La consolidation de l'Union monétaire, indispensable pour réformer la BCE<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La consolidation de l'Union monétaire, indispensable pour réformer la BCE
©

Nouveau mandat

La crise de l'euro n'est pas celle de la BCE. Et pourtant, l'avenir de la Banque centrale passe par une Union monétaire revue et renforcée. Troisième et dernière partie de notre série consacrée au thème : "Quelle banque centrale pour l’Europe de demain ?"

Dominique Perrut

Dominique Perrut

Docteur en sciences économiques (Paris-1), chercheur indépendant à Paris, Dominique Perrut est l’auteur de communications, articles et ouvrages portant sur les intermédiaires financiers, la régulation et l’économie européenne (L’Europe financière et monétaire, Nathan ; Le système monétaire et financier français, Seuil, coll. Points).

Professeur associé des universités, il a enseigné l’économie européenne en France et en Europe (1992-2013). Il participe aux travaux de plusieurs Think Tanks et ONGs européens. Il est membre du Comité de pilotage de Confrontations Europe.

Voir la bio »

Pour lire la 1ère partie, c'est ici :
Trêve de minauderies ! Bien sûr que la BCE a joué un rôle de prêteur en dernier ressort

Pour lire la 2ème partie, c'est ici :
Comment ont été inventées les banques centrales modernes

Évoquant les opérations de crise de plusieurs banques centrales (dont la Fed), des prises de position se font jour pour demander que la BCE intervienne directement dans le financement de la dette des États en difficulté. Les responsables de la BCE et, entre autres, ceux de la Bundesbank (Banque centrale allemande), se réfèrent aux Traités pour leur opposer un refus catégorique. Rappelons que le mandat du Système européen des banques centrales (SEBC) est strictement défini par les Traités et que ses statuts sont annexés à ceux-ci (1).

Notre point de vue est que, dans les perturbations actuelles, l’Eurosystème remplit, dans les limites de son mandat, une fonction de prêteur en dernier ressort.
Toutefois, ses limites statutaires, ainsi que l’ébranlement du paradigme de référence des banques centrales à la suite de la crise, nous conduisent à discuter le mandat de la BCE autour de trois questions.

La politique monétaire

On sait que « l’objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix » (2). On entend par là une évolution des prix à la consommation inférieure à 2 % par an. On a fait valoir, depuis dix ans déjà, que cette politique, dite de ciblage d’inflation, laisse entièrement de côté la question de la fluctuation des prix sur les marchés d’actifs (boursiers et immobiliers). Ceux-ci sont spéculatifs par nature et leur rôle s’est considérablement accru avec la libéralisation des années 80. Dans un ouvrage historique passionnant, Charles Kindleberger montre que toutes les crises financières depuis trois siècles mettent en jeu un même schéma, dans lequel l’inflation spéculative sur une catégorie d’actifs est alimentée par l’expansion du crédit bancaire, jusqu’à l’éclatement de la bulle (3). Plusieurs économistes plaident donc pour une intégration d’objectifs de stabilité financière par les banques centrales dans le cadre de leur politique monétaire (4). Une reformulation du mandat de la BCE pourrait prendre en compte cette vision en incluant la surveillance et le contrôle des prix d’actifs dans sa politique monétaire.

La politique de change

Celle-ci est placée sous la responsabilité du SEBC. Le Conseil des ministres peut intervenir dans certaines conditions (5). Dans un monde multipolaire où les grandes devises utilisées dans le commerce extérieur font l’objet de politiques de « négligence douce », c’est le benign neglect des États-Unis avec le dollar (6), ou même agressives, dans le cas de la Chine, on peut s’étonner du fait que l’euro se retrouve continuellement depuis 2004 en situation défavorable face au dollar du point de vue des exportations, c’est à dire bien au-dessus de son cours d’introduction. Le mandat de la BCE sur ce point paraît plutôt large et une porte est ouverte pour l’intervention du Conseil. Ces possibilités, cependant, ne semblent guère utilisées. Ce chapitre serait également à reconsidérer dans un réaménagement du mandat de la BCE.

La politique macro-prudentielle

Dans ce domaine, le débat se focalise trop sur les questions du prêteur en dernier ressort (PDR) et notamment des achats directs de dette publique par la BCE. Ceux-ci, en cas de besoin, peuvent être réalisés soit par les banques, disposant désormais d’un refinancement illimité à moyen terme de la BCE, soit par les outils ad hoc mis en place par les responsables européens, le FESF (fonds européen de stabilité financière) et le MES (mécanisme européen de stabilité) à venir (7). De pair avec l’action de PDR jouée par l’Eurosystème, déjà évoquée, l’Union européenne a entrepris, dès octobre 2008, une réforme de la fonction prudentielle, avec une redéfinition de la macro et de la micro-supervision (mise en place d’autorités financières sectorielles, opérationnelles depuis 2011) et une refonte du cadre législatif (garantie des dépôts portée à 100.000 € en 2011, mécanisme de résolution des crises, entre autres).

Au niveau mondial, au siège de la Banque des règlements internationaux, la réflexion des banques centrales conduit à l’élaboration d’un nouveau cadre. Celui-ci appréhende la fonction du PDR dans un ensemble plus large, celui de la politique macro-prudentielle partant de l’amont des crises, avec la prévention (redéfinition de la politique monétaire, détection précoce, règles prudentielles durcies dans le cadre du projet de réglementation financière Bâle III), en passant par la gestion de celles-ci (c’est la fonction du PDR) pour offrir, en aval des crises, un cadre pour leur résolution ex post (comment partager le fardeau des pertes ?) (8) La définition d’un nouveau consensus sur le rôle de la banque centrale, émanant des travaux internationaux, sera sans nul doute prise en compte par les institutions européenne pour une révision du cadre d’action de la BCE.

L’Union budgétaire, préalable à la réforme de la BCE

Aujourd’hui au centre des préoccupations, la « crise de l’euro », n’est pas celle de la BCE. Il s’agit d’une crise budgétaire au sein de la zone euro, manifeste depuis la fin de 2009, et comprenant deux phénomènes : la dérive des finances publiques de plusieurs pays, à la suite de la crise financière et/ou d’une mauvaise gestion, et l’absence d’une cohésion budgétaire reposant sur la convergence des finances publiques et sur un mécanisme de sauvetage.

La résolution de la crise actuelle dépend de la mise en œuvre efficace du cadre budgétaire commun désormais adopté, comprenant la prévention (semestre européen, surveillance, système de sanctions), le sauvetage (les mécanismes de solidarité, dont le MES), sans oublier les mesures de convergence économique (esquissées dans le « pacte euro plus »).

Le flottement, les postures de dramatisation, les annonces contradictoires et la confusion quant à certaines décisions prises ne peuvent rassurer ni les opinions, tentées par le populisme, ni les marchés, par essence versatiles et excessifs. Toutefois le sommet du 9 décembre marque une étape significative.

La construction d’une union budgétaire est le préalable à une réforme du mandat de la BCE, qui pourra alors mobiliser l’ensemble de ses outils pour parer au gros temps, s’il le faut. Par ailleurs, le nouveau corps de doctrine, en cours de définition au niveau global, conduira à un réaménagement des tâches de l’autorité monétaire européenne.

Au sein de la zone euro, la remise en phase de la monnaie et du budget, outils indissociables, dont on oublie trop la nature politique, s’opérera probablement de pair avec une avancée vers le fédéralisme. On y réfléchit sérieusement en Allemagne et dans quelques cercles européens (9). On serait avisé d’y songer également de ce côté-ci du Rhin.

______________________________________

Notes

1 - Les mandats de la BCE et du Système européen de banque centrale (SEBC) sont définis par le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE, art. 119 à 133, 219, 282 à 284) ; leurs statuts sont définis par le protocole n° 4 annexé au Traité.

2 – Art. 127 du TFUE.

3 – Kindleberger C. P., 1989, Manias, Panics and Crashes : A History of Financial Crises, Basics Books. Trad. fr. : Histoire mondiale de la spéculation financière, P.A.U., 1994.

4 – Michel Aglietta, 2011, « La rénovation de la politique monétaire », in Banques centrales et stabilité financière, Rapport du CAE ; Barry Eichengreen and Alii, 2011, “Rethinking Central Banking”, Brookings Institution, Washington.

5 – TFUE, Art. 127, 138 et 219.

6 – Le principe dit du « Benign neglect » (négligence douce), caractérise l’attitude des responsables des États-Unis vis-à-vis des conséquences extérieures des fluctuations de leur devise. John Connolly, Secrétaire d’État au Trésor, résumait lapidairement cette position en 1971 devant ses interlocuteurs européens : « The dollar is our currency, but your problem ».

7 – Les dispositifs d’assistance financière dans la zone euro comprennent notamment le Fonds européen de stabilité financière (FESF), créé en mai 2010, disposant d’une capacité de prêt de 440 Mds€. Ce fonds est intervenu auprès de pays en difficulté (Irlande, Portugal) avec un autre fonds, le MESF. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) prendra le relais du FESF en juillet 2012, avec une capacité de 500 Mds€.

8 – Borio C., 2011, “Central banking post-crisis : What compass for uncharted Waters ?”, Bis Working Paper, n° 353, September.

9 – Marzinotto B., Sapir A., Wolff G. B., 2011, “What kind of fiscal Union ?” Bruegel Policybrief, November ; Chopin Th., Jamet J.-F., 2011, “Europe and the Crisis : what are the possible outcomes ? Fondation Robert Schuman, November.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !