Panama papers : les sociétés écrans sont peut-être sous des cieux exotiques, les immeubles qu’elles possèdent, eux, sont avenue Foch (et quelques autres vérités bien senties sur les hypocrisies françaises)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Finance
Panama papers : les sociétés écrans sont peut-être sous des cieux exotiques, les immeubles qu’elles possèdent, eux, sont avenue Foch (et quelques autres vérités bien senties sur les hypocrisies françaises)
©Reuters

Pas mieux chez nous

La liste des personnalités impliquées dans le dernier scandale de fraude fiscale est longue. Pour autant, le Panama ne représente pas grand chose par rapport aux véritables enjeux posés par les paradis fiscaux.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

Voir la bio »
Yves Denis

Yves Denis

Yves Denis (s'exprime ici sous pseudo) est avocat fiscaliste. 

Voir la bio »
Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

Voir la bio »

Atlantico : Alors que le scandale des "Panama Papers" secoue la planète entière, n'existe t-il pas une forme d’hypocrisie au travers de ce scandale, mettant notamment en cause la dissimulation de fonds de certains dictateurs, et faisant appel à des mécanismes peu sophistiqués, à l'inverse de pratiques plus "grises" plus largement pratiquées par les résidents des pays occidentaux ?

Yves Denis : Il est clair que les personnes impliquées dans les "Panama Papers" se caractérisent principalement par un manque de sophistication, parce que la société offshore panaméenne est à la fiscalité ce que le gros rouge qui tâche est à la gastronomie. Ici, ce sont véritablement les contribuables qui cherchent le secret absolu (avec succès...) qui sont frappés. Ce type de montage ne laisse que peu d’espoirs en termes de rapatriement des fonds sur le territoire français, par exemple, à moins d’une sérieuse discussion avec Bercy. Le Panama est le type de place exotique qui met en place des structures visant à détenir des fonds n’ayant pas vocation à rentrer sur le territoire de résidence du contribuable impliqué. C’est le degré 0 de l’offshorisation. On peut s’en émouvoir, c’est bien de lutter contre ce type de places, qui logent beaucoup de dictateurs, comme on peut le voir, mais cela ne représente pas grand-chose par rapport aux véritables enjeux posés par les paradis fiscaux.

Thomas Carbonnier : Cette affaire n’est pas sans rappeler les précédents scandales… Plus de 140 personnalités internationales sont mises en cause et ce n’est peut être pas le fruit du hasard. Il s’agirait d’une fraude fiscale suivant un schéma effectivement simple et connu de tous. 

Si la frontière entre la fraude fiscale et l’optimisation est très claire, elle est beaucoup plus floue entre l’optimisation fiscale et l’abus de droit fiscal.

Comme le résumait le Professeur Maurice Cozian, l’abus de droit est le châtiment des surdoués de la fiscalité. Bien évidemment, ils ne violent aucune prescription de la loi et se distinguent en cela des vulgaires fraudeurs qui par exemple dissimulent une partie de leurs bénéfices ou déduisent des charges qu’ils n’ont pas supportés. 

L’abus de droit est un péché non contre la lettre mais contre l’esprit de la loi. C’est également un péché de juriste ; l’abus de droit est une manipulation des mécanismes juridiques là où la loi laisse la place à plusieurs voies pour obtenir un même résultat ; l’abus de droit, c’est l’abus des choix juridiques.

Jean-Philippe Delsol : Je ne suis pas certain que les mécanismes de dissimulation utilisés soient très différents selon le pays de résidence des personnes concernées. Mais il est vrai que la législation de chaque pays est différente et que des pratiques permises dans l’un peuvent être interdites dans l’autre dans des conditions telles que les "montages" utilisés diffèrent d’un pays à l’autre quand il s’agit de transférer ou placer des fonds dans des pays offshore. Je crois également qu’un certain nombre d’hommes politiques, notamment ceux qui concentrent trop de pouvoir, qu’ils apparaissent officiellement ou non comme dictateurs, se croient facilement tout permis. Les vedettes du showbiz ou du sport, autant que certains riches industriels, adoptent également dans certains cas cette attitude d’arrogance par laquelle ils se croient supérieurs aux autres. Et dans ce cas, ils ont tendance à passer plus facilement la ligne rouge.

A quels types de "publics" s'adressent les structures de type Panama et Bahamas ? En quoi ces mécanismes sont, le plus souvent, mis à l'écart, des solutions utilisées par les entreprises ou citoyens européens ? Concernant ces derniers, quelles sont les paradis fiscaux réellement utilisés? 

Yves Denis : Pour des Européens résidents, l'objectif est en général assez différent. Il s’agit de mettre en place des structures permettant de réduire l’imposition au maximum en usant de l’intégralité des moyens fiscaux, légaux, mis à disposition. Ce qui nécessite l’emploi de juristes en capacité de jongler avec les faiblesses juridiques des Etats, de faire surgir leur capacité d’innovation et de création fiscale. Mais l’emploi de sociétés panaméennes au cœur de montages juridiques sophistiqués reviendrait à invalider tout l’ensemble, tant le soupçon de fraude qui colle à la peau du Panama est évident.

Thomas Carbonnier : La France est un paradis fiscal pour les contribuables pauvres qui peuvent bénéficier de niches fiscales très spécifiques (plafonnement de la taxe d’habitation voire exonération ; remise partielle ou totale de l’IR en cas d’indigence ; etc). Ce ne sont certainement pas les pauvres qui ont le plus intérêt à recourir à des structures offshore aux Panama ou Bahamas….

Nul doute que ces schémas s’adressent aux contribuables en quête de soleil et de beau temps pendant les jours gris de la fin du mois de mars… 

Toutefois, pour éviter que les touristes ne succombent aux charmes des sirènes panaméennes ou bahamasienne, la France s’est dotée de mécanismes législatifs lui permettant de sanctionner lourdement de tels schémas, même lorsqu’ils sont réalisés au travers de sociétés en cascades. A titre d’exemples, il est possible de citer les articles 123 bis ou 209 B du Code général des impôts. 

Les vraies optimisations fiscales se logent dans les prix de transfert des entreprises avec des pays européens à fiscalité réduite. Toutefois, ces optimisations ne s’adressent pas à la TPE mais plutôt à la belle PME cotée en bourse voire à la grande entreprise.

Jean-Philippe Delsol : Les pays offshore sont de moins en moins nombreux. Des pays à fiscalité privilégiée comme Singapour ou les British Virgin Islands se sont engagés à répondre aux critères de transparence édictés par l’OCDE. Les pays européens comme Malte, Chypre, Jersey… y sont également soumis. Le Panama est l’un des derniers pays où les actionnaires des sociétés anonymes peuvent conserver leurs actions au porteur, c’est-à-dire sans être obligés de se déclarer comme actionnaires. Mais bien entendu, ces structures sont utilisées par des gens très différents. Il y a certainement ceux qui veulent y placer l’argent de la drogue ou du crime, l’argent de la corruption. Mais il y a également des industriels qui utilisent ces structures par souci de confidentialité et, dans certains cas pour des raisons fiscales mais en parfaite légalité. Par exemple, un résident anglais qui a en Angleterre un statut de non-domicilié (non domiciled) peut librement disposer de capital et de revenus à l’étranger sans les déclarer en Angleterre, que ce soit au Panama ou ailleurs. Il en est de même d’un étranger imposé "au forfait" en Suisse. Il faut donc éviter de faire de l’amalgame.

Le Président François Hollande a immédiatement réagi face au scandale des "Panama papers". Pourtant, la France, au travers d'accords fiscaux avec le Qatar, ou le Koweit, peut également apparaître comme un paradis fiscal pour certains. De la même façon, si certaines personnalités africaines sont ciblées par le scandale du Panama, les questions relatives aux "biens mal acquis" démontrent que des capitaux étrangers "douteux" sont bel et biens investis en France. Ne s'agit-il pas, là aussi, d'une certaine hypocrisie de la part des autorités? 

Yves Denis : Il y a en effet une forte hypocrisie des pouvoirs publics sur cette question. Panama, ce n’est une surprise pour personne et c’est justement le problème. S’il a fallu attendre un travail de journaliste pour sortir de tels résultats, c’est que la pression politique qui s’est exercée sur Panama n’a pas été très violente tout au long de ces années. La question à se poser est donc celle de la volonté politique face à ce type de pratiques. Concernant la France, évidemment, si les dirigeants s’offusquent de la situation, il faudrait aussi peut être s’interroger sur le fait que ces chères sociétés offshores du Panama, des Iles Vierges, ou autres, détiennent une belle part du parc immobilier français de luxe, et ce, sans que cela ne choque qui que ce soit. Paris, l’avenue Foch, la Côte d’Azur, les stations de sport d’hiver, sont des lieux où les notaires français sont habitués à traiter avec ce type de structures. Dans ces conditions, il est un peu ridicule de lever les bras au ciel lorsque surviennent des révélations du type "Panama Papers". L’évasion fiscale, c’est bien de lutter contre quand on en est victime, mais quand ca peut profiter au pays…on est un peu moins regardant.

Concernant le Qatar et le Koweit, l’exonération des plus-values immobilières est la règle, sous certaines conditions, et l’amendement prévu en 2014 par certains députés a tout simplement été retiré.

Thomas Carbonnier : En 2014, les députés ont voté un amendement demandant au Gouvernement un rapport relatif aux "exonérations de plus-values immobilières accordées à certains États, à leur banque centrale ou à l'une de leurs institutions financières publiques". Si le Qatar n'était pas mentionné, il était clairement visé par l'amendement. 

Une convention fiscale, adoptée en 2009 sous la Présidence de Sarkozy permet au Qatar et à ses entités publiques d'être exonérés d'impôt sur leurs plus-values immobilières ! 

Pour fluidifier le marché immobilier français, la même mesure aurait pu être prise à destination des petits propriétaires français qui, eux, contribuent aux charges de la nation…

Malheureusement, quelle que soit la couleur politique, les très riches bénéficient de nombreux avantages fiscaux alors que les classes moyennes supérieures qui se sont défoncées au travail, elles, subissent une taxation confiscatoire au nom de l’égalité entre les citoyens.

Le système fiscal tel qu’édifié est totalement hypocrite. Pire, il favorise le financement du terrorisme via des exonérations sur les revenus de capitaux, d’origine douteuse..., en provenance de pays étrangers.

Jean-Philippe Delsol : Le Président François Hollande est toujours content de trouver des boucs émissaires et il doit être très satisfait d’avoir à portée de main une affaire qui peut faire les titres des journaux pour faire oublier les échecs de la déchéance de nationalité ou de la loi El Khomri. Au demeurant, vous avez parfaitement raison sur le fait que la France pratique parfois elle-même des régimes très particuliers pour attirer les étrangers et c’est notamment le cas avec les investissements qatari en France qui bénéficient de conditions d’exemption fiscale tout à fait anormales. Et si beaucoup de dirigeants de pays peu développés apparaissent comme actionnaires de sociétés panaméennes, la question peut se poser de savoir si notre conception, en France et sans doute plus généralement en Europe, de l’aide internationale ne tend pas à favoriser la corruption. L’argent versé par la France et d’autres pays à ces pays en voie de développement ne finit-il pas trop souvent dans la poche des dirigeants de ces derniers et dans des sociétés panaméennes ? Plutôt que de verser des aides et subventions à ces pays, il vaudrait sans doute mieux libérer tous nos échanges avec eux pour leur permettre de pouvoir mieux exporter leurs produits.

Quels sont les moyens les plus efficaces pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscale ? En quoi se différencient-t-elles des pratiques d’optimisation fiscale ? La frontière entre ces deux pratiques est-elle si aisée à établir ? 

Thomas Carbonnier : Le Président de la Banque mondiale n’a pas hésité à qualifier de corruption l’optimisation fiscale déployée par de grandes entreprises. Toutefois, le vrai problème se situe ailleurs. 

De nombreux pays se concentrent sur le traitement des symptômes (un manque à gagner pour l’Etat) plutôt que de traiter leur cause (une pression fiscale trop forte). Un choc de simplification fiscal serait nécessaire, au même titre que sortir de l’idéologie et agir comme un chef d’entreprise. 

Il faudrait supprimer de nombreux impôts complexes, coûteux à recouvrer et en définitive peu rentables. Dans cet état d’esprit, la mise en place d’une " flat tax" à l’instar des pays de l’ex-URSS (taux unique inférieur à 15%) serait une piste intéressante.

De cette manière, la fraude simple ou complexe ainsi que l’optimisation fiscale ne seraient plus un sujet. Le jeu n’en vaudrait plus la chandelle pour de nombreux contribuables !

Jean-Philippe Delsol : Il faut en effet distinguer la fraude fiscale de l’optimisation fiscale, la différence que font les anglo-saxons entre tax evasion et tax avoidance. La fraude fiscale convient à organiser le détournement et la violation des règles fiscales applicables tandis que l’optimisation fiscale consiste à mettre en œuvre les moyens pour réduire la charge fiscale en toute légalité. L’optimisation fiscale est normale et elle est même souhaitable. Que dirait-on d’un chef d’entreprise qui ne chercherait pas à diminuer ses charges, et notamment ses charges fiscales pour autant que ce soit en toute légalité. Mais il est vrai que la frontière est parfois grise, notamment lorsque l’optimisation fiscale relève d’une organisation complexe tendant à bénéficier d’avantages indus. Mais dans ce dernier cas, et lorsque les états considèrent que les schémas d’optimisation fiscale relèvent d’un détournement de la loi, ils utilisent l’abus de droit pour les combattre. Au demeurant, si l’optimisation fiscale peut parfois apparaître comme excessive, c’est que les lois fiscales ne sont pas suffisamment claires ou sont mal adaptées. Il y aurait moins de paradis fiscaux et moins de sociétés panaméennes si les pays occidentaux pratiquaient une fiscalité plus simple, plus raisonnable, plus compréhensible.

Propos recueillis par Emilia Capitaine

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !