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Les scandaleuses pratiques du centre psychothérapique de Bourg-en-Bresse
©Reuters

Une histoire de fous

Malades attachés pendant des mois sur un lit. Malades enfermés dans leurs chambres sans qu’ils puissent en sortir. Et bien d’autres choses encore. Il y a de drôles de pratiques au Centre psychothérapique de Bourg-en-Bresse. C’est ce que dénonce la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Le ministère de la Santé a été alerté. Celui de la Justice va-t-il l’être ?

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Un rapport dénonce certaines pratiques au Centre psychothérapique de Bourg-en-Bresse. Parmi celles-ci, la propension fréquente à garder les malades attachés à leur lit.

  • Ce document paru au Journal Officiel a été communiqué à la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine. Peut-être aurait-il dû l’être au ministère de la Justice

  • Des mesures, selon Marisol Touraine, devraient être prises pour remédier à ces déviances. Parmi celles-ci : l’abandon de la contention pour les malades, utilisée de façon trop systématique 

Comme le dit la formule, c’est incroyable, mais vrai. Il existe en France un centre psychothérapique où des malades restent attachés à leur lit des journées entières. L’un d’entre eux se trouve dans cette situation 24 heures sur 24 depuis des années. Le personnel serait même incapable de dire à quelle date remonte cette contention qui relève d’un autre âge. Voilà ce qu'il se passe dans cet hôpital psychiatrique qui se trouve à Bourg-en-Bresse (Ain). Ce constat accablant vient d’être établi par la contrôleuse générale des lieux privatifs de liberté, Adeline Hazan, magistrate, ancienne maire de Reims (PS) qui s’est rendue sur place du 11 au 16 janvier 2016 en compagnie de son équipe. Elle écrit noir sur blanc que  les "conditions de prise en charge des malades portent des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées dans cet établissement". "Ce que nous avons découvert à la lecture du rapport de Mme Hazan va bien au-delà de ce que nous pouvions imaginer. C’est tout simplement insupportable", renchérit Béatrice Borrel, la présidente de l’UNAFAM, association qui s’occupe de personnes atteintes de maladies psychiques. Mme Borrel sait de quoi elle parle : elle avait été mise au courant, l’année dernière, de la situation existant au centre de Bourg-en-Bresse par un bénévole dont la fille est restée là-bas 17 mois à l’isolement. 

On se frotte les yeux pour le croire. Adeline Hazan, via donc la présidente de l’UNAFAM, a informé la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine. N’aurait-elle pas dû alerter également le procureur de Bourg-en-Bresse ? Ce dernier, qui a dû lire ce rapport évoqué par Libération, publié au Journal Officiel  du 16 mars 2016, ne devrait-il pas se saisir de la situation peu banale qui règne au centre de Bourg-en Bresse ? Implanté à la périphérie de la ville, ce centre, seul établissement de soins psychiatriques du département, dispose d’une capacité d’accueil de 412 lits, 393 pour les adultes, et 19 pour enfants et adolescents. Si les conditions hôtelières d’hébergement apparaissent satisfaisantes et les locaux collectifs propres et bien entretenus, sur le plan médical, on ne peut délivrer un satisfecit équivalent. D’abord, la question des violations graves des droits fondamentaux des patients. Dans chaque unité - au nombre de 7 dont une ouverte de court séjour - la restriction d’aller et venir est quasiment la règle. Toutes les unités sont fermées. Elles disposent certes d’une cour intérieure close qui n’est accessible qu’à certaines heures de la journée. Quant au parc de l’hôpital, son accession est encore plus restreinte.

Dans les unités dites "de soins de suites" - au nombre de 3 -, la liberté de circuler est encore plus faible. C’est ainsi que les malades - au nombre de 87- ne peuvent se promener que deux fois une demi-heure par jour. Ils ne peuvent fumer plus de quatre cigarettes par jour. Ils n’ont pas accès à leurs placards personnels puisque ce sont les soignants qui en détiennent la clé. Enfin, certains patients ne peuvent sortir de leur chambre, cette dernière étant fermée jour et nuit. Tout aussi ahurissant : certains patients peuvent rester attachés à leur lit, sans qu’un médecin ne les examine ! Heureusement, dans ce tableau sombre, Adeline Hazan trouve une raison d’être (relativement) optimiste : les équipes de soins - constituées en grande partie de jeunes diplômés - se montrent, dans l’ensemble, attentives aux patients. Mais hélas, elles se trouvent bien démunies en raison d’une présence médicale insuffisante qui a pour effet d’alimenter la logique d’enfermement… Après ce bon point, pratiquement le seul, suit une page entière au titre édifiant : "Un recours à l’isolement et à la contention utilisé dans des proportions jamais observées jusqu'alors et non conforme aux règles communément appliquées". Des exemples qui font froid dans le dos, le rapport en cite toute une série. C’est notamment ce qu'il se passe à l’Unité pour malades agités et perturbateurs (UMAP). Les patients y sont traités d’une façon qui ne peut que susciter réprobation et effroi.

Toutes les chambres - 21 - sont sur le même modèle : un espace nu, équipé d’un lit centre cloué au sol permettant la contention, d’un lavabo et d’un WC. Aucun espace n’est à l’abri des regards extérieurs. Les douches, une pour deux chambres, sont des cabines sans porte ni rideaux. Les patients sont donc contraints de se laver sous la surveillance directe des soignants. Aucune chambre ne dispose de bouton d’appel. Au cours de la visite d'Adeline Hazan, cette unité destinée au traitement d’une crise comptait 3 patients… Et la contrôleuse générale de remarquer : "Cette unité est parfois utilisée à des fins disciplinaires". La situation constatée dans les 46 chambres d’isolement laisse pantois. En moyenne, 35 chambres d’isolement sont utilisées chaque jour, ce qui représente plus de 13 000 journées passées en chambre d’isolement en une seule année. "Dans l’une des unités de soins de suite, certains patients y sont à demeure", écrit Adeline Hazan. Elle poursuit : "Dans l’une de ces unités, une personne est isolée, attachée, depuis une date indéterminée, chacun des soignants dont certains sont en poste dans l’unité depuis plusieurs années, interrogés sur le début de cette mesure, a répondu n’avoir jamais vu cette personne autrement que dans une chambre d’isolement". L’attachement au lit est entré dans les habitudes à Bourg-en Bresse. Que dire encore de ces malades attachés sur un lit ou un fauteuil 23 heures par jour, cela pendant des mois ? Le temps de la lecture de ce rapport, et nous voici replongés en  plein 18e siècle, époque où le marquis de Sade écrivait sa pièce de théâtre jouée par les malades de l’hospice de Charenton. A ceci près que l’écrivain maudit avait trouvé une thérapie pour les dits malades. Ici, à Bourg-en-Bresse, le choix se situe entre la radio et la télévision. Parfois, c’est le retour chez soi le week-end, avec la possibilité de se rendre au restaurant ou chez le coiffeur.

Après avoir lu le rapport de la contrôleuse générale, Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, lui a fait savoir, dans une lettre qu’elle lui a adressée le 4 mars 2016, que très vite, des mesures seraient prises à Bourg-en-Bresse. A savoir que plus aucun patient ne sera enfermé dans une chambre ordinaire. Que les patients détenus ne seront plus systématiquement mis en contention à leur arrivée de prison. Que les cours intérieures des unités d’hospitalisation seront en accès libre pour les patients en hospitalisation libre. Il était temps. En revanche, la ministre ne donne pas de précision sur un point qui, à la lecture du rapport d'Adeline Hazan, paraît crucial : le manque de personnels soignants (infirmiers et médecins)… 

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