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Révolution épicière : Amazon va-t-il tuer tous les petits commerces de proximité avec sa livraison de produits frais à domicile ?
©Pixabay

Dring dring !

Après des années de test de son programme "Amazon fresh" dans sa ville natale de Seattle, Amazon a commencé à élargir son service de livraison de nourriture à d'autres villes. Aujourd'hui, l'entreprise livre des fruits frais et de la viande à New York, au New Jersey, en Pennsylvanie, au Connecticut et à la Californie. Pas sûr que les petits commerces français du coin français résistent à une telle initiative si elle se développe en France.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Si Amazon développe ce système de livraison de nourriture à domicile en France, pensez-vous que cette entreprise soit capable de "tuer" nos épiciers du coin ?

Christophe Benavent : A long terme, le commerce de proximité sera véritablement menacé s'il ne prend pas d'initiative forte en matière de digitalisation et de maîtrise des nouveaux services de livraisons à domicile.

A court terme, la réponse est moins évidente. Et cela pour trois raisons.

La première est ce qu'enseigne l'expérience américaine, il va falloir beaucoup de temps pour que Amazon puisse déployer son réseau, même au Etats-Unis, où "Amazon fresh" a démarré en 2007.

La seconde raison, c'est que l'épicier du coin est mort depuis longtemps : quand les petites surfaces alimentaires représentaient un tiers des ventes en 1980, elles n'en représentent que 7 ou 8% depuis 2003. L'épicier du coin d'aujourd'hui n'est que le dépanneur, et ce n'est pas Amazon qui va les concurrencer quand on a besoin d'acheter une bouteille de vin pour les amis qui sont arrivés de manière impromptue.

La troisième raison est que les grandes marques de superettes dans les centres urbains vont très certainement offrir des alternatives avec la transformation des services de livraison. Même si le e-commerce en général connait une croissance forte, il ne représente qu'une petite part du commerce, de l'ordre de 5% à peu près.

Quelles autres types d'entreprises le service de livraison de nourriture à domicile d'Amazon pourrait-il menacer ?

C'est clairement l'hypermarché et le supermarché qui est menacé. Pas tellement par une concurrence frontale, mais par l'érosion de leur marge. Les produits frais sont des produits d'appels qui entrainent des achats corolaires de produit à plus forte marge, ce qu'on appelle le bazar. Les consommateurs qui basculeraient vers l'achat à distance de produits frais seront perdus aussi pour l'ensemble des autres produits. Dans une industrie où la marge commerciale est faible (quelques %), même une part de marché faible peut avoir des incidences financières fortes.

Il faudra naturellement nuancer les choses selon le milieu : l'environnement urbain est celui où le e-commerce pénètre le plus, notamment parce qu'il concentre une population dont la taille des foyers est plus faible, et dont l'appétence pour le e-commerce est la plus importante. C'est aussi celui où la logistique est plus facile à mettre en place.

L'épicerie fine est aussi menacée ainsi que le bio pas tant par les produits frais, mais parce que les consommateur qui acheteront du frais par ce moyen seront naturellement tentés par d'autres produits hauts de gammes : foie gras, fromages affinés, vins, jambon bellota, etc. C'est déjà le cas en France avec une offre de 30 000 références. Cette menace peut cependant être attenuée par un engagement plus prononcé dans le e-commerce, voire même en ouvrant des boutiques au sein de la plateforme Amazon : n'oublions pas qu'Amazon, c'est surtout une "marketplace" avant d'être un commercant.

Amazon n'est pas le seul acteur à se positionner sur le secteur de la livraison de nourriture à domicile. Les spécialistes parlent même de "Delivery revolution". Pouvez-vous expliquer ce phénomène ?

Effectivement, on voit apparaitre depuis peu (moins de deux ans), une prolifération d'initiatives et d'innovations dans le domaine de la livraison. Une des plus récentes et des plus marquantes est celle de Uber Eat, mais les Parisiens ont remarqué la prolifération des vélos de Deliveroo. Toute une série de plateformes émerge dans le monde et en Europe : Hero delivery, Foodora, sans compter des modèles tels que Instacart qui propose un service où vous pouvez rémunérer vos voisins pour faire les courses à votre place et vous les livrer. Plusieurs de ces plateformes ont dépassé le milliard en valeur boursière. Elles sont pour l'instant centrées sur la livraison de repas à domicile à l'instar d'Alloresto, encourageant la consommation de plats préparés au restaurant plutôt que de repas préparé soi-même. Notons au passage qu'un repas sur deux est désormais assuré par d'autres cuisines que celles du foyer !

Mais le point important, c'est que ces plateformes réussissent à faire baisser le coût de la livraison dans un environnement compétitif. Une fois le segment des restaurants étant couvert, on risque de les voir s'aventurer dans d'autres domaines, notamment la livraison des courses.

Ajoutons aussi d'autres formes de distribution : le drive d'abord, qui représente désormais 7 à 8% des ventes, mais aussi des formules de points-relais voir même de casiers. Ces innovations peuvent être une opportunité pour les chaînes de distribution au travers de leurs formats (de la superette à l'hypermarché) pour satisfaire le désir d'une fraction importante des consommateurs d'éviter la corvée des courses. Dans la mesure où ils maitriseront rapidement ces nouveaux canaux, ils pourront résister à la pression d'Amazon.

Amazon a-t-il une chance de devenir leader dans le secteur de la livraison de nourriture à domicile en France ? Si oui, pourquoi ? 

Nous n'en sommes pas là. Et le monde des affaires n'est pas un concours sportif où le but est d'être le premier. Le but c'est d'être rentable, et on peut l'être avec une petite part de marché quand les économies d'échelles ne sont pas déterminantes.

Pour Amazon, l'enjeu véritable est d'amortir le vaste réseau logistique qu'ils mettent en place sur la base de clientèle qu'ils detiennent. Les livres ou les ordinateurs ne se vendent pas tous les jours, l'alimentaire oui. On comprend naturellement que le but du jeu est d'accroître le volume global des achats réalisés par les consommateur les plus fidèles d'Amazon, en particulier ceux qui souscrivent au programme Prime.

Les innovations telles que le "bouton dash" (un bouton disponible au Etats-Unis, que l'on colle au frigo, dans lequel on répertorie ses produits préférés, et quand il n'y en a plus, on appuie sur le bouton, et le produit est livré à domicile automatiquement le lendemain), la scanette du même nom, l'assistant vocal "Echo" sont autant d'outils qui permettent aux consommateur d'Amazon de multiplier les occasion d'achats à domicile. Et en multipliant ces achats, on multiplie les occasions de regrouper les colis, et par conséquent celle de réduire les coûts de livraison et d'accroître la rentabilité. Naturellement, ces initiatives n'ont de valeur pour le consommateur que si les produits sont livrés rapidement, et l'horizon temporel est désormais de quelques heures. Cela conduit Amazon à se centrer sur la logistique en densifiant son réseau logistique, en passant des accords avec les plateformes que nous avons évoquées, et aussi, mais c'est encore anedoctique, en envisageant des solutions de livraison par drones, qui si elles sont techniquement possibles, se heurteront pendant longtemps à des barrières réglementaires, sociales, et économiques : un drone capable de transporter une charge de plusieurs kilos coûte cher, bien plus que les drones jouets, et il faut les piloter !

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