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Les "opérations à empreintes légères" : ces nouvelles façons plus discrètes et moins coûteuses de faire la guerre
©Reuters

Bonnes feuilles

Pilotes de combat, officiers des forces spéciales ou commandants de sous-marin nucléaire, ces Français, Allemands, Britanniques ou Italiens ont été engagés en opérations extérieures en Afrique, en Afghanistan, dans les Balkans ou en Irak à la tête de régiments de légion étrangère, de parachutistes, d'artillerie ou de logistique (...) et ont tous mesuré la fragilité de la paix et la montée des violences. Dans cet ouvrage, ils livrent leurs réflexions, leurs interrogations, leurs convictions. La stratégie de Daesh est-elle si nouvelle ? La technologie est-elle dépassée ? Les opérations militaires seront-elles toujours plus légères ? Extrait de "La guerre par ceux qui la font - stratégie et incertitudes" dirigé par Benoît Durieux, aux éditions du Rocher 1/2

Benoît Durieux

Benoît Durieux

Le général de brigade Benoît Durieux a participé à de nombreuses opérations au sein de la légion étrangère. Docteur en histoire, auteur de plusieurs ouvrages sur le théoricien Carl von Clausewitz et sur les questions stratégiques, il est aujourd'hui directeur du Centre des Hautes Etudes Militaires.

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Même si le concept de light footprint operations correspond à une situation politico-stratégique américaine différente de celle qui prévaut en France, les deux pays ont à faire face à des menaces similaires et subissent des contraintes de même nature. Il est dès lors tout aussi pertinent pour la France de chercher à substituer à certains de ses engagements militaires, jugés parfois insatisfaisants d’un point de vue stratégique et difficiles d’un point de vue politique, des guerres plus discrètes et plus économiques. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 érige ainsi les forces spéciales et plus généralement la totalité des composantes entrant dans le périmètre des opérations à empreinte légère, telles que définies précédemment, au rang de priorité.

Des similitudes, mais surtout des différences

Un critère partagé pour une opération à empreinte légère pourrait être celui de l’intensité politique perçue qui peut être définie comme la conjugaison de l’intensité visible de l’opération, des pertes amies, de la durée de l’intervention et de la focalisation médiatique. Cette intensité politique perçue doit être idéalement soit faible, soit brève, ce qui ouvre un champ des possibles relativement large et permet d’affirmer que le concept d’opération à empreinte légère ne repose en fait ni sur le volume de troupes au sol, ni sur le caractère plus ou moins léger des moyens engagés, mais plutôt sur la manière d’employer la force et sur l’affichage politique qui en est fait. Les opérations de l’OTAN sur l’ex-Yougoslavie en 1999 en sont une bonne illustration. Chaque conflit étant différent, il n’existe pas d’opération à empreinte légère standard. Pour chaque cas de figure, il conviendra de trouver un équilibre entre efficacité opérationnelle, visibilité politique et soutenabilité financière.

Ce constat, selon lequel l’attractivité des opérations à empreinte légère relève plus d’une problématique politico-stratégique qu’opérationnelle, vaut également pour la France même si les moyens dont elle dispose ne lui ont pas permis de mener d’autres opérations que des opérations à empreinte légère au cours des dernières décennies. Il est important de relever que la notion d’empreinte légère est le fruit d’une culture stratégique particulière et recouvre donc différentes significations selon le pays considéré. En France, le degré d’acceptation est sans doute plus élevé qu’aux États-Unis. Les dernières manifestations contre un engagement militaire y remontent à 1991 alors qu’aux Etats-Unis des manifestations d’ampleur nationale se sont déroulées en 2009 contre l’engagement en Iraq et en Afghanistan. En matière de réponses capacitaires, qu’il s’agisse du volume ou de la nature des moyens humains et matériels déployés, tout oppose les deux pays.

Sans même tenir compte des effectifs de l’US Army, si les États-Unis disposent d’un volume de l’ordre de 70 000 hommes pour les forces spéciales (Special Operations Command), auxquelles peuvent être adjoints quelques 170 000 hommes de l’US Marine Corps, la France disposera à l’horizon 2019 d’une capacité opérationnelle de l’ordre de 66 000 hommes projetables. L’échelle est donc incomparable et appelle à la prudence en matière de comparaison pour éviter tout malentendu entre les acceptions américaine et française des light footprint operations.

Le modèle français de light footprint operations

L’opération Serval au Mali est venue démontrer la pertinence des choix et des compromis présentés dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et fait désormais office de référence, voire d’illustration grandeur nature du modèle de force expéditionnaire que le général Odierno, chef d’état-major de l’US Army, appelle de ses vœuxIl s’agit d’une référence d’autant plus pertinente que, toute proportion gardée, les budgets français et américain suivent des trajectoires similaires.

