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Pourquoi Manuel Valls pourrait se retrouver dans une situation (très) délicate si François Hollande renonçait à se présenter en 2017
©Reuters

Le candidat malgré lui

Si François Hollande venait à renoncer à un second mandat, Manuel Valls serait forcé de représenter la gauche en 2017. Et il aurait beaucoup à perdre dans ce cas de figure. Ce qui fait qu'on peut se demander si sa loyauté affichée à François Hollande n'est pas aussi une façon de préparer sereinement son destin national, qui aurait plutôt pour horizon l'échéance présidentielle suivante, en 2022.

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc est un philosophe, journaliste et essayiste catholique. 

Il est éditorialiste de France catholique et de Radio Notre-Dame.

Il est l'auteur de l'Abécédaire du temps présent (chroniques de la modernité ambiante), (L'œuvre éditions, 2011). 

 

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Annabel Roger

Annabel Roger

Annabel Roger, journaliste indépendante, ancien grand reporter à RMC, collabore à la revue L'Hémicycle et à Radio Classique.

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Atlantico : Le dernier sondage Cevipof publié le 30 mars montre que Manuel Valls s'impose comme le candidat le plus crédible à gauche pour atteindre le second tour en 2017, selon 30% des sondés, devant Emmanuel Macron (25%), Martine Aubry (16%) et loin devant Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon (8%) et surtout François Hollande (7%). Pour autant, si ce dernier renonçait à se présenter en 2017, comme certains suggèrent qu'il y songe actuellement, Manuel Valls ne se retrouverait-il pas paradoxalement dans une situation embarrassante ? En quoi le moment serait-il mal choisi pour une candidature Valls à la présidentielle ?

Annabelle Roger : Une chose est certaine, et il faut le rappeler : Manuel Valls ne sera pas candidat si François Hollande l'est. Si Hollande n'y va pas, Valls n'aura pas le choix, et ce n'est pas une bonne chose, étant donné l'état de la gauche et de l'exécutif. Evidemment, le bilan de la gauche au pouvoir sera en très grande partie imputé à François Hollande, mais Manuel Valls en est aussi comptable. S'il a plus de chance que François Hollande (est-ce si difficile aujourd'hui après tout ?) il semble que sa candidature aujourd'hui est très mal engagée. Il aurait tout intérêt à se préserver pour 2022.

Gérard Leclerc : Ce ne seraient pas les meilleures conditions loin de là, d'autant plus qu'il n'aura pas le choix. Si Manuel Valls est candidat, c'est que François Hollande a abandonné l'idée d'être candidat parce qu'il aura estimé qu'il n'y aura aucune chance pour lui de réussir à emporter ce scrutin. Cela voudra dire que la gauche socialiste serait dans ce cas de figure dans un état tel qu'une victoire de toute façon serait impossible à envisager. Bien évidemment, c'est tout sauf engageant pour Manuel Valls de se lancer dans ces conditions. C'est la situation qui est actuellement celle de la gauche aujourd'hui, c'est-à-dire dans un état désastreux tel; du fait d'une série d'échecs importants, qu'on l'imagine perdre au soir du premier tour. 

Partir dans ces conditions-là n'est pas très engageant ! Mais la logique veut que si Hollande n'y va pas ce soit nécessairement lui, en tant que Premier ministre et homme fort du gouvernement qui prenne sa place. Il sait aussi qu'on gagne très rarement la présidentielle du premier coup. Inscrire son nom comme candidat de la gauche, apparaitre malgré lui comme tel aux yeux des Français est une bonne chose pour lui. D'autant plus qu'il est impossible pour lui de laisser la place à un autre candidat ; ce serait créer un opposant de toute pièce quand il semble qu'aujourd'hui il a réussi à se positionner comme le seul remplaçant crédible à Hollande. Par exemple vis-à-vis d'Emmanuel Macron. Ce serait jouer contre son seul avantage aujourd'hui, celui de la crédibilité que lui accorde les sondages. Car son  véritable objectif va être 2022, et quel que soit le scénario, il se doit d'y arriver en position de force.

Le sondage montre par ailleurs que Manuel Valls n'est pas celui qui incarne le mieux la gauche aujourd'hui dans l'opinion (il est derrière Martine Aubry, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon et n'obtient les faveurs que de 13% des sondés). Dans quelle mesure a-t-il échoué à convertir la gauche à sa vision réformatrice, contrairement à Nicolas Sarkozy qui avait réussi à le faire à droite en enterrant le chiraquisme ?

Annabelle Roger : Il a aggravé son cas ces derniers temps. Son côté très sécuritaire en faisait déjà un homme de gauche peu orthodoxe ; la Loi El Kohmri, considérée comme un projet de droite par la gauche, a achevé de l'isoler dans son propre camp. Il est redevenu ce qu'il était en 2012, l'homme des 5% aux primaires. C'est un handicap supplémentaire pour une candidature en 2017. 

Manuel Valls, contrairement à ses adversaires, a toujours été un homme seul. On parle des aubristes, des hollandais, on parlait aussi des strauss-kahniens… mais on ne parle pas des vallsistes. Manuel Valls n'a pas travaillé sur le fait de rassembler un vrai courant de fidèles et de soutiens de marque autour de lui. Il a de fait quelques députés et quelques sénateurs affiliés, mais c'est peu. Valls est quelqu'un de très sec, de très droit, de très rigoureux et intransigeant, en décalage complet avec le fonctionnement très émotif du PS. Ce qu'incarnait parfaitement Hollande avant d'être désigné. Valls donne trop dans la castagne quand il devrait essayer de faire des efforts de synthèse. 

Il pense pour l'instant avoir réussi envers et contre tous. Il a peut-être raison avant les autres, mais il est clair qu'il n'est pas pour l'instant dans le bon timing. 

Gérard Leclerc : La situation est totalement différente, en ce que Nicolas Sarkozy en sortant du chiraquisme n'avait pas pour autant rompu avec la ligne idéologique de droite prônée par l'UMP. Il avait changé de style de gouvernement comme l'a fait Manuel Valls, mais ce dernier a en plus affirmé renouveler l'orientation politique de son parti, et ce depuis 2012, avec des déclarations par exemple sur les 35h. Il a même proposé de changer le nom de son parti. A l'époque, il était très minoritaire au sein du Parti Socialiste et en décalage avec la ligne centrale de celui-ci. Ce qui est d'avantage surprenant est qu'ayant fait 5% aux primaires, il se retrouve Premier ministre aujourd'hui, incarnant une nouvelle ligne gouvernementale qui n'a pas encore été légitimée clairement par une élection. C'est ce qui explique qu'une bonne partie des forces politiques du Parti Socialiste ne se reconnaissent pas dans cette ligne gouvernementale, car elle est bien à droite de la moyenne idéologique du parti.

Manuel Valls ne souffre-t-il pas aussi et surtout du manque de soutien du PS, qui lui serait indispensable dans l'hypothèse d'une candidature à la présidentielle ? En quoi l'appareil ne lui est-il pas encore suffisamment acquis ?

Annabelle Roger : Il est considéré comme très à droite au sein du PS. Et ce sur tous les sujets : trop sécuritaire (on parle de Sarkozy de gauche), trop pro-entreprise (son "j'aime l'entreprise" lancé au MEDEF a fait grincer bien des dents). Les militants sont d'accord pour dire qu'il n'a pas tort sur tout, mais il y a un trop plein de positions droitières qui le mettent en difficulté pour conquérir les cœurs des socialistes. C'est un problème de posture. Son côté matador, qui consiste à mater plutôt que convaincre, ne passe pas du tout au sein de son parti. Un fossé symbolique et idéologique s'est creusé entre lui et une bonne partie du PS. Après le pacte de responsabilité (41 milliards accordés aux entreprises) puis la loi El Kohmri, on dirait qu'il y a un point de non-retour qui a été atteint aujourd'hui, et que la rupture a été pleinement acceptée même si le Parti tient encore debout. Une candidature en 2017, cela voudrait dire conduire effectivement cette rupture à terme, ce que Manuel Valls aimerait éviter en laissant la place de candidat à Hollande. La meilleure façon d'entériner cette rupture serait de la laisser se faire au lendemain de la défaite très probable du Président sortant. 

Comme personne n'a la possibilité de le remplacer, il semble que Manuel Valls aimerait éviter de représenter un parti qui ne le soutiendra que contraint et forcé. On l'a vu avec Ségolène Royal en 2017.

Gérard Leclerc : Il est vrai qu'il n'a pas encore mis la main sur le parti, mais ce qui va principalement jouer au-delà des dissensions idéologiques, c'est le rôle des sondages. Si les sondages le placent comme aujourd'hui comme l'homme fort de la gauche nouvelle, il y a fort à parier que cette tendance actuelle s'inverse. Aujourd'hui, il n'a pas le parti dans la poche parce que le parti n'a pas besoin de lui pour s'assurer des sièges à l'Assemblée ou au Sénat. Quand ce sera le cas, je pense qu'il sera soutenu. Evidemment, il aura toujours comme adversaire la gauche du parti, et on pourrait assister à des désistements. Cela, il devra dès lors travailler au rassemblement, ce qui est une tâche importante mais essentielle. Il devra aussi livrer la bataille de la primaire de la gauche, en comptant sur sa légitimité en tant que Premier ministre sortant. Cette restructuration du parti, il devra la mener de toute façon. Les conditions en cas d'une campagne en 2017 seront certes moins bonnes, mais il y a de grandes chances qu'il en sorte vainqueur à gauche. Aujourd'hui, personne ne peut lui contester cette victoire de toute façon.

Ne paie-t-il pas aussi son image de "petit dictateur" trop sanguin et impulsif, comme certains le lui reprochent avec virulence à gauche ? N'est-il pas un peu trop tard pour effacer cette facette de sa personnalité dans l'esprit des Français ?

Annabelle Roger : Manuel Valls a un personnalité très raide, sûre de lui, disposée à tous les combats… on n'apprend pas à faire la grimace à un vieux singe : il ne changera pas. Il n'a d'ailleurs certainement pas la volonté de la modifier, et est à mon avis certainement très fier de ce qu'il est. 

Suivant tout particulièrement son parcours depuis quelques années, je peux vous dire que rien ne semble aller vers un assouplissement de son image. 

Mais la gauche aime paradoxalement assez les candidats austères : en cela il correspond assez au type de bons candidats tels que les aime la gauche (on peut penser à Jospin et Mitterrand qui n'étaient pas des joyeux drilles !). Je pense que son problème est moins sa personnalité que sa ligne politique. 

Gérard Leclerc : On sait qu'il a l'autorité, la légitimité du pouvoir et l'énergie que n'ont pas ses concurrents. Mais il est vrai que c'est à double tranchant. Il a aussi un côté un peu provocateur, un peu batailleur qui peut énerver et énerve bien des gens à gauche, d'autant plus que son positionnement rompt avec les postures habituelles chez lui. Il est plus Clémenceau que Jaurès, dans un parti qui a bien plus souvent mis le second au-dessus du premier.  Il reste cependant un ancien du parti, et cela, personne ne peut le nier. Il a les sondages d'opinion avec lui.

Sa candidature ne risquerait-elle pas de réveiller les ambitions de personnalités rivales comme Emmanuel Macron à sa "droite", et de renforcer Jean-Luc Mélenchon ou Benoît Hamon et Arnaud Montebourg à sa gauche ?

Annabelle Roger : La candidature présidentielle de Jean-Luc Mélenchon est déjà sur les rails. Ce sera un adversaire de poids, qui n'a jamais cessé de critiquer le gouvernement et qui pourrait rassembler les déçus du socialisme autour de lui. 

Si le Président ne se présente pas, il y aura une primaire à gauche, c'est certain. Manuel Valls aura certainement fort à faire car d'autres candidats potentiels se préparent à cette éventualité. Benoit Hamon a déjà dit qu'il se présenterait s'il y avait une primaire. On sait que Macron prépare quelque chose, qu'il a créé un cercle politique, peut-être plus dans l'optique de 2022… Beaucoup de candidats plus à gauche sont intéressé par cette primaire et rêvent d'en découdre d'égal à égal avec Valls. On peut s'interroger sur le cas Montebourg, qui semble se détacher de toutes ces problématiques pour l'instant, mais qui a de grandes ambitions lui aussi et qui pourrait être un recours très crédible pour la gauche du PS contre Manuel Valls. 

Une autre personnalité importante pourrait aussi être Anne Hidalgo, plus en 2022.  On sait qu'elle y pense de plus en plus, et il faudra compter avec elle dans les années à venir. 

Gérard Leclerc : Le parti socialiste ne va pas donner sa bénédiction comme cela : il y aura évidemment d'autres candidats, d'autant plus que Manuel Valls a de fait beaucoup d'adversaires. Il remportera la primaire, c'est sûr. On peut se poser la question de savoir s'il sera en position de force absolue à la sortie de celle-ci. Mais il garde comme force d'être le seul candidat naturel. 

Il aurait évidemment intérêt à ce que François Hollande soit candidat en 2017, ce qui lui permettrait d'éviter à avoir à batailler dès cette fin d'année avec les autres ténors du parti. Que l'actuel Président gagne ou perde, il sera alors le successeur désigné et pourra se préparer à la prochaine échéance. En 2017, ce sera peut-être plus difficile et plus violent, mais il n'aura pas le choix. Il risquera de se faire battre sévèrement en 2017, payant le bilan de Hollande, ce qui serait très ennuyeux pour lui. Mais il peut éviter cette situation, et tout cas il est le seul à pouvoir l'éviter aujourd'hui à gauche.

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