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Pourquoi il n’y aura sans doute jamais de parti conservateur en France (et c’est bien dommage)
©Reuters

Philosophie

A l'occasion de la parution de son essai "Vous avez dit conservateur ? "(éditions du Cerf), l'universitaire Laetitia Strauch-Bonart nous livre sa vision de la philosophie conservatrice, du conservatisme politique et imagine ce que pourrait être un parti conservateur "à la française".

Laetitia Strauch-Bonart

Laetitia Strauch-Bonart

Essayiste, Laetitia Strauch-Bonart a publié Vous avez dit conservateur ? et Les hommes sont-ils obsolètes ?. Rédactrice en chef au Point, elle est responsable de la rubrique « Débats » et de la veille d’idées « Phébé ».

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Atlantico : Que signifie être conservateur en politique ? Que voulez-vous dire lorsque vous écrivez que le terme de "conservateur" est souvent détaché de son sens profond et utilisé à tort ? 

Laetitia Strauch-Bonart : Il s’agit de l’extension à la politique d’un certain caractère, d’un certain tempérament psychologique. On peut être conservateur dans différents domaines. Quand vous vous préoccupez de la conservation de certaines disciplines, certaines pratiques, de certaines choses qui sont chères pour vous, vous êtes conservateur. 

La politique bien sûr ce sont des institutions et des élections, mais c’est aussi la façon dont nous vivons ensemble. C’est la politique au sens grec de la polis, qui est la cité, et donc de l’ensemble des interactions entre les personnes qui forment la communauté politique. Le conservatisme est une façon de préserver les arrangements politiques et sociaux qui existent depuis très longtemps et qui sont considérés comme bénéfiques. 

Il ne s’agit pas de tout garder, ni de garder ce qui ne fonctionne pas bien sûr, mais plutôt ce qui fonctionne bien. Ce qui a passé l’expérience du temps, qui a fait ses preuves a plus de valeur que ce qui n’a pas été testé. C’est pour cela que le conservateur a une attitude un peu ambiguë par rapport au changement. Il n’est pas contre, mais contre le changement en tant que principe. 

Les conservateurs se distinguent notamment, comme vous le rappelez, par leur attitude méfiante vis-à-vis du changement et une grande prudence parfois assimilable selon vous à une forme de lâcheté. Sous quelles conditions le changement est-il jugé acceptable pour les conservateurs ?

Il existe en effet un tempérament qu’on pourrait qualifier de réactionnaire (je caricature évidemment en disant cela) qui refuserait radicalement tout changement. Un vrai conservateur est quelqu’un qui demande à ce qu’on évalue le changement. 

Vient ensuite la question des critères d’évaluations. Evidemment, il faut constater que ceux-ci varient en fonction des cultures, religions, civilisations … Néanmoins, la règle générale pour toutes ces cultures, c’est qu’il faut se méfier de l’inconnu quand ce qui existe fonctionne. Même un inconnu infiniment supérieur qu’on nous proposerait mérite la méfiance quand ce que l’on a est satisfaisant. 

Ensuite, il y a ce que j’appelle le renversement de la charge de la preuve. Généralement, dans les discussions qui ont trait au changement (et je pense beaucoup au changement de société), on demande aux conservateurs de défendre leurs idées tandis que les progressistes n'ont rien à prouver. Il faut renvoyer la charge de la preuve sur celui qui veut changer et non sur le conservateur. Si celui qui réclame un changement ne sait convaincre son opposant, c’est qu’il a tort. En revanche, si celui qui veut changer prouve que son changement est supérieur, alors le conservateur doit accepter le changement. 

Pour moi par exemple, un conservateur doit être favorable au PACS, car il doit reconnaitre l’existence de l’amour et de l’union des gays dans la société. En revanche, la question du mariage est différente car elle touche au modèle familial, à la filiation et à des choses beaucoup plus profondes. On a ici l’exemple d’une institution millénaire que le conservateur a nécessairement le devoir de défendre. 

Je suis conservatrice mais je suis aussi libérale en économie. Je défends un libéralisme modéré et régulé. Tout ce qui est innovation technologique, à mon sens, ne devrait pas poser problème aux conservateurs. Il est pourtant fréquent d'entendre des conservateurs affirmer "on ne veut pas d’OGM" par exemple. C’est un cas où les risques existent, il est bon à prendre, parce qu'il y a moins de risques que les potentialités qu’on peut en retirer.   

