Pourquoi la hausse historique du salaire minimum en Californie sera globalement inefficace dans la lutte contre les inégalités<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pourquoi la hausse historique du salaire minimum en Californie sera globalement inefficace dans la lutte contre les inégalités
©

Smic sex and sun

D'ici 2022, en Californie, le salaire minimum doit augmenter de 50% et passer de 10$ de l'heure pour arriver à 15$. Une hausse historique, vécue comme une victoire par les candidats démocrates, mais qui sera malheureusement un coup d'épée dans l'eau pour lutter contre les inégalités : le salaire minimum n'est pas le bon levier.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

Voir la bio »

Atlantico : Le gouverneur de Californie, Jerry Brown, a obtenu un accord visant à augmenter le salaire minimum dans son Etat, d'un seuil de 10$ aujourd’hui, pour en arriver à 15$ d'ici à 2022. Quel est l'objectif réel de cette mesure ? Un salaire minimum élevé est-il réellement une arme efficace contre la formation des inégalités, ou s'agit-il d'un leurre ? 

Alexandre Delaigue : Rappelons d'abord que c'est une question qui concerne les économistes depuis un moment déjà. Le salaire minimum est ce que l'on pourrait appeler un vrai sujet. Tout un temps, jusqu'aux années 1980, l'idée dominante consistait à voir le salaire minimum comme un mauvais moyen de lutter contre la pauvreté. Derrière cette idée, l'argument principal était le suivant : augmenter le salaire minimum bénéficie aux gens qui le touchent déjà (et qui toucheront donc plus d'argent), mais cela revient à bloquer tous les gens qui ne rapportent pas à l'employeur le montant du salaire minimum en question. Ceux-là seraient supposés se retrouver au chômage. Pour toute une partie des employés potentiels, donc, on remplace des salaires minimum - bas, certes - par le chômage.

A partir des années 1990, de nombreux travaux empiriques ont cherché à mesurer cet effet, à questionner cet aspect négatif qu'on prêtait au salaire minimum. Le résultat de ces études n'a pas été si catégorique : la littérature empirique qui a découlé de ces travaux n'a pas prouvé l'existence de cet effet. On peut d'ailleurs en résumer la conclusion par un constat simple : des augmentations modérées du salaire minimum n'ont pas d'effets particuliers sur l'emploi. Parfois, en contrepartie des effets négatifs qui lui sont prêtés (un des travaux les constatait), des effets positifs venaient rééquilibrer l'ensemble. C'est la littérature relative à ce que nous appelons le salaire d'efficience. En augmentant le salaire minimum, les salariés sont plus motivés et donc plus productifs (ce qui est perdu d'un côté est donc gagné d'un autre côté grâce à des employés qui travaillent mieux). Cela permet également une meilleure organisation du marché du travail : si les employeurs disposent d'un pouvoir excessif sur le marché du travail et se coalisent pour mettre en place des salaires particulièrement bas, cela a un effet dissuasif sur les salariés, qui ne souhaitent plus travailler. Contraindre à un salaire minimum plus élevé les pousse vers l'activité. Des hausses modérées du salaire minimum, d'après la littérature économique, n'ont donc pas d'effets négatifs et peuvent avoir quelques effets positifs. Cela étant, cette littérature reste très contestée. Nombreux sont ceux qui estiment que le salaire minimum a des effets auxquels nous n'avons pas pensé et qu'en dépit du fait que, globalement, le chômage n'est pas touché, il augmente pour certaines catégories de la population. A savoir les jeunes et les peu qualifiés. 

Pour en revenir à la question des inégalités, le salaire minimum a assez peu d'effets. Cela n'est pas une vraie réponse économique à cette question, mais ça l'est davantage à celle de la pauvreté... bien qu'elle ne soit pas très efficace. Ce n'est pas un très bon outil pour jouer sur les inégalités, qui naissent du fait que quelques salaires montent à des niveaux extrêmement élevés quand les autres stagnent ou diminuent. Par ailleurs, dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, il est important de voir que la lutte au travers du salaire minimum n'est pas la plus efficace. Je m'explique : prenons l'exemple d'un employé dans la restauration, en charge de nettoyer la salle après le service. Si le salaire minimum augmente, son salaire minimum également... mais cela reste un salaire horaire. Son employeur pourrait tout à fait lui imposer de faire ce qu'il faisait avant en X heures en désormais X-1 heures. Et si l'employé n'est pas d'accord, l'employeur peut le licencier pour embaucher quelqu'un d'autre... Au bout du compte, le salaire minimum a augmenté mais le revenu du salarié diminue. Cela n'aura pas d'effet sur les inégalités et cette action sur la pauvreté ne sera pas extraordinairement efficace.

Le salaire minimum a néanmoins quelques atouts, notamment aux yeux des conservateurs britanniques, par exemple. A leurs yeux, il s'agit d'un substitut à d'autres dépenses publiques que l'on souhaiterait réduire. Les autres alternatives pour lutter contre la pauvreté ne sont pas non plus extraordinaires : soit très coûteuses (comme les allocations), soit trop ciblées et donc peu efficaces. Le salaire minimum n'est certes pas un dispositif extraordinaire, mais il s'ancre dans un ensemble de dispositifs parmi lesquels aucun ne l'est. L'un de ses principaux avantages, c'est avant tout la facilité avec laquelle on peut agir directement dessus, ainsi que sa visibilité. Il faut reconnaître également qu'il a un côté cynique, d'un point de vue politique : il permet à un gouvernement de donner l'impression qu'il agit. En un sens, il permet de faire de l'affichage politique sans avoir un résultat extraordinaire... Mais encore une fois, des mesures avec des résultats de la sorte ne sont pas nombreuses. En vérité, il y en a même extrêmement peu.

Alors que la France est réputée pour un salaire minimum figurant parmi les plus élevés de la zone euro, et est régulièrement critiquée pour cela, quels sont les enseignements à tirer du cas californien ?

Il est probable que beaucoup utilisent le cas californien pour appuyer des discours visant à montrer que notre salaire minimum n'est pas si élevé qu'il en a l'air. Qu'il n'est pas véritablement un problème. Avant de s'embarquer dans ce genre de considérations, il est important de savoir de quoi nous parlons : si l'on s'attarde aux détails, on remarquera que le revenu par habitant en Californie est bien supérieur au revenu par habitant en France. Si nous voulions aller dans la même direction, cela reviendrait à plaider pour un salaire minimum plus élevé dans certaines régions (comme en Île-de-France, par exemple) et plus bas dans des régions qui font face à plus de difficultés et plus de chômage des peu qualifiés. Les implications politiques ne sont pas nécessairement celles auxquelles on pourrait penser a priori.

Il est important de noter aussi que le chômage français se concentre fortement au niveau des peu qualifiés. Le coût du salaire minimum a l'air de poser problème. Loin de dire qu'il faudrait le réduire (toucher le salaire minimum en France, ça ne correspond objectivement pas à toucher beaucoup) mais nous sommes un peu pris dans la nasse : trop faible pour ceux qui le touchent, mais un coût élevé pour ceux qui le paient, par rapport à la situation du marché du travail et à sa productivité. Dans tous les cas, il serait aller vite en besogne que de déduire du cas californien que le salaire minimum ne présente aucun problème. Par ailleurs, nous ignorons encore jusqu'où ira l'expérience en Californie : ce que l'on sait, c'est qu'un salaire minimum à un niveau raisonnable qui connaît de petites hausses ne provoque pas d'effets négatifs. Ici, il est question d'une hausse de 50% sur un espace-temps court. C'est un territoire très différent de tout ce qui prévalait avant et on ne peut pas exclure l'hypothèse que la Californie devienne invivable pour les bas revenus avec la dualisation complète de son marché du travail : d'un côté, des immigrés clandestins payés bien en-dessous du salaire minimum ; de l'autre côté, une situation très difficile pour les Américains peu qualifiés. C'est un risque.

D'un point de vue théorique, quels sont les avantages et les inconvénients d'un salaire minimum élevé ? En quoi le contexte économique du pays qui le met en place est, ou non, déterminant ?

De manière générale, le salaire minimum, comme tous les salaires, est déterminé par la productivité du pays. Le meilleur prédicteur des salaires, c'est bien la productivité - ce qu'une économie est capable de produire. Un salaire minimum au niveau du salaire minimum français en Chine ou en Afrique subsaharienne serait, de facto, complètement aberrant. Puisque le niveau des salaires dépend de cette variable, c'est également vrai pour celui du salaire minimum qui doit suivre, au moins partiellement.

En théorie, le salaire minimum pourrait avoir en pratique des aspects positifs. D'une part, la motivation des salariés, comme expliqué précédément, bien que certains économistes y voient là un argument pour les employeurs. Dès lors que, d'après eux, le salaire minimum génère du chômage, il devient un bon argument pour faire pression sur les salariés : il permet de leur dire qu'il leur faut être très productifs, sans quoi le salaire minimum causant du chômage leur permet de souligner la compétition avec ceux qui pourraient souhaiter leur place. Il sert donc à exiger des salariés une forte productivité ou une forte tolérance à des conditions de travail très dures.

D'autres arguments faisaient du salaire minimum une certaine forme de redistribution, laquelle permettrait plus de consommation et donc une relance de la conjoncture économique. C'est une idée que nous pouvons désormais abandonner, dans la mesure où nous ne savons pas comment sera payée la hausse du salaire minimum : si l'entreprise décide qu'elle investira moins, ce qui est gagné par des salariés sera déduit à d'autres. L'entreprise peut aussi décider de tout répercuter sur les prix... L'effet est tout à fait imprévisible.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !