nature du jeu vidéo et son régime restent incertains.

C’est la raison pour laquelle le Premier Ministre François Fillon a missionné le Député Patrice Martin-Lalande pour analyser une éventuelle qualification du jeu vidéo et porter une réflexion sur la nature de "l’œuvre" au regard du processus de création.

Le Rapport revient, tout d’abord, sur les hésitations jurisprudentielles de ces dix dernières années en rappelant qu’à l’origine, le jeu vidéo était défini comme un simple "logiciel"[1]. Cependant, cette notion est très vite apparue comme trop étroite afin d’appréhender la complexité du jeu vidéo car ce sont de véritables univers graphiques qui sont créés.

Le régime de l’œuvre collective[2] s’est également avéré insatisfaisant. Effectivement il n’est pas adapté lorsque l’éditeur fait appel à des créateurs indépendants. En outre, pour qu’une œuvre soit qualifiée de "collective", les participations individuelles de chacun des contributeurs doivent être impossibles à distinguer. Or, dans la majorité des cas, cette condition n’est pas remplie.

Récemment, la Cour de Cassation, après plusieurs décisions dans ce sens[3], a tranché dans un arrêt CRYO[4], en faveur de l’œuvre de collaboration. Cet arrêt consacre l’idée que plusieurs régimes juridiques ont vocation à s’appliquer au jeu vidéo, selon la composante à laquelle il est rattaché (images, scénario, musique, etc.). Ainsi le régime du logiciel sera appliqué aux programmateurs et celui du droit commun sera appliqué aux autres contributeurs[5].

  • L’hermétisme du secteur aux principes du droit d’auteur

Le Rapport souligne que la majorité des professionnels n’applique pas les principes dégagés par la jurisprudence.

En effet, rare sont les contributeurs qui perçoivent une rémunération spécifique pour l’exploitation de leur création. Certains studios continuent d’ailleurs à considérer le jeu vidéo comme un logiciel, ce qui les soustrait à l’obligation de solliciter une cession de droits d’auteur. D’autres se réfugient derrière le régime de l’œuvre collective, ainsi les droits leurs sont dévolus automatiquement.

En outre, le Rapport signale que les éditeurs renâclent à faire appel aux auteurs français pour composer les musiques des jeux vidéo sous prétexte que les royautés exigées par les sociétés de gestion collectives sont trop élevées.

Enfin, les prérogatives du droit moral sont le plus souvent ignorées par les studios.

  • Les propositions d’aménagement du cadre juridique en faveur du jeu vidéo

Le rapport conclu à l’inutilité de la création d’un régime juridique sui generis pour le jeu vidéo. Il prône l’adaptation du régime existant à la spécificité du jeu vidéo. Cette solution est pertinente car les dispositions du droit d’auteur sont assez souples pour permettre de couvrir de nouvelles créations.

Afin d’adapter le cadre du droit d’auteur existant, le Rapport préconise, tout d’abord, la modification de l’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle afin d’y insérer le jeu vidéo comme "œuvre de l’esprit". Cette mesure semble anecdotique puisque l’article L.112-2 n’est pas limitatif, mais elle est symbolique car destinée, selon nous, à signaler aux professionnels du secteur qu’ils doivent reconnaître les droits de leurs contributeurs.

D’autre part, le Rapport prévoit la nomination d’un Médiateur pour mener des négociations avec les acteurs du jeu vidéo afin de définir qui sont les auteurs susceptibles d’être titulaires de droits d’auteur. Les auteurs d’ores et déjà reconnus, selon le Rapport, sont le lead gamedesigner, le directeur artistique, le compositeur de la musique spécialement réalisée pour le jeu vidéo et le scénariste. Cependant d’autres acteurs pourraient revendiquer des droits, comme par exemple le joueur lui-même qui dans des jeux "ouverts" transforme l’univers du jeu.

Les négociations auraient également pour finalité de définir le mode de cession des droits au bénéfice des studios.

Il est regrettable que le Rapport ne tranche pas lui-même ces questions, après avoir si clairement identifié les difficultés rencontrées par les acteurs du secteur.

En effet, la position de la Cour de cassation dans l’arrêt CRYO constituait, selon nous, une opportunité à saisir pour établir les bases du régime applicable au jeu vidéo selon le principe de l’œuvre de collaboration.

Les créateurs et studios de jeux vidéo devront donc encore attendre avant de pouvoir faire pencher la balance en leur faveur face aux éditeurs.



[1] CA, Caen, ch. Corr. 19 dec 1997, Annie T. c/ Valérie A. ; Cass, crim, 21 juin 2000, n°99-85.154

[2] CA Versailles, 13e ch. Corr. 18 novembre 1999, jurisdata 1999-133033

[3] Ca Paris, 4e ch, sect B, 2 avril 2004 ; CA Paris, 3e ch. Sect B, 20 septembre 2007

[4] Cass, 1ere civ, 25 juin 2009, n°07-20.387

[5] CA Paris, 26 septembre 2011, Pôle 5 ch. 12, 

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