Marine Le Pen n'est pas l'héritière de son père mais de Silvio Berlusconi<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Marine Le Pen, même si elle affiche parfois une détestation pour la personne de Berlusconi, en est paradoxalement la meilleure élève et interprète actuelle en Europe.
Marine Le Pen, même si elle affiche parfois une détestation pour la personne de Berlusconi, en est paradoxalement la meilleure élève et interprète actuelle en Europe.
©Reuters

Tête d'émule

La candidate du FN présente le chiffrage de son programme présidentielle ce jeudi. Et si sa campagne consistait à suivre l'exemple du Cavaliere, en élargissant notamment la base sociologique de son parti ?

Marco Diani

Marco Diani

Marco Diani est chercheur au CNRS, où il est membre d'une importante unité multidisciplinaire rattachée à l'Universités de Paris X et Paris VIII, à l’ENS et au CNRS. Il a été pendant plus de dix ans (1984-1996), Mellon Professor of Social Sciences and International and European Studies à la Northwestern University, à Chicago.

Voir la bio »

Lire aussi l'interview de Marine Le Pen :
Marine Le Pen : comme l'UMP ou le PS, "François Bayrou a soutenu toutes les politiques qui nous ont menés à la crise" 

En France, il est de bon ton d'ignorer et même de mépriser ce que j'ai appelé dans un livre la "Berlusconia", cet univers politique qui s'est répandu comme une tache d’huile dans une bonne partie des démocraties occidentales.

Marine Le Pen est aujourd'hui le dernier avatar de la Berlusconia. Sa popularité, exceptionnelle dans le contexte politique français, s'explique par son incroyable talent à manier populisme, réalisme et démagogie, et par l'absence de projet crédible tant à droite qu'à gauche. Mais les partis "traditionnels" et les institutions politiques ne semblent pas prendre la pleine mesure de ce phénomène, destiné à modifier en profondeur les règles du jeu en France, en particulier pour les élections présidentielles de 2012.

Les candidats du Front national ont remporté des résultats électoraux parfois impressionnants et toujours surprenants. Pour ne prendre que trois exemples, il suffit de penser à la première place à Marseille, aux scores impressionnants dans les régions ouvrières du Nord-Pas-de-Calais et à la place occupée dans les intentions de vote.

Or, à gauche comme à droite chez les analystes, les politiques ou même chez les patrons, on sent une perplexité assez générale devant le phénomène Marine en Berlusconia. Perplexité qui devient incompréhension et aveuglement lorsqu'on on assiste aux débats ridicules et risibles sur le front républicain, auxquels personne ne croit. Et certainement pas les électeurs de tous bords.

Les surprises ne font que commencer, pour les grands partis "institutionnels"

Pour comprendre quelque chose au phénomène Marine Le Pen, il faut prendre en considération la profonde crise du système politique français qui semble désormais arrivé en bout de course de sa fonctionnalité politique, 50 ans après sa fondation par le Général de Gaulle.

Même si personne ne veut l'admettre, le système politique et le système des partis français s'effondre : le Parti communiste disparaît définitivement de la scène, les écologistes font hara-kiri, le PS se désintègre avec ses primaires, l'UMP patauge devant les centristes, alors qu'apparaissent des organisations inconnues jusque-là, et que les électeurs boudent et les partis et les élections.

La France a désormais le niveau d'abstentionnisme le plus élevé des démocraties occidentales. Dans cette situation qui déboussole tout le monde, Marine Le Pen réussit à combiner hostilité à la politique, populisme, doublés d'une incroyable gouaille populaire et une formidable capacité à incarner - à tort ou raison - la nouveauté. Elle a acquis un capital politique et " affectif " énorme, une grande partie des électeurs s'étant reconnue en elle, et elle a donné, symétriquement, un incroyable coup de vieux à la politique des grands partis, qui ont vieilli comme jamais en l'espace de quelques mois.


Pendant des années le phénomène FN a été largement sous-estimé, considéré comme un épiphénomène tout en étant, paradoxalement, qualifié de démoniaque et de danger pour la démocratie. Sans trop se soucier qu'en l'espace de 20 ans, le FN est passé de moins de 1% à plus de 20%, dans les intentions de vote, sans moyens et sans pouvoir et richesses à distribuer.

Les leçons à tirer du berlusconisme pour analyser le succès de Marine Le Pen 

Or, si le système politique français ne se modernise pas les surprises vont continuer de plus belle. Et pour mieux comprendre ce qui pourrait arriver, il faut se tourner vers cette planète politique qu'est la "Berlusconia". Les partis traditionnels italiens - et les commentateurs du monde entier - ont pendant longtemps cru que le Cavaliere était un phénomène passager qui allait rapidement disparaître et quitter la scène politique. Or, non seulement, à chaque fois Berlusconi a rebondi, mais il a inventé un vrai système politique hybride et postmoderne, le berlusconisme, qui va bien au-delà de sa personne, et qui a conquis une force de modèle et une véritable hégémonie culturelle.

Marine Le Pen, même si elle affiche parfois une détestation pour la personne de Berlusconi, en est paradoxalement la meilleure élève et interprète actuelle en Europe. Elle utilise avec bonheur un mélange des valeurs contradictoires, combinant le libéralisme et la protection, l'exaltation de l'individualisme et la compassion pour les plus démunis, les valeurs chrétiennes et des mœurs privées peu respectueuses de la religion, un discours critique sur l'Europe et la défense des intérêts nationaux et des propos populistes sur la diversité, et manie comme personne le discours de la modernité et celui de la tradition.

Vide culturel de la droite, divisions politiques de la gauche

Ce patchwork - qui n'est nullement incohérent - fonctionne aussi grâce au vide culturel de la droite et aux divisions politiques de la gauche. A cela, il faut y ajouter la capacité du Front national à s'appuyer sur des blocs sociaux regroupant les petits patrons de PME, les petits commerçants, les artisans, les professions libérales, les catholiques pratiquants et une population au faible niveau d'instruction, peu politisée et apeurée devant la mondialisation, l'Europe et l'immigration.

La politique traditionnelle, de gauche comme de droite, se réclame d'un réformisme qu'elle n'arrive plus à mettre en narration et surtout à le rendre intelligible au peuple. La politique traditionnelle ne raconte rien aux électeurs, alors que Marine et le FN tiennent un discours qui paraît à la fois raisonnable, volontariste et protecteur, même si cela relève plus de la proclamation que des faits.

Evidemment, on serait tenté de faire un parallèle avec le Nicolas Sarkozy de 2007... Les deux animaux politiques peuvent être rapprochés : volonté de se mettre en avant, en particulier en utilisant les médias, de jouer de sa personne, rapport direct au peuple, capacité à unifier les droites pour conquérir le pouvoir.

Comme Sarkozy et Berlusconi, et même mieux que le PS et l'UMP, Marine Le Pen a compris l'importance fondamentale qu'il y a à gagner la bataille des valeurs. En 2007, Sarkozy voulait redonner le goût de la politique et réhabiliter la capacité des politiciens à faire bouger les choses: il n'y est pas vraiment arrivé, malgré quelques tentatives courageuses.

Marine Le Pen, en digne héritière de son père, s'est construite entièrement sur l'image de l'anti-politique. Et apparemment "ça" paye et "ça" fonctionne laissant tous les autres faire du "surplace". D'ici les élections présidentielles 2012, les partis traditionnels vont s'efforcer de faire comprendre que la situation française n'est pas bonne, qu'il faut réagir et se retrousser les manches. Un discours rationnel qui fait pschitt...

En revanche, Marine Le Pen propose un message volontairement moins clair mais de ce fait plus efficace : d'un côté, elle entretient l'illusion que la France hors de l'Europe serait vivable, de l'autre, elle fait allusion à la gravité et à la dureté du temps présent, pour mobiliser " le peuple " contre les menaces de l'"extérieur".

Ambition de répondre au divorce entre les citoyens et la politique

Alors, pourquoi "ça" marche pour elle ? Parce que les partis traditionnels et les gouvernants ne se préoccupent guère de déployer une pédagogie à la mesure des menaces qui pèsent sur le pays, alors que les élites économiques et le grand patronat réclament d'importantes réformes. Et aussi, car elle incarne l'ambition de répondre au divorce entre les citoyens et la politique, et aussi à la crise des partis traditionnels, en partant du postulat que tout ne se résumait plus au clivage gauche-droite.

La Marine en Berlusconia est donc la seule à avoir compris qu'il fallait élargir la base sociologique de son parti : elle va accélérer la création d’un nouveau FN, nourri des succès enregistrés lors des dernières élections et surtout de l‘adhésion de couches populaires. Son irruption a ouvert une profonde crise stratégique dans le système politique français, et est liée à l'incapacité des partis du système à déterminer l'attitude à avoir: opposition frontale ? Nouveau "compromis" qui élargirait le périmètre démocratique ? Stratégie d’ouverture et d’alliance ?

Désormais ces trois tendances de fond travailleront en profondeur la démocratie française, au cours de la campagne présidentielle.

Que faire en effet de :

  • La démocratie du public et de l'opinion.
  • Comment redonner sens à la démocratie libérale et représentative.
  • Enfin, comment rendre à nouveau les citoyens moins sensibles et captifs au discours simpliste et anti-politique proposé par Marine Le Pen.


Aucune des solutions actuelles ne fonctionne : à moins de réagir vite, la Marine risque vraiment prendre le pouvoir.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !