Le grand refoulement : pourquoi la gauche désire François Hollande à l’insu de son plein gré pour 2017 (et non, ça n’est pas un poisson d’avril en retard)<!-- --> | Atlantico.fr
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La plupart des sympathisants socialistes soutiennent la ligne social-libérale du gouvernement.
La plupart des sympathisants socialistes soutiennent la ligne social-libérale du gouvernement.
©REUTERS / Enrique Marcarian

Et vous pensiez avoir envie de Macron...

Si les baromètres et les enquêtes d'opinion défavorables à François Hollande parmi les électeurs de gauche se succèdent, la plupart des sympathisants socialistes soutiennent pourtant la ligne social-libérale du gouvernement. Un paradoxe qui peut s'expliquer par le rejet de la méthode et du style du Président plutôt que du fond de ses actions.

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est directeur d'études à l'Institut BVA.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Un récent sondage Yougov (voir ici) pour Itélé montre que la majorité des électeurs de gauche sont défavorables à ce que François Hollande se représente en 2017. Pourtant, sur la loi El Khomri par exemple, plusieurs enquêtes montrent que ces mêmes électeurs n'hésitent plus à considérer des propositions jusqu'ici cantonnées à la droite libérale (voir sondage Odoxa pour les Echos). Dans quelle mesure les électeurs de gauche acceptent-ils aujourd'hui le libéralisme ? A quand peut-on faire remonter ce basculement ?

Vincent Tournier : Le positionnement de François Hollande sur le créneau social-libéral, tel qu’il est incarné par son ministre de l’économie Emmanuel Macron, n’est pas le fruit du hasard. Un sondage réalisé en 2013 par l’IFOP pour la Fondation Jean Jaurès a montré que les idées libérales sont globalement majoritaires dans plusieurs pays européens, y compris en France. Une grande partie des Français considère qu’il faut donner plus de liberté aux entreprises ou que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment. Les Français ne veulent pas d’un marché dérégulé, ils veulent plutôt un libéralisme tempéré car ils pensent que le marché doit être encadré par l’Etat.

Ce sujet n’est évidemment pas consensuel. Le clivage entre la gauche et la droite est très présent. Les sympathisants de gauche sont toujours moins nombreux à souscrire aux opinions libérales que les sympathisants de droite. Mais le pari que font manifestement François Hollande et Manuel Valls, c’est qu’il y a un créneau à occuper sur une position de centre-gauche. Plus exactement, ils font le constat que la gauche radicale ne parvient pas à percer, en dépit des tentatives de mobilisation autour de la loi El Khomri. Cela signifie que, même si les électeurs de gauche ne sont pas très enthousiasmés par des réformes d’inspiration libérale, un certain réalisme finira par l’emporter et permettra d’agréger les modérés et une partie des orthodoxes. Ce pari n’est pas absurde. Quand on regarde en détail le sondage Odoxa pour les Echos, on voit par exemple que les sympathisants de gauche ne classent pas l’augmentation du pouvoir d’achat parmi leurs priorités. Pour la gauche,la priorité c’est la lutte contre le chômage (32%), la baisse de la pauvreté (21%) et la relance de la croissance économique (18%). L’augmentation du pouvoir d’achat ne vient qu’en quatrième position (16%), suivie par la baisse des impôts (12%). Ce classement semble indiquer qu’il existe un certain fatalisme, comme si l’électorat de gauche avait intégré la force des contraintes économiques et la perspective de devoir faire des sacrifices.

Par ailleurs, n'est-il pas paradoxal que François Hollande soit autant rejeté ? Quelle analyse peut-on en faire ? 

Vincent Tournier : François Hollande doit son élection à deux grands malentendus. Le premier est d’avoir servi de refuge aux opposants de Nicolas Sarkozy, lequel a clairement été victime d’une profonde détestation qui a servi son rival de gauche à peu de frais. D’une certaine manière, François Hollande a pu surfer sur une vague qui a artificiellement gonflé sa popularité. Le second malentendu se trouve au cœur du message de François Hollande. Celui-ci avait annoncé qu’il serait un président "normal", donc différent en tout point de l’ère Sarkozy. Or, cette rupture n’est pas évidente, hormis peut-être sur une certaine frénésie médiatique. Il y a même eu des procédés peu honnêtes, comme lorsque la gauche a remplacé la Révision générale des politiques publiques (RGPP) par la Modernisation de l’action publique (MAP), les électeurs comprenant bien que seul l’intitulé faisait la différence. Bref, il a pu y avoir le sentiment d’avoir été floué, ce que la loi El Khomri vient confirmer à sa manière.

Précisons toutefois que François Hollande n’est pas le premier président à connaître des records d’impopularité, même s’il descend apparemment plus bas que ses prédécesseurs. Est-ce dû à François Hollande lui-même ou à la période ? Peut-être faut-il aussi admettre que le temps des présidents populaires est derrière nous, pour des raisons qui tiennent à la fois à l’évolution du système politico-médiatique et aux contraintes qui pèsent sur le pouvoir. Rien ne permet de penser que le prochain président fera mieux, une fois passé l’enthousiasme des premières semaines. Cela dit, François Hollande n’est pas encore battu. Il ne faut pas sous-estimer les ressources d’un homme politique, même lorsque tous les signes sont contre lui. De plus, on ne sait pas dans quel état la droite va sortir de ses primaires.

Erwan Lestrohan : Le problème porte à mon sens sur la crédibilité du gouvernement et sur sa compétence pour diriger le pays. François Hollande, obtient 20% d'opinions favorables auprès des Français pour qu'il se présente. Il est de 33% pour Martine Aubry, et 40% pour Manuel Valls : derrière ce trio, il n'y a pas de personnalité qui se démarque vraiment à gauche. 

Auprès des sympathisants socialistes, là, on retrouve 49% de souhaits pour une candidature de François Hollande et 48% pour Martine Aubry. La défiance de François Hollande, qui a progressé depuis la primaire de 2011 ne fait pas basculer l'opinion vers sa rivale socialiste. Manuel Valls est lui à 54% de souhaits.

En revanche chez les électeurs de gauche hors PS, le souhait de candidature de Manuel Valls pour 2017 est à 16% et 13% pour François Hollande alors qu'il est à 67% pour Martine Aubry : il n'y a pas forcément de fracture au sein du Parti socialiste, avec des préférences équivalentes entre ces trois personnalités, et pas de remise en cause nette de la ligne gouvernementale. Au sein de la gauche par contre, il y a effectivement un divorce entre sympathisants socialistes et ceux des autres partis. Dans notre baromètre mensuel, le trio de tête des cotes d'influences des sympathisants de la gauche sont Christiane Taubira, Martine Aubry, et Anne Hidalgo. Des personnalités socialistes ou proches du PS mais critiques, alors qu'auprès des sympathisants socialistes le trio de tête est composé de Bernard Cazeneuve, Emmanuel Macron, et Jean-Yves le Drian... Soit des ministres emblématiques du hollandisme de 2014 à 2016, c'est-à-dire socio-libéral.

Il y a une validation de la ligne social-libérale assez nette auprès des sympathisants des socialistes, ces derniers ne recherchent pas de modèle alternatif, à contrario des sympathisants d'autres partis à gauche. 

Nicolas Sarkozy était lui aussi vivement critiqué pour son style dans l'exercice du pouvoir... François Hollande risque-t-il d'être confronté, dans le cas où il se présente, à la même difficulté à convaincre de son bilan ?

Erwan Lestrohan : A la différence de Nicolas Sarkozy, François Hollande a subi la désaffection de ses propres sympathisants. Aujourd'hui, François Hollande a une popularité de 43% au sein de la gauche : c'est la quatrième fois depuis le début du quinquennat qu'elle est sous la barre des 50%. Si l'on compare avec le quinquennat de Nicolas Sarkozy, elle n'était jamais descendue à moins de 50% au sein de la droite. 

Si Nicolas Sarkozy avait un potentiel plus clivant, François Hollande, alors que la droite doute de sa compétence, il est même confronté à une désaffection au sein de la gauche. Et si le problème de Nicolas Sarkozy en 2012 était de fédérer au-delà de ses électeurs au premier et au deuxième tour, François Hollande, doit déjà fédérer les siens pour passer au second tour.

De même, il y a toujours eu des doutes assez forts sur la compétence même de François Hollande dans l'opinion, du bienfondé de ses prises de position sur des dossiers d'envergure. De nombreux procès en amateurisme lui ont été faits, comme dès le début du quinquennat lorsque la taxe à 75% a été retoquée par le Conseil constitutionnel, mais aussi avec l'affaire Leonarda, le recul sur la déchéance de nationalité... Dans les moments où il a pu montrer sa compétence d'ailleurs, François Hollande a sensiblement amélioré sa popularité dans les sondages. 

La gauche est divisée entre deux lignes inconciliables : celle portée par François Hollande, et Manuel Valls, et celle de la gauche de la gauche. Quelles autres personnalités à gauche pourraient incarner la synthèse entre ces deux courants, et permettre à la gauche d'accéder au second tour de l'élection présidentielle ?

Vincent Tournier : Pour l’instant, on ne voit pas bien quelle personnalité pourrait réussir une telle synthèse. C’est un peu la conséquence des clivages internes au sein du PS. Les personnalités de premier plan sont trop marquées, que ce soit Martine Aubry ou Arnaud Montebourg. Ségolène Royal pourrait éventuellement prétendre faire cette synthèse mais on imagine mal qu’elle veuille tenter à nouveau sa chance.

Plus généralement, il est intéressant de remarquer qu’aucune personnalité du gouvernement ne parvient à se démarquer et à occuper une position charnière au sein du PS, y compris parmi les poids lourds comme Michel Sapin, Jean-Yves Le Drian ou Jean-Marc Ayrault. C’est peut-être tout l’art de François Hollande d’avoir su éviter que des ministres puissent devenir des rivaux potentiels. Le cas Macron est une exception, mais les objectifs de ce dernier sont encore flous : a-t-il réellement l’intention de tenter une carrière politique, un peu à la manière de Raymond Barre jadis, lequel fut aussi une création ex-nihilo à partir de ses compétences supposées en économie, ou participe-t-il simplement à une stratégie visant à couper l’herbe sous les pieds d’Alain Juppé ?

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