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Pourquoi le débat sur le quotient familial est passé à côté de l'essentiel
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Questions fiscales

Au coeur de l'actualité de ce début de semaine, la volonté de François Hollande de réformer le quotient familial a créé la polémique. Mais le débat politique entre la droite et la gauche n'a sans doute pas permis une analyse objective du sujet. Retour sur les réels enjeux du quotient familial...

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram est historien et spécialiste de la politique fiscale en France.

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QuelleestlapositionduPartisocialistesurlesquestionsfiscales? On serait bien en peine de le dire après la folle journée de mardi. Le matin, la presse économique annonce que François Hollande serait prêt, s’il était élu, à supprimer le quotient familial. Des proches du candidat confirment l’information en fin de matinée et précisent que le dispositif serait remplacé par un crédit d’impôt. L’après-midi, l’UMP, puis le Président de la République en personne, réagissent sur un mode outragé, en dénonçant une atteinte intolérable à la politique de la famille. Le soir, François Hollande fait marche arrière et déclare que son intention est seulement de « moduler » le quotient familial.

Le va-et-vient est révélateur : le candidat socialiste continue de naviguer à vue entre un projet maximaliste de « révolution fiscale », popularisé voici un an par les économistes Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez, dans un ouvrage retentissant, et le désir de ne déplaire à aucun de ses électeurs potentiels. Il est peu probable qu’il sorte de l’ambiguïté avant les présidentielles.

Cetteséquenceatoutefoisunmérite.Ellemetaucentredudébatunedesparticularitésdusystèmefrançaisd’imposition:lequotientfamilial. Ce dispositif, tout le monde croit le connaître. Chacun des 19 millions d’assujettis à l’impôt sur le revenu a, au moins une fois dans sa vie, fait le calcul consistant à diviser son revenu par le nombre de parts, à appliquer le barème à chacune d’entre elles et à multiplier le tout pour obtenir ce qui sera finalement prélevé. On aurait tort cependant de réduire le quotient familial à cette opération simple. Il s’agit au contraire d’un des points les plus complexes de notre droit fiscal. Si bien qu’on entend à son sujet beaucoup d’idées fausses. Le quotient familial passe pour un instrument injuste mais relativement efficace dans le soutien qu’il apporte aux familles. Or, c’est exactement le contraire. Le quotient familial est juste mais il n’est peut-être plus adapté à la situation actuelle des familles françaises.

Pour bien le comprendre, il faut se placer sur le terrain des principes. Et revenir à la notion de progressivité qui fonde, depuis 1914, l’imposition des revenus et dont le quotient familial n’est finalement qu’une des modalités d’application. Qu’est-ce qui justifie la progressivité ? Une seule chose : l’utilitédurevenudiminueaufuretàmesurequecelui-ciaugmente. Pour un smicard qui gagne 1100 euros par mois, une prime de 300 euros constitue un apport considérable, qui permet d’améliorer sensiblement les conditions de vie. En revanche, la même prime de 300 euros ne change rien à l’existence d’un cadre supérieur qui gagne 6 000 euros par mois. L’Etat est donc habilité à prélever une part plus importante du revenu supplémentaire dans le second cas que dans le premier.

Or, cette utilité marginale doit être appréciée en tenant compte des charges de famille. 6 000 euros par mois ne représente en effet pas du tout la même chose pour un célibataire ou pour une famille de deux enfants et il serait anormal que l’Etat prélève la même part du revenu dans l’un et l’autre cas. En revanche, cette famille aura à peu près le même niveau de vie qu’un célibataire gagnant 2 000 euros par mois, et dans ce cas, le taux de taxation doit être le même. Il faut donc, pour des raisons de justice, moduler le niveau de progressivité selon des charges de familles et, à revenu égal, taxer davantage les célibataires.

Pour réaliser cette modulation indispensable, plusieurs techniques existent. Le quotient familial est l’une d’entre elles et probablement la plus aboutie. Mais on peut en imaginer d’autres ; les autres pays européens utilisent plutôt un système d’abattement à la base, qui avait d’ailleurs cours en France avant l’adoption du quotient en 1945. En revanche, le crédit d’impôt que propose le Parti socialiste ne répond pas du tout au même objectif, qui est de modifier le taux du prélèvement en fonction de la taille de la famille. Cette somme fixe allouée à chaque enfant est en réalité une allocation familiale supplémentaire. On peut se féliciter que le Parti socialiste veuille augmenter les allocations familiales, mais présenter cette mesure comme une alternative au quotient familial relève au mieux de l’artifice.

Pour justifier son hostilité au quotient familial, le PS met l’accent sur un de ses effets, qui est d’ailleurs commun, à des degré divers, à tous les mécanismes de prise en compte des charges de familles. L’avantage conféré par le quotient familial est d’autant plus important que les revenus du contribuable sont élevés. Le fait est indéniable et au risque de choquer, il est tout à fait normal. Car il s’agit de l’application pure et simple du principe de progressivité. En effet, celui-ci joue dans les deux sens. Quand le revenu augmente, la taxation s’accroît plus fortement, mais quant il diminue, la taxation décroît aussi plus fortement.

Supposons qu’un cadre supérieur et un cadre moyen perdent chacun, à la suite d’un licenciement par exemple, 20% de leur revenu. Personne ne s’offusquera que l’impôt du premier baisse beaucoup plus l’impôt du second. Pourquoi le faire dans le cas du quotient familial ? Il n’y a guère que pour des revenus très élevés que l’avantage conféré par le mécanisme ne sert plus à couvrir la charge de l’enfant... ce qui justifie pleinement son plafonnement, instaurée en 1981 par le gouvernement de Pierre Mauroy et jamais remis en cause depuis. Si le candidat socialiste estime que le système fiscal actuel est insuffisamment redistributif, c’est son droit le plus strict. Mais il doit alors utiliser le seul instrument qui vaille, c’est-à-dire un renforcement du barème et une augmentation du taux marginal

Le quotient familial est-il exempt de critiques ? Certainement pas. Adopté au lendemain de la guerre, il n’est plus en phase avec l’état de la société et les évolutions de la famille. Il dissuade le travail des femmes. Il complique la vie des parents séparés. Il n’est peut-être même pas un instrument efficace de soutien à la natalité puisqu’après après le troisième enfant, ses effets diminuent fortement.

Il est essentiellement, et c’est aujourd’hui son principal défaut, un quotient conjugal : sur les trente milliards euros non perçus, vingt profitent au couples, mariés ou pacsés, et seulement dix sont affectés à la naissance des enfants. Cette situation ne posait pas de problème en 1945, quand conjugalité et naissance étaient intimement liées. Mais qu’en est-il aujourd’hui alors que ce lien s’est fortement distendu ? Doit-on continuer de financer le seul fait de vivre par deux ? Et quid alors des concubins ? Il est d’ailleurs surprenant que la proposition de François Hollande ne visait que la part du quotient affectée aux enfants et non celle affectée aux couples, au montant beaucoup plus élevé.

En définitive, on pourrait faire beaucoup mieux sur le plan de la politique familiale, avec d’autres mécanismes, notamment avec un système d’abattements à la base plus précisément orienté. Tous ces points mériteraient en tout cas un débat. Mais en répétant toujours les mêmes antiennes et en n’attaquant le quotient familial que sur le terrain de la justice, on se trompe de cible.

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