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Projet de loi égalité et citoyenneté : l'ère des réponses gadgets à des fractures politiques pourtant bien réelles
©wikipédia

Inconséquence

Ce mercredi 13 avril, le conseil des ministres doit examiner le projet de loi égalité et citoyenneté. Si l'idée générale, qui vise à lutter contre l'exclusion, est indéniablement une bonne chose ; le public cible est déjà intégré... et l'opération ne sera qu'un grand coup d'épée dans l'eau, nos politiques demeurant loin de cerner le problème.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Création d'un congé d'engagement, possibilité d'effectuer un service civique dans le secteur public, reconnaissance de 'l'engagement étudiant… En quoi les différentes mesures prévues par la loi Egalité et citoyenneté, à l'ordre du jour ce mercredi 13 avril, vont-elles réellement aider les jeunes les plus fragilisés? Ne se focalisent-elles pas plutôt sur des jeunes d'ores et déjà intégrés ? Quel est l'objectif de cette loi et dans quelle mesure le remplit-elle réellement ?

Guylain Chevrier : On insiste sur la volonté de répondre, avec cette loi, à une situation de mal-être social chez les jeunes, et d’inquiétude de notre société au regard d’une partie d’entre eux, qui apparaissent comme ne se reconnaissant plus en elle. On pense à ceux qui ont perturbé dans les établissements scolaires la minute de silence suite aux attentats de janvier 2016, ces jeunes en mal-être social et identitaire, révélant ce que l’on savait déjà mais que l‘on déniait, qu’une partie de la population des quartiers en difficulté est en situation de détachement de nos principes communs, de la République. Une réalité particulièrement mise en relief derrière ce qui a été désigné par le Premier ministre, pour frapper les esprits, comme des quartiers connaissant "un apartheid territorial, social et ethnique", ou encore,  à travers les propos tenus récemment par le ministre de la ville, Patrick Kanner, parlant de l’existence en France d’une centaine de quartiers pouvant présenter des "similitudes potentielles" avec Molenbeek.

Aussi, la question qui est posée, est de savoir si on répond effectivement à cette réalité, et comment on va pouvoir prévenir le risque d’un basculement dans la radicalisation. Ce qui est proposé là n‘est pas à la hauteur de ce défi, à travers des mesures qui s’adressent en réalité à ceux qui ne sont pas touchés par ce risque, ou sont les plus éloignés de celui-ci. Qu’il s’agisse de l’extension d’"une réserve citoyenne", qui doit permettre l’existence d’une armée de bénévoles pour "répondre à des crises urgentes", telle des catastrophes naturelles et donc, déjà capable d’être animés par l’idée de grande cause, de la création d’un "congé d’engagement" se définissant comme un droit imposable de six jours fractionnables par an, pour se consacrer à l’engagement associatif, ou encore, de l’extension du "service civique" conçu comme une "digue à la radicalisation", devant passer de concerner aujourd’hui environ 100.000 jeunes à 350.000 demain. Des propositions qui vont avoir un écho auprès de jeunes qui, déjà, sont donc dans l’état d’esprit de s’en saisir. Celles-ci constituant d’ailleurs un ensemble assez hétéroclite.

Certes, cela peut éviter que ces jeunes se rapprochent du risque de radicalisation, mais quid des autres, les principaux concernés, ceux qui sont déjà en risque, loin de tout sentiment d’adhésion à la République, voire qui la rejettent en bloc ? Ceux qui considèrent par exemple que la nationalité française, qui leur a été donnée par leur naissance en France, n'a aucune valeur à leur yeux, tel que le reportage de la série Infrarouge a pu récemment le dévoiler (intitulé "Les Français, c’est les autres" et diffusé le 3 février sur France 2), en montrant des élèves de collège tenir un discours de déni de tout sentiment d’appartenance à notre communauté nationale, et revendiquant un droit à la différence comme supérieur à toute mise en commun de normes et de valeurs. Où prend-t-on en compte dans cette loi la fracture culturelle, religieuse, dite ethnique, le loupé de l’intégration des enfants de l’immigration qui peut être révélé derrière cette situation ?

On peut s’inquiéter de voir ressortir dans ce contexte, la question de la dépénalisation du cannabis par la majorité gouvernementale, qui interroge sur le signe qui entend être donné là, à la fois aux jeunes qui font contre la loi El Khomri les "nuits debout" un peu partout en France, et ceux des quartiers qui ne sont pas nécessairement les mêmes. Un signe qui est celui de la légalisation d’une manifestation néfaste de leur désespérance, alors que ce qui est en jeu est de l’ordre de la capacité d’une société à être porteuse d’un idéal qui les valorise, et non les encourage dans des petits plaisirs artificiels à défaut de trouver dans la réalité du grain à moudre pour vraiment exister. On en reste un peu sidéré !

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Réduire l'indispensable lutte contre l'exclusion à une telle loi ne revient-il pas à poser un cataplasme sur une jambe de bois ? Que traduit-elle du constat et du bilan que nos politiques dressent de la radicalisation d'une partie croissante notre société ?

Evidemment, on a le sentiment avec ces propositions que l’on pense pouvoir résoudre une situation d’une gravité extrême avec des dangers potentiels considérables, par des mesures qui ne seraient que des compléments à l’existant, qui ne constituent en aucun cas un changement de nature dans l’engagement de l’Etat avec les politiques passées, qui n’ont pas réglé le problème.

La critique que font les bailleurs sociaux dans l’accueil de cette loi, nous éclaire particulièrement. Cette loi a été conçue dans l’esprit de redonner une dimension forte au credo de la mixité sociale en matière de politique de la ville. Pour autant, les bailleurs sociaux posent la question de savoir comment on entend redonner envie aux classes moyennes, voire aux populations d’origine européenne, de réinvestir des quartiers qu’ils ont abandonnés? Il n’en va d’ailleurs pas seulement d’une débauche de moyens de réaménagement tous azimuts, mais du recul d’un phénomène de communautarisation de certains quartiers, qui est un repoussoir à cette dynamique. Le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, qui s’affirme à travers les manifestations ostensibles d’appartenance à un groupe à caractère religieux, qui domine nombre de quartiers de nos banlieues aujourd’hui, est en totale opposition avec l’idée de mixité et donc, un obstacle à l’un des buts affichés, problème pourtant ignoré par ce projet de loi. On ne préviendra pas le risque de radicalisation sans en passer par mettre en jeu cette question de l’ouverture à l’autre, qui est à l’opposé d’une forme de religion qui enferme, qui fait passer les valeurs religieuses et/ou culturelles avant celles de la République. Une réalité de plus, qui a été encouragée par des pratiques de clientélisme politico-religieux, vis-à-vis desquelles le déni est parfois total là où les problèmes sont les plus graves. On a récemment vu, en réponse à des témoignages comme ceux de Nadia Rémadna, de la Brigade des mères, dénonçant le laisser-faire de certains élus pour acheter la paix sociale dans les quartiers en Seine-Saint-Denis, une initiative prise, dénommée "Observatoire de la fraternité", être dans un déni total de cette réalité de certains quartiers. Un déni qui ne suffira pas à conjurer le pire.

Il en va d’une réponse globale à apporter à ces quartiers, où les élus soient incités par la loi à une politique de la ville qui intègre la promotion des valeurs de la République, en ne cédant rien sur nos principes communs, nos valeurs. Des principes et des valeurs qui inspirent d’ailleurs les politiques de cohésion sociale, de lutte contre les excusions qui mettent en œuvre des moyens considérables, dont on ne peut faire reconnaitre la valeur qu’à la condition de nourrir l’aspiration à faire société ensemble. Redonner aux élus un rôle majeur, c’est les rétablir dans leur rôle démocratique, tant mis à mal au travers de la crise du politique et de ses fractures.

Quelle réponse apporter à cette fracture identitaire, morale et religieuse, pour proposer une alternative au communautarisme ? Comment revenir sur les territoires perdus de la République qui s'ancrent dans son rejet ?

L’égalité et la  citoyenneté, ce sont des mots forts, même très forts, de haute exigence. Ils résonnent de principes communs, de droits, de libertés, mais aussi de responsabilités, de devoirs qui sont loin d’être partagés par l’ensemble de notre société et spécialement par l’ensemble des jeunes. Nos droits et libertés ne sont pas qu’un bien de chacun, individualiste, mais aussi un bien commun dont nous avons tous la responsabilité, ce qu'on a laissé tomber dans l’étranger depuis bien trop longtemps, à la faveur de chacun sa différence.

Il y a des problèmes qu’une fois de plus, on refuse d’énoncer et donc à tout problème mal posé, la réponse ne peut être qu’incomplète, voire biaisée. Il manque l’affirmation d’un modèle commun autour duquel s’articulent des propositions susceptibles de s’attaquer à ce problème, au lieu d’une politique que j’appellerai par touches. Restaurer la cohésion sociale, une société ressentie comme un bien dont nous nous sentions ensemble responsables, passe par le courage de dire le vrai, en ne s’arrêtant pas en chemin qu’au constat pour atterrir sur du déjà vu, fut-il élargi. Les réponses à apporter qui manquent à cette loi ressortent d’un projet de société contenu dans la République elle-même, qui reste à réaffirmer, en alliant promotion des valeurs et principes de notre République avec la prévention de la radicalisation, dans tous nos territoires, sans quoi il n’y aura pas de reconquête de certains territoires perdus où le danger couve.

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