Quel est le rapport des conservateurs à l'Etat ? Sont-ils foncièrement opposés à toute intervention de la puissance publique ? 

Il n’y a pas un seul type de rapport à l’Etat quand on est conservateur. En Angleterre, le conservatisme que je considère comme originel est méfiant à l’égard de l’Etat. En France, les conservateurs sont beaucoup plus favorables, y compris en économie. Cela tient aux différences de culture et au poids des traditions. 

Le conservatisme que je défends, dans une version plutôt inspirée des Britanniques se méfie de l’Etat, non par définition mais plutôt parce que de très bonnes choses sortent de la société civile, des organisations de la société civile. La société civile qui va du club de foot à l’organisation caritative remplit une fonction sociale et pratique dans la société : c’est un lieu de développement d’un certain nombre de caractères et d’un certain nombre de vertus. 

Le réflexe français consiste à dire que ces institutions ne peuvent être qu’à la marge, parce qu’elles ne traitent pas les personnes de façon égale car pour assurer un traitement égal, on a besoin de l’Etat. Et sur certains points je suis d’accord, par exemple, il est important que tous les enfants reçoivent une éducation identique. D’un autre côté, dans certains domaines, les associations, la créativité, les possibilités de la société civile sont bridées quand l'Etat est présent. 

Un conservateur défend de toute façon l’Etat dans ses fonctions régaliennes (protection des individus et état de droit). C’est là la garantie du bon fonctionnement de la société. Pour les autres domaines, un conservateur préfèrera vous dire qu’il est prêt à remplacer la société civile seulement si celle-ci échoue à mener sa mission. Le conservateur plus dogmatique vous dira "pas d’Etat", mais c’est, selon moi, une version très étriquée du conservatisme. 

En France, le problème se pose différemment, car on a davantage tendance à privilégier l’Etat. Cela dépend des domaines, par exemple, pour l’éducation, le raisonement consiste à se dire : d’abord l’Etat, et si cela ne fonctionne pas la société civile. Et malheureusement c'est très souvent le cas aujourd’hui. 

Vous considérez que la gauche politique tout comme la droite réformiste (Sarkozy, Raffarin) sont à l'opposé de la conception de la politique des conservateurs, pourquoi ? Et dans ce cas, qui incarne aujourd'hui le mieux le conservatisme politique en France ? 

Je pense que personne n’incarne le conservatisme politique en France. Mais certainement parce que personne ne l’incarnera jamais, au sens où c’est une idéologie tellement étrange pour la France que le mouvement ne prendra pas le nom en tant que tel de conservateur. C’est regrettable, mais il faut être réaliste. En revanche, ce qui pourrait être possible, c’est que la droite majoritaire s’étoffe et s’élargisse. 

Il existe des personnes qui se revendiquent de cette tradition, par exemple Hervé Mariton chez les Républicains. On pourrait trouver cette tentation chez des personnes comme Laurent Wauquiez et parfois chez Sarkozy. Mais de toute façon, il faut compter sur un parti plus que sur une personne. 

Je pense qu’il faut que la droite soit plus libérale : il faut défendre un libéralisme économique qui est lié à l’autonomie de la société civile. Car dans un parti uniquement conservateur, à la française, vous auriez inévitablement une droite très anti-libérale. Il faudrait une droite composée de libéraux et de conservateurs qui puissent discuter ensemble et se contrôler. 

Je ne comprends pas les libéraux qui veulent tout réformer à tout bout de champ en particulier sur les questions sociétales. Dans un parti, un conservateur (qui est généralement à la marge, à l’extérieur des partis) pourrait influencer les libéraux. Aujourd’hui, ils sont plutôt au Front National ou dans des mouvances en dehors de toute activité politique. Un parti plus large permettrait du pragmatisme.

Et puis il faut dire que l’absence de parti conservateur n’est pas si grave car il ne faut pas tout attendre de la politique. Il faut faire confiance à la société civile, comme je le disais. Le conservatisme est une philosophie qui dépasse très largement le politique : mon livre se veut philosophique et propose de réfléchir à la dimension conservatrice de la vie. 

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