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Comment le mauvais goût des super riches (et l'austérité européenne) sont en train de détruire notre patrimoine artistique
©Reuters

L'art pour l'art

Les opéras ferment des deux côtés de l'Atlantique, mais les milliardaires sont toujours prêts à financer de l'art contemporain de valeur douteuse...

Voulez-vous aller voir un ballet ? C'est de plus en plus difficile… Aux Etats-Unis, notamment, où les beaux-arts dépendent principalement de la générosité de riches donateurs, les compagnies de ballet ferment les unes après les autres.

L'austérité culturelle en Europe

C'est également le cas en Europe. Comme le rapportait un reportage du New York Times, les politiques d'austérité imposées sur le continent ont frappé les budgets publics de la culture de plein fouet. De nombreux petits opéras ont fermé, mais même les grands souffrent. Par exemple, La Scala, le légendaire opéra de Milan, a eu un déficit record de près de 9 millions d'euros en 2012. Le Portugal a tout simplement supprimé son ministère de la Culture.

Le ballet et l'opéra souffrent. La journaliste d'art Amber A'lee Frost, dans les pages du magazine Current Affairs, raconte que depuis quelques années la carrière de chanteur d'opéra ne devient plus viable. Avant, un chanteur sortait du conservatoire, passait quelques années formatrices dans des petits opéras de Province, avant d'entrer dans une plus grande compagnie. Aujourd'hui, ce chemin de carrière est de moins en moins plausible.

Est-ce que toutes les formes d'art sont affamées ? Toutes, non…

En effet, les budgets ne baissent pas pour tout le monde. Le problème n'est pas tant l'austérité, publique ou privée, que…le mauvais goût des grands donateurs, tout simplement.

Avant, explique Frost, les super-riches étaient plus ou moins héritiers d'une tradition et ressentaient un devoir quasi-aristocratique de soutenir le patrimoine culturel. Elle prend comme son premier exemple Dakis Joannou, homme d'entreprise milliardaire grec-chypriote, et un des plus grands collectionneurs d'art contemporain au monde.

Dakis Joannou, le milliardaire au bateau le plus laid du monde

Joannou n'est pas seulement un collectionneur, mais un faiseur de tendances. Sa fondation artistique, en plus d'organiser des expositions, édite des livres à grand prix et diffuse les œuvres des artistes qu'elle soutient. Comme par hasard, les musées dont Joannou est mécène font de grandes expositions pour les artistes qu'aime Joannou.

Et Joannou a…on ne peut pas le dire autrement…très mauvais goût.

Frost raconte comme Joannou a remis au goût du jour un mouvement de design italien des années 1960 complètement ignoré, le Radical Italian Design. Frost, qui est très loin d'être opposée à toute forme d'art moderne, est claire sur la valeur du Radical Italian Design : "Ils rejetaient à la fois la forme et la fonction par principe, ce qui voulait dire que les meubles inspirés de cette vision étaient à la fois intentionnellement affreux et pratiquement dysfonctionnels. Leur philosophie se résume à un outrage manifeste à l'esthétique et à l'utilité. Ils sont laids, ils sont inutiles, et c'est fait exprès, sans même l'autodérision qui pourrait au moins leur donner un attrait de second degré."

Joannou est surtout connu dans le monde de l'art pour nous avoir donné…Jeff Koons. C'est lui qui a acheté sa première œuvre d'art, "One Ball Total Equilibrium Tank", un ballon de basket suspendu dans un aquarium. Cette œuvre a marqué le début de la notoriété de Koons, qui est maintenant une superstar internationale de l'art moderne. La sculpture géante de Koons, "Balloon Dog", s'est récemment vendue pour 58,4 millions de dollars. Le critique d'art Arthur Danto a décrit l'œuvre de Koons comme du "terrorisme esthétique".

Koons a également été le concepteur du yacht de Joannou, "possiblement le bateau le plus laid du monde", selon Frost. Dans une interview avec Forbes, Joannou a décrit la logique du bateau : "Nous avons fait ce que nous voulions. Le style était sans intérêt. Notre méthode était l'anti-style." Une attitude qui rappelle l'Italian Radical Design—dont on peut d'ailleurs trouver les œuvres à bord du yacht de Joannou.

La cabale du mauvais goût

Très bien—un milliardaire eccentrique qui fait des folies. Est-ce tout ? Non. D'abord parce que Joannou n'a pas juste (très) mauvais goût ; comme le témoigne ses propos sur son yacht, son approche est idéologique.

Ensuite parce qu'il n'est pas seul. Autre exemple notoire : Charles Saatchi, richissime co-fondateur avec son frère de l'agence de publicité éponyme, et figure du monde de l'art contemporain. Si Joannou nous a donné Jeff Koons, Saatchi nous a donné Damien Hirst, connu pour ses animaux morts préservés dans le formol.

Hirst est la figure la plus connue du mouvement des "Young British Artists", mouvement de la fin des années 1980 soutenu par Saatchi. Parmi les Young British Artists on trouve aussi l'artiste Tracey Emin, dont l'œuvre la plus connue, "My Bed", est le lit de l'artiste, laissé intact après plusieurs journées qu'elle a passée dans son lit pendant une période de dépression, et ensuite exposé dans un musée. On put y voir par exemple des préservatifs usagés, des petites culottes tachées de sang menstruel et d'autres détritus. A côté de cela, La Scala de Milan ou les compagnies de ballet sont complètement désuètes. 

Frost résume : "Pour cette nouvelle ère bourgeoise, l'orchestre symphonique, la compagnie de ballet, l'opéra et le musée sont moins attirants [...] que l'idée de créer son propre empire artistique. Nos classes dirigeantes ne sont plus ce qu'elles étaient."

Au-revoir Verdi, bonjour les chiens en ballon de Jeff Koons. 

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