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Comment l’échec d’une négocation du RAID, comme tous les échecs, peut