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Kaboul, une ville tout droit sortie d’un conte des Mille et une nuits
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Prof en Afghanistan

Dans un livre témoignage, Philippe Richetto raconte une année de travail en tant que professeur de français à Kaboul et décrit objectivement le triste quotidien d'une population prise en otage par un conflit sans fin (Extraits 2/2).

Philippe Richetto

Philippe Richetto

Philippe Richetto est écrivain.

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Au premier abord, Kaboul paraissait moins dangereuse que je ne me l’étais imaginé. En ville, il n’y avait pas de militaires français ou étrangers, ils étaient tous consignés dans leurs camps respectifs vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à quinze kilomètres du centre-ville. Seuls les policiers afghans, fort nombreux au demeurant, assuraient la sécurité de la capitale.

La ville était étrange, noire de monde, brune de poussière et ravagée par la succession de conflits qu’elle subissait depuis une trentaine d’années. Immense cuvette entourée de montagnes, elle était jonchée de collines qui s’élevaient anarchiquement en son centre, tout en imposant de longs détours en gymkhanas pour rallier les différents quartiers.

Encerclé de grandes murailles aux pics éternellement enneigés, ce relief bosselé de collines revêtait la même teinte ocre que les maisons en briques et torchis à un étage qui parsemaient leurs flancs telles les favelas brésiliennes. Dans les rues du cœur de la capitale régnait une circulation complètement anarchique, malgré l’énorme densité de policiers armés et la poussière des rues qui ressemblaient plus à des pistes de terre tellement elles étaient défoncées et mal goudronnées.

Dans cet environnement brun jaune, une mosaïque de couleurs s’offrait aux yeux, comme si le décor voulait conjurer l’obscurantisme d’une succession de conflits. Les hommes, presque tous barbus, quand ils ne portaient pas l’uniforme, étaient vêtus du costume traditionnel, un pantalon ample style « pyjama », blanc ou clair, qui était assorti à une longue chemise en queue de pie dans les deux sens souvent portée sous une veste, un blouson ou un gilet de safari (militaire, avec pleins de poches). La grande différence tenait dans la coiffure. Ils portaient le pakol [1] de laine gris ou marron, la chechia [2] blanche ou (et) le keffieh [3] bicolore. Quelques Sikhs, enturbannés de noir, affichaient des tuniques
vives et chatoyantes. Tous étaient très curieux à notre passage, certains, avec des regards ou même des gestes amicaux, d’autres complètement inexpressifs et quelques-uns même, plus rares, étaient hostiles et nous injuriaient en crachant par terre à notre apparition.

Évoluant discrètement au milieu de ce monde de mâles, des burkas bleu ciel ne faisaient que donner une touche colorée à un paysage tout droit sorti d’un conte des Mille et une nuits. Dans les bazars et marchés qui fleurissaient partout où l’espace était vacant, c’était un déballage d’échoppes, de vendeurs ambulants, chariots-commerces et voitures à bras qui livraient tout et n’importe quoi à n’importe qui ! Curieusement, on croisait beaucoup de brouettes ; une petite voiture à bras qu’on poussait au lieu de tirer ; un petit diable qui s’arrêtait, se posait et servait même de fauteuil ambulant !

Les étals étaient bien achalandés en fruits, tissus et tapis. Pour le reste ; objets domestiques et électroménagers, plastiques criards et multicolores, c’était tout du « made in China » ou Pakistan avec la fâcheuse manie d’être, soit de la camelote pour les premiers, soit, de tomber très vite en panne pour les seconds (pardon à mes ami(e)s chinois(e)s). Les boucheries, qu’on repérait à la concentration de mouches, n’avait ni chambre froide ni glacière. Les carcasses des animaux égorgés pendaient à des crochets devant la boutique et, bien souvent, attaché près de ses congénères, un mouton vivant attendait tristement son tour et son crochet. Tout autour, les voitures se faufilaient entre les passants qui marchaient au milieu des carrefours comme s’il s’agissait de rues piétonnières. Certains débarquaient de la campagne profonde avec leurs troupeaux de chèvres ou leur âne chargé de produits frais. Parmi toute cette foule, une pléthore de mendiants, dont une multitude d’enfants des rues.

***

[1] Chapeau afghan en laine, en forme de galette, rendu célèbre par le commandant Massoud.
[2] Coiffure en forme de calotte
[3] Coiffure formée d'un carré de tissu plié en triangle. À Kaboul, quelle que soit la coiffure, les hommes sont munis de ce tissu qui leur sert à la fois de foulard, d’écharpe mais aussi de serviette et de mouchoir !

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Extraits deUn an en Afghanistan ou les Tribulations d'un Prof de Français a Kabou, L'Harmattan (26 décembre 2011)

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