En voulant un jour férié pour juifs et musulmans, Eva Joly défend sa religion : le multiculturalisme

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Atlantico : Que pensez-vous des propos d’Eva Joly qui souhaite qu'à l'instar des jours fériés catholiques, on instaure des jours fériés pour les fêtes juives et musulmanes ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Eva Joly fait une mauvaise appréciation des exigences de laïcité et d'égalité. Selon la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat, "la République ne reconnaît aucun culte" et le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 19 novembre 2004 sur le traité constitutionnel européen que la laïcité, inscrite à l'article 1er de notre Constitution "interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers".

La République n'a donc pas à prévoir des jours fériés pour les rites religieux, d'autant qu'on ne voit pas pourquoi, dans un tel cas, l'on s'arrêterait aux fêtes juive et musulmane, il existe bien d'autres religions minoritaires en France.

Sans doute, certains de nos jours fériés existants remontent-ils historiquement à des fêtes religieuses chrétiennes, mais nous ne pouvons effacer l'histoire et, en tout état de cause, cette origine religieuse s'est depuis longtemps muée en habitude culturelle laïque totalement sécularisée. C'est ce qu'a admis la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme le 10 mars 2011 au sujet de la présence des crucifix dans les écoles publiques italiennes : cela n'a plus de signification religieuse proprement dite. C'est une coutume, une tradition culturelle inhérente à l'identité nationale italienne. Il en va de même pour certains jours fériés français. La proposition d’Eva Joly ne relève donc pas des exigences de laïcité et d'égalité,mais du plus purmulticulturalisme qui constitue certainement sa "religion" personnelle.

Vous évoquez l’Italie, mais la France est-elle isolée dans son combat pour la laïcité ? Existerait-il des pays à suivre en la matière ?

Non, parce que la France est seule – avec la Turquie – a avoir adopté de telles dispositions de séparation de l’Eglise et de l’Etat. D’ailleurs en Turquie, la Cour suprême très laïque se bat énergiquement contre le pouvoir islamiste. Elle a même admis que la laïcité était –presque – du domaine du supra constitutionnel afin de défendre au mieux son intégrité. Atatürk s’était inspiré de la France qui a le modèle constitutionnel le plus laïc.

L’Italie institue la laïcité dans sa constitution mais lorsque l’équivalent d’Eva Joly – une Italienne d’origine finlandaise –, s’en est pris aux crucifix dans les écoles, elle a provoqué un tollé dans tout le pays – y compris chez les communistes italiens.De même, quand depuis toujours, vous avez chômé le dimanche, on ne peut pas nous dire maintenant que le dimanche est « le jour du seigneur pour les chrétiens » ! Vous ne pouvez pas empêcher qu’un pays soit majoritairement et historiquement davantage marqué par une religion.

La France a, il est vrai, la plus forte tradition dans ce domaine en raison de ce qui s’est passé durant la IIIe République. Mais là, en voulant le quota pour chacun, Eva Joly déraille complètement – comme d’habitude !

Ne jugez-vous pas cet appel au communautarisme quelque peu contreproductif ?

Ce n’est pas très grave. En continuant comme ça, elle fera 0,1%. Cela me rappelle Martine Aubry qui parlait beaucoup de « toutes les cultures » lors des Primaires PS… D’ailleurs, même Nicolas Sarkozy, en se prononçant parfois pour la discrimination positive ou en reconnaissant le génocide arménien est difficile à suivre… En réalité, Eva Joly utilise la laïcité et l’égalité pour introduire des référents multiculturels.

Que reprochez-vous à ce multiculturalisme ?

Le multiculturalisme et le communautarisme conduisent à l’éclatement national car c’est un ferment de division de notre société. De même, je suis opposée à l’inscription des langues régionales dans la Constitution. Regardez le cas du Canada, on n’a pas l’impression qu’il y ait une nation canadienne, sinon des morceaux collés entre eux.

Viseriez-vous la mesure dite de « l’accommodement raisonnable » selon laquelle on tranche les problèmes entre pratiques religieuses au cas par cas ?

C’est l’enfer du juriste ! Prenons le cas d’une copropriété qui interdit la présence d’objet – autres que les plantes vertes – sur les balcons. Des juifs orthodoxes y installent pourtant des tentes utilisées pour leur religion. Un procès s’en suit puisqu’ils dérogent aux règles de copropriété. Au nom de la liberté de religion, et de l’accommodement raisonnable, la Cour suprême canadienne a tranché en faveur des juifs orthodoxes alors que le contrat était bafoué. La Cour suprême a également admis que dans la Police montée, les Sikhs étaient dispensés du chapeau (lors des défilés, on remarque des trous maintenant…). De même, elle a jugé normal que des enfant sikhs puissent aller à l’école avec un poignard traditionnel… pourvu qu’il soit cousu dans le pantalon. Sans oublier l’université de MacGill qui tolère des toilettes ni-« homme », ni-« femme », mais « sans genre »…

Eva Joly en voulant une représentation proportionnelle des religions en tant que telles donne dans le multiculturalisme, cela est contraire à la laïcité. En France, le fait d’avoir l’Ascension, le dimanche ou la Pentecôte, n’est plus religieux. C’est sécularisé et rentré dans les habitudes tout comme les jours fériés comme le 11 Novembre ou le 14 Juillet.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire