Juppé, Hidalgo, Macron... quand les médias (se) créent des candidats taillés sur mesure pour alimenter un récit souvent éphémère<!-- --> | Atlantico.fr
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Et si c'était... Anne Hidalgo, la maire de Paris ?
Et si c'était... Anne Hidalgo, la maire de Paris ?
©Reuters

L'obsession "Monsieur X"

A chaque élection c'est le même manège : on voit apparaître sur les Unes de journaux des personnalités pressenties comme le candidat (voire vainqueur) surprise du prochain scrutin. Dernier exemple en date : l’hebdomadaire Marianne qui titre cette semaine : « PS cherche candidat désespérément. Anne Hidalgo : et si c’était elle ? »

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : A chaque élection (ou presque), et ce depuis longtemps, on observe un engouement médiatique pour des personnalités présentées comme étant la potentielle surprise du prochain scrutin. Dernier exemple en date : l’hebdomadaire Marianne qui titre cette semaine : "PS cherche candidat désespérément. Anne Hidalgo : et si c’était elle ?" A quels autres exemples de candidats peu plausibles et pourtant sérieusement évoqués dans les médias cette Une de Marianne vous fait-elle penser ?

Jean Petaux : Vous avez raison de préciser que cette pratique ne date pas d’hier. Elle est presque consubstantielle à "l’invention" du suffrage universel pour élire le président de la République en France sous la Vème République. Rappelons que ce mode de scrutin a été adopté par référendum le 28 octobre 1962 et est entré en vigueur pour la présidentielle qui a suivi en novembre 1965. En septembre 1963, Jean Ferniot, co-rédacteur en chef de "L’Express" (et beau-frère de Jean-Jacques Servan-Schreiber – JJSS – le patron du grand hebdomadaire clairement opposé au général de Gaulle), saisit une rumeur qui court dans Paris : le général de Gaulle provoquerait une présidentielle anticipée pour se relégitimer. François Broche dans la revue de référence du gaullisme, "L’Espoir" (n°145, décembre 2005) écrit : " Ferniot a rebondi sur cette rumeur, en constatant que la gauche n'a pas de candidat - ou qu'elle en a plusieurs, ce qui revient au même : Monnerville, le président du Sénat (qui a violemment pris position contre la réforme de 1962, en accusant le Général de "forfaiture") ; Guy Mollet, le chef du parti socialiste (SFIO) ; et aussi Pierre Mendès France, François Mitterrand, Gaston Defferre… Aucun ne s'impose face aux autres… "Il n'y a qu'une solution, a suggéré Ferniot, il faut inventer un candidat !" C'était peut-être une boutade, mais JJSS - congénitalement privé d'humour - s'est immédiatement approprié l'idée : "Nous l'appellerons Monsieur X", a-t-il décidé, faisant preuve d'une imagination bien digne d'un polytechnicien". C’est ainsi qu’est né le fameux "Monsieur X". "Le Canard Enchainé" va révéler assez rapidement que ce "Monsieur X" est un homme au masque Defferre" et la silhouette en ombre chinoise publiée à la une de "L’Express" va vite trouver un nom : celui du maire de Marseille appartenant à la fraction modernisatrice de la SFIO. La candidature de "Monsieur X" est une pure création journalistique. Elle va faire "pschitt" à la fin du printemps 1965, dégageant la voie pour l’opportuniste stratège François Mitterrand futur candidat de la gauche unie, du PCF aux Radicaux…

Autre exemple moins spectaculaire et moins "professionnel", mais plus qu’anecdotique au demeurant. Le "cas Jobert". Michel Jobert est un très proche conseiller de Georges Pompidou à Matignon puisqu’il est même son directeur de cabinet à partir de 1966. Il va jouer un rôle central dans la gestion de la crise de mai 68. En 1969 il accompagne le nouveau président à l’Elysée dont il devient le secrétaire général. Nommé ministre des Affaires étrangères en 1973, il soutient la candidature de Jacques Chaban-Delmas lors de l’élection présidentielle de 1974 contre VGE. Au sortir de ce qui est pour lui une défaite, il crée son propre parti : "Le Mouvement des Démocrates" qui se veut, selon ses propres dires, "Ni de droite, ni de gauche, mais ailleurs" (on jurerait du "Macron" dans le texte, mais personne ne l’a relevé). Les journalistes aiment beaucoup Michel Jobert : homme subtil, fin d’esprit, à la langue pointue et acérée, très anti-Américains. Il va bénéficier d’une exposition médiatique (tout est relatif à l’époque mais comme il y a peu de médias, quelques émissions phares suffisent…) suffisamment importante pour apparaître comme un leader à même "d’aller loin". En fait à force de vouloir se situer "ailleurs" il n’ira nulle part… Sauf qu’il aura la bonne idée avec son mouvement embryonnaire de soutenir François Mitterrand en 1981 et se retrouvera ministre d’Etat dans le premier gouvernement Mauroy, le 21 mai 1981. Il y restera 2 ans.

Troisième cas d’invention médiatique, totalement oublié aujourd’hui… Le cas "Yves Montand". Entre 1983 et fin 1987, l’acteur Yves Montand très intéressé par la "chose politique" (il fut un fidèle "compagnon de route" du PCF dans les années 50 et 60 avant de dénoncer le stalinisme dans des rôles phares comme celui d’Artur London dans "L’Aveu"), multiplia les prises de position publiques sur nombre de sujets. En février 1984 il est la vedette d’une émission intitulée "Vive la crise", dont le texte et le scénario ont été écrits par le grand journaliste et essayiste Jean-Claude Guillebaud. Yves Montand apparaît comme une sorte de "Reagan de gauche" dans une France qui tète (déjà) au biberon de la "déception du socialisme". Entre avril 1986 et fin 1987 alors que la candidature de François Mitterrand à un second mandat semble encore très hypothétique, Yves Montand est régulièrement sollicité pour des prises de position politiques et ne refuse aucun micro, aucun plateau, aucune interview. C’est ce que les journalistes et producteurs d’émission appellent "un bon client". Sa gouaille, son accent méridional, sa présence sur scène, son histoire aussi (tout le monde n’a pas été l’amant de Marylin Monroe et n’est pas l’époux de Simone Signoret…) : tout concourt à faire de chacun de ses passages sur une antenne un "bon moment" de télé ou de radio… Ce n’est que le 19 décembre 1987, sur TF1, dans l’émission "Questions à domicile" d’Anne Sinclair, qu’après avoir fait durer le suspens jusqu’à la toute fin de l’émission (après la dernière coupure de pub) qu’il annoncera qu’il renonce à l’Elysée. On est alors entre l’infotainment et l’info tout court… Déjà la politique est un spectacle, avec un excellent acteur certes, mais avec un acteur tout simplement.

Le dernier exemple va aussi s’achever en "eau de boudin" sur le plateau d’Anne Sinclair (décidément !...) de "Sept sur Sept", toujours sur RF1. Le 11 décembre 1994, Jacques Delors annonce officiellement qu’il ne se présentera pas à la présidentielle d’avril 1995. François Mitterrand qui a toujours voué au père de Martine Aubry la méfiance qu’il avait coutume de réserver aux "Cathos de gauche" dont il n’aimait ni l’éthique ni les ruades politiques, conclura ainsi la séquence "Delors, candidat des médias et non-candidat tout court" : "Jacques Delors ? s’interrogeait faussement Mitterrand : "Il voudrait bien être président de la République mais à condition de ne pas être candidat". Delors fut sans doute le candidat le plus "inventé" par les médias et le moins volontaire de tous…

Qu’est-ce qui différencie une "créature médiatique" d’un candidat politiquement crédible ?

Tout… La créature médiatique est à la politique ce que le hambuger d’une célèbre marque de fast-food à l’effigie d’un clown est à la cuisine artisanale chère aux gastronomes du sud-ouest. C’est un "produit" entièrement artificiel, fabriqué à coups d’apparitions médiatiques, de "petites phrases" destinées à faire monter les UBM (Unités de Bruit Médiatique). Quand Christine Lagarde apparaît à la "une" d’un hebdomadaire écouté et suivi comme étant une "présidentiable" potentielle, elle s’inscrit dans une longue file : celle des candidatures "possibles mais pas certaines". Sa candidature n’est pas crédible, non pas parce qu’elle-même n’est pas crédible. Tout au contraire, il s’agit d’une femme mondialement connue qui occupe une fonction internationale de "première ligne" et son expertise est plutôt appréciée. C’est son absence totale de poids politique intérieur qui rend sa candidature absolument pas crédible. Les règles du jeu politique ne sont pas celles de l’exposition médiatique. Il se peut que conjoncturellement, momentanément, une candidature médiatique apparaisse comme disposant d’une crédibilité politique, mais, dans la très grande majorité des cas le "voile" va se dissiper, l’illusion se résorbera et la "créature des médias" se révèlera alors dans sa nudité : elle n’était pas faite pour ce combat, elle n’avait pas le "cuir" et la "peau" assez tannés pour résister à la dureté du jeu électoral.

Comment expliquer ce goût des médias pour des candidatures pourtant en réalité très incertaines et peu susceptibles de l’emporter lors d’une élection ?

Plusieurs réponses sont possibles ici. Sans en privilégier une principale on peut citer le désir de "sortir le scoop" et d’être le premier média à avoir "flairé" le bon coup en ayant détecté le candidat surprise qui va renverser la table et battre tous les favoris. On peut aussi y voir une manifestation d’une forme de "syndrome de Pygmalion" : "C’est nous qui aurons fabriqué le prochain président de la République. A minima nous apparaitrons comme des experts fins, informés et habiles, donc comme des "faiseurs de roi" autant craints qu’enviés ; au mieux l’heureux élu s’en souviendra et nous en saura gré, cela pourra nous servir…". En troisième lieu on peut aussi y voir un mal bien connu dans la presse politique : l’irrépressible besoin de passer du rôle d’arbitre, de chroniqueur des faits qui devraient, à tout le moins, observer une forme de neutralité axiologique, à un rôle d’acteur, de "12ème homme" d’une équipe de footballeurs et jouer sur le terrain du jeu  politique.

Finalement toutes ces velléités sont vouées à un sort le plus souvent commun et partagé : soit la "créature" craque et refuse de jouer le rôle qui lui a été dévolu pour ne pas dire quasi-écrit par des "médias-scénaristes" transformés en atelier d’écriture d’une saison du "Baron Noir" ou de "House of Cards" ; soit la même créature médiatique se met à y croire, se prend pour une vedette politique, devient littéralement ingérable et lasse très vite ses "créateurs" qui découvrent qu’ils ont engendré sinon un "Golem" à tout le moins un mythomane insupportable qu’il faut rapidement "débrancher" avant qu’il ne fasse trop de dégats… On sortira alors un ou deux "cadavres" du placard et la "créature" renoncera vite à ses ambitions. C’est, au sens littéral, ce qui est arrivé à Coluche, pure candidature médiatique, qui retirera sa candidature le 16 mars 1981 après qu’on ait retrouvé le corps de son régisseur, René Gorlin, assassiné…

Par quel mécanisme de ce genre de candidatures émergent-elles dans les médias ?

Il n’y a pas de règles…. Il y a plutôt des contextes propices. Des "moments politiques" où une fraction du champ politique (assez souvent la gauche d’ailleurs plus que la droite) semble souffrir d’un déficit de candidature incontestable et légitime du point de vue des critères de tel ou tel camp. La nature (même "politique") ayant horreur du vide il faut bien faire semblant d’occuper le terrain et créer ainsi un "récit" ou une "intrigue" susceptible d’intéresser les supporters du "parti déficient". En attendant que les choses se décantent…

Le mécanisme technique d’émergence et de progression d’une candidature fabriquée (ou dopée si l’on préfère) par les médias est assez classique et n’a guère changé depuis "Monsieur X" et le "coup" de "L’Express" de JJSS, Françoise Giroud et Jean Ferniot, en 1963, il y a 53 ans… On crée le suspens. On "feuilletonne" l’opération. On multiplie les entretiens avec l’heureux "élu" de sorte que sa parole soit progressivement valorisée, fasse sens et soit même attendue.

Plus le candidat médiatique sera exposé et plus il sera recherché et sollicité… Le grégarisme des médias est une force tout autant qu’une faiblesse. Mais il faut encore que la "vedette" tienne ses promesses, "fasse le job" autrement dit que le candidat soit à la hauteur de ce qu’on attend de lui, c’est-à-dire qu’il crée du buzz, qu’il garantisse la délivrance de quelques belles "petites phrases" qui vont être reprises, débattues et qui vont assurer au feuilleton une audience et une visibilité fortes. Que ce même candidat connaisse un "trou d’air", qu’il n’ait plus envie de faire le guignol et d’alimenter la "mécanique médiatique" pour reprendre le titre du dernier livre de l’excellent Jean-Marc Four, directeur de la rédaction de France Inter, alors son sort sera vite scellé. "Vae Victis" disaient les Romains au Colisée ("Malheur aux vaincus").. Ces mêmes Romains disaient aussi, à travers "L’Enéide" du grand Virgile : "Quos vult perdere, Jupiter dementat" ("Jupiter rend fou ceux qu’il veut perdre")… La créature médiatique passera pour folle… et on l’oubliera.

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