Ainsi, l’opération à empreinte légère française type, dont les points d’application privilégiés se situent en Afrique, est-elle rendue possible par un ensemble cohérent de qualités des forces françaises. On citera notamment :

- en amont, la parfaite connaissance du milieu, de la population et de ses coutumes acquises au travers de décennies de présence en Afrique, un entraînement soutenu ainsi qu’une aptitude éprouvée à évoluer dans un environnement aride avec peu de ressources ;

- initialement, la rapidité du processus décisionnel français, la qualité du leadership aux différents échelons de commandement et l’extrême réactivité grâce aux dispositifs d’urgence et au pré-positionnement de forces sur le continent africain ;

- ensuite, l’aptitude à reconfigurer rapidement le dispositif tactique en cours d’action grâce à l’emploi, pour les forces terrestres, de pions de manœuvre modulables et l’intégration interarmées jusqu’à un niveau extrêmement bas ;

- durant toute la durée de l’opération, la permanence du renseignement et son exploitation rapide, la mobilité et l’aptitude à intervenir dans la profondeur conférée par des matériels adaptés; finalement, la relative maîtrise de l’empreinte au sol, notamment logistique, la polyvalence et la robustesse des équipements ainsi que la pertinence de l’organisation de leur soutien.

Pas trop visible, pas trop cher et efficace d’un point de vue opérationnel, telle est la marque de fabrique de ce modèle français d’opérations à empreinte légère basé sur une autonomie relative lui conférant en particulier la capacité d’appréciation d’une situation stratégique, sur la formation et l’encadrement de forces locales et sur un renforcement fourni par ses alliés en matière d’ISR, de transport tactique et de ravitaillement en vol. En complément des moyens limités dont elle dispose pour conduire des opérations à partir de la mer, elle s’appuie sur ses forces prépositionnées dont la pertinence s’en trouve renforcée.

Par comparaison avec le modèle d’opérations à empreinte légère américain, qui privilégie les frappes à distance par l’emploi de drones, le modèle français apparaît moins létal et privilégie les actions à moindre distance. Ces deux caractéristiques sont de nature à produire à la fois un effet positif sur les populations locales et un effet perturbateur sur un adversaire dont la résilience et la réputation grandissent homothétiquement avec le nombre de frappes à distance, mais qui a perdu l’habitude de se faire déloger par des troupes au sol. Cette caractéristique majeure est de nature à augmenter le degré d’acceptabilité de ce type d’opérations par la population.

D’un point de vue capacitaire, la France est toujours réputée être en mesure de mener seule des opérations à empreinte légère.

Sans renforts extérieurs, la conception de ces dernières doit néanmoins tenir compte de certaines restrictions au nombre desquelles figurent une augmentation des délais d’intervention due à la rareté des moyens de transport stratégique et tactique, et un déficit en moyens de ravitaillement en vol et d’ISR, des éléments qui ont orienté les efforts de la loi de programmation en cours. Dans le domaine ISR, la France a recours au soutien des États-Unis, une coopération américaine qui a aujourd’hui atteint un niveau inégalé depuis la fin de la guerre d’Indochine. La juste suffisance du modèle d’armée évoqué plus haut trouve ses limites dans l’engagement simultané sur plusieurs théâtres. Enfin, l’étendue des théâtres d’opérations fait apparaître au grand jour ses limites dans le domaine de la mobilité.

Dans les faits, ces limites sont incompatibles avec une entrée en premier suffisamment rapide pour créer la surprise. Pour séduisant que puisse paraître le modèle d’opération à empreinte légère français, il peine, en l’état, à satisfaire pleinement et dans la durée les principes structurants de l’action militaire: la liberté d’action qui permet de prendre ou de garder l’initiative, de réagir à l’imprévu et d’imposer le rythme de la manœuvre, la concentration des efforts nécessaires pour frapper les points de vulnérabilités adverses et surtout la fulgurance qui crée la surprise et la désorganisation physique et morale de l’adversaire, enfin l’économie des moyens qui permet d’inscrire l’action dans la durée. C’est tout l’objet d’une partie des dispositions de la loi réactualisant la loi de programmation militaire que de pallier ces insuffisances.

Colonel Richard Ohnet

Extrait de La guerre par ceux qui la font - stratégie et incertitudes dirigé par Benoît Durieux, aux éditions du RocherPour acheter ce livre cliquez ici

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