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Les mystères de la mémoire : pourquoi certaines personnes resteront traumatisées à vie par les attentats terroristes et d’autres non
©Allan Ajifo / Flickr

Bonnes feuilles

Conçu en 1987 aux États-Unis par Francine Shapiro pour guérir les traumatismes psychiques, l'EMDR permet également de soigner efficacement d'autres problématiques névrotiques, comme les phobies, les angoisses, les états dépressifs... L'efficacité de cette méthode, importée en France en 1994, a pu être vérifiée aussitôt en cabinet et en milieu hospitalier. Extrait de "EMDR-Une révolution thérapeutique", de Jacques Roques, publié aux éditions Desclée de Brouwer (1/2).

Jacques Roques

Jacques Roques

Psychanalyste et psychothérapeute, Jacques Roques inclut dans sa pratique plusieurs disciplines (hypnose, psychodrame, systémique...). Il découvre l'EMDR en 1994, varchar(50) de sa formation, co-fondateur d’EMDR France (avec David Servan-Schreiber et Michel Silvestre).

Il est notamment l'auteur de "Essai d'anatomie psychique basé sur les neurosciences" de "Psychoneurobiologie - Fondement et prolongements de l'EMDR". – BoD – 2015 ; "EMDR : Une révolution thérapeutique", 2016, Edition Desclée de Brouwer ; et de "L' EMDR", Collection: Que sais-je ?, 2016.

 

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Toutes les victimes ne sont pas traumatisées par un danger de mort. Des problèmes peuvent être menaçants (cas d’un abus sexuel par exemple ou bien encore d’une simple situation humiliante) et exiger une réponse rapide sans être nécessairement réflexe, immédiate. Or, pourtant, les victimes sont pareillement sidérées et développent après coup un état de stress post-traumatique ; plus ou moins invalidant, il est vrai. Comment l’expliquer ?

Que l’information à traiter dans le premier temps ait pour sens : « Tu meurs » ou « Tu es souillé, annulé dans ton intégrité, sans que tu ne puisses rien faire pour l’empêcher » est quelque part identique, pour, je pense, deux raisons :

- Une est historique. Elle a trait au développement de la personne. Il s’agit de sa psychogenèse.

- L’autre est narcissique. Elle relève de son fonctionnement social et individuel.

Raison psychogénétique :

Commençons par la première. Je ne suis pas sûr, bien entendu, d’avoir découvert la source du problème, mais ce que j’ai compris m’a, indubitablement, aidé avec de nombreuses personnes, notamment celles qui étaient atteintes d’attaque de panique ou de la peur de mourir.

Le thérapeute est toujours embarrassé pour trouver l’origine de ces phobies majeures. Les déclencheurs sont parfois peu évidents. Quand on les repère toutefois, on résout certes le problème, mais c’est généralement pour peu de temps, une autre circonstance pouvant le recréer. Tout se passe comme s’il existait, bien caché dans la psyché de ces personnes, une sorte de fragilité constitutionnelle les prédisposant à ce type de réaction dysfonctionnelle.

La solution m’a été fournie par mon petit-fils, âgé à l’époque de 8 mois. Il vivait loin de chez nous et nous étions allés, ma femme et moi, le voir chez notre fils. Ce soir-là, nous devions le garder, ses parents étant sortis. Mais nous étions, nous aussi, invités. Nous avons alors décidé de l’emmener avec nous. Je dois dire que cet enfant ne nous connaissait pas beaucoup, car il ne nous voyait pas souvent. Tant que nous sommes restés chez lui, il était très content et tout se passait bien, mais il a commencé à hurler quand nous avons voulu l’emmener. Juste à ce moment-là. Ça a duré à peu près un quart d’heure, le temps d’arriver chez nos hôtes. Plus tard, il s’est rassuré et est de nouveau devenu très agréable.

Il s’est passé quelque chose en moi au moment de ses cris, une sorte de prise de conscience. Je le regardais, embarrassé bien sûr, cherchant comment l’apaiser, quand tout d’un coup, j’ai saisi quelle pouvait être l’origine de la fameuse angoisse du huitième mois, dite angoisse de l’étranger. En un éclair, j’ai eu en tête des récits bibliques concernant le massacre des nouveau-nés et toutes sortes d’atrocités les concernant. J’ai compris alors aussitôt quelque chose de professionnellement intéressant sur l’origine des angoisses de mort de nos patients.

Mais avant de développer ce point, je risquerai une petite diversion, pour répondre à une pseudo-évidence. En effet, il n’est pas impossible aussi d’analyser ce qui m’est arrivé en termes psychanalytiques et de concevoir un désir de mort à l’endroit de l’enfant révélé à ce moment-là, du genre : « Il crie. Ça m’ennuie. Je le tue. Il ne crie plus. Le problème est résolu », d’où le rappel de souvenirs de l’époque où on tuait effectivement les bébés. Je ne contesterai pas, ici, la pertinence de l’analyse en termes de désirs qui reste toujours possible, mais ce qu’elle pourrait impliquer psychodynamiquement dans la perspective d’une cure.

Qu’il y ait une réactivation de pensées relatives à la mort des enfants est précisément ce que j’avance. Ce que je contesterai pour moi comme pour un autre d’ailleurs, c’est le saut épistémologique qui fait passer de la réactivation certaine d’un souvenir de lecture biblique à celle d’un désir, fût-il inconscient. Je m’en explique. Ce n’est pas tant que l’existence d’un tel désir m’effraie en soi, du moins tant qu’il reste sous la forme d’un fantasme et encore plus d’un fantasme analytiquement déduit. Après quarante ans d’analyse, j’en ai vu d’autres. Ce qui me gêne est à la fois plus général et plus complexe. D’un point de vue humain, on privilégie là la thèse du négatif. Que de fois n’a-t-on pas entendu un : « Bien sûr qu’il ne veut pas le reconnaître. Mais il faut pourtant avoir le courage de regarder la vérité en face. » Et c’est une vérité toujours négative, bien entendu. Au cours d’une cure, une pareille écoute de la part d’un thérapeute est toujours dommageable. En effet, sans écarter, à la limite, absolument la première écoute, il peut y en avoir, en l’occurrence, une autre stratégiquement plus positive : celle de l’empathie. Je me sens à la place de mon petit-fils, terrorisé d’être dans les bras d’un inconnu et en même temps je me rappelle qu’il n’a pas tort, étant donné ce qui, historiquement, a été fait aux nourrissons, surtout aux premiers-nés, ce qui est son cas.

Je profite de la circonstance pour souligner le danger de ce type de collusion négative, d’abord si elle est dans la tête du thérapeute, ce qui est malheureusement souvent le cas, suivant la (dé)formation qu’il a reçue. Ensuite, si elle est exprimée par le patient, j’invite le thérapeute à ne pas se réjouir de le voir assumer crânement désormais ses mauvaises pensées. Mais je lui conseille de retravailler ce propos en termes de croyances négatives. D’un point de vue clinique, la thèse du négatif ne conforte que le négatif et ce n’est pas le but, à mon sens, de toute cure. Certains me diront : « Bien sûr que si, on ne se fait plus d’illusion sur soi-même après. » Sous-entendu : « Je sais encore plus maintenant que je ne suis qu’un salaud. » Et si nous acceptons ce point de vue, nous sommes alors complètement dans l’erreur, car il contribue, non pas à la révélation d’une prétendue vérité cachée, de préférence obligatoirement négative, mais au renforcement subreptice d’une perte générale d’estime de soi, renforcement avec lequel le sujet va devoir encore plus compter. Il faut se méfier, comme de la peste qu’elle peut engendrer si on y croit, de l’aveu de certaines pulsions occultes par nos patients. Ils ne font que nous donner un compte rendu de l’état psychodynamique et économique dans lequel ils se sentent coincés. Ça n’exclut pas les autres. De plus, d’un point de vue heuristique, un tel amalgame entre deux niveaux d’analyse différents, celui des associations d’idées qui porte sur la cascade d’un rappel consécutif de réseaux de mémoires et celui qui porte sur une attribution de jugements de valeur, constitue une faute, en termes de raisonnement scientifique et rejoint l’addition fameuse des choux et des carottes, pour ce qui est de la crédibilité à lui accorder..

Revenons à mon petit-fils. Que me signifie-t-il ? Il me rappelle tout simplement qu’on peut tout faire à un bébé. Un bébé est inerme. Il ne peut absolument pas se défendre. Grâce à lui, j’ai réalisé in vivo cette évidence, que même un bébé lion abandonné par sa mère dans la jungle était condamné à mort. Je vivais en direct le concept de néoténie, de l’hilflosigkeit freudien ou état de détresse. Je me remémorais également qu’il en faisait le prototype de la situation traumatique7, ce qui est prodigieusement intéressant si on ajoute à cette étape commune du développement humain la notion individuelle d’événement traumatique et si on l’extrait d’un cadre général trop théorique des pulsions qui lui fait perdre, malheureusement, son sens spécifique. Un mot de Freud m’est aussi revenu en tête : Das aussere Schreckerlebnis8, ce qui littéralement veut dire : l’effroi qui vient de l’extérieur. Je m’étais intéressé à ses origines, voici plus de vingt-cinq ans maintenant, dans une étude sur le « Non ».

Mon petit-fils m’a permis tout d’un coup de prendre conscience, et non plus simplement de savoir, que la plus grande peur qu’un être humain (et peut-être est-ce extensible à beaucoup de mammifères) puisse connaître est relative à une survie historique. Tous les concepts que je rapporte m’étaient, bien évidemment, connus mais je n’avais pas pris conscience de leur importance clinique majeure en termes de traumatismes associés à cette préforme psychogénétique commune et je crois ne pas être le seul, loin s’en faut. Si on excepte les travaux de Jean Bergeret sur la violence fondamentale9 qui s’en rapprochent un peu (mais l’accent est davantage mis sur la survie que sur la perturbation), je ne connais pas d’auteur ayant souligné et recherché, dans le but de les traiter systématiquement sur cette base, chez des patients phobiques ou atteints d’attaque de panique, une étiologie traumatique environnementale précoce.

Pour ma part, dès lors, j’ai délibérément essayé de repérer chez ce type de patients ce qui pouvait avoir donné corps, matérialité, à un schéma probablement génétiquement (ou phylogénétiquement) transmis, c’est-à-dire que je me suis demandé qu’elles avaient été les circonstances environnementales susceptibles de s’être imprimées, en eux, à la manière d’un traumatisme et de les hypersensibiliser durablement et d’une manière dysfonctionnelle. En effet, si une épée de Damoclès est toujours plus ou moins suspendue sur la tête de ces gens-là et restreint leur périmètre de sécurité, c’est bien qu’un événement ou un programme familial (c’est-à-dire une transmission spécifique d’informations) l’y a accrochée. Il convient donc alors, après avoir traité l’urgence de l’attaque de panique à partir des déclencheurs actuels, de les informer des origines probables de leur fragilité et, s’occupant du fond, de soigner, l’un après l’autre les traumatismes anciens, que nous pourrons repérer ou même déduire de la particularité de telle ou telle attitude de leur part. En général, ils sont d’origine familiale et comme presque toujours, dans ces cas-là, ils ne leur apparaissent pas comme traumatiques. Ils vous diront généralement que pour eux, c’était comme ça ! C’était leur normalité. Le père buvait et/ou était emporté, crieur, violent10. Oui, et après ? Le thérapeute doit réaliser que telle phobie ou telle attaque de panique n’est pas le fait de tel ou tel déclencheur, mais traduit la certitude intime pour le patient de vivre dans un univers extrêmement dangereux et menaçant et que, quelque part en lui, il a la conviction intime que ça, c’est la normalité. On trouvera dans le présent ouvrage l’illustration de cette croyance bloquante, qui peut ne se manifester que par ses effets et n’être pas clairement consciente, par l’exposé du traitement de patients atteints de phobies ou d’attaques de panique.

Donc la première de ces deux raisons est d’origine précoce. Nous possédons tous en nous des schémas archaïques de vulnérabilité, même si la vie nous a épargnés jusque-là et qu’ils n’ont pas été matérialisés par des faits. Même donc, si nous ne portons pas en nous un terrain riche d’inscriptions précoces traumatisantes comme dans les cas de phobies majeures, et que notre champ potentiel d’action est intact, des préformes de ces inscriptions demeurent et la menace de mort est permanente et bloquante quand nous subissons, sans échappatoire possible, la loi d’un plus fort que nous, par exemple dans un cas de viol. Nous nous retrouvons par le fait de réactivations de ces préformes donc de ces mémoires anciennes, transportés dans un état de néoténie, d’infans (en latin : celui qui ne parle pas = le bébé) et nous ne pouvons plus réagir. C’est je crois, là exprimé, en termes de mémoire d’état11, une explication possible de l’état de sidération qui frappe les victimes.

Extrait de "EMDR-Une révolution thérapeutique", de Jacques Roques, publié aux éditions Desclée de Brouwer, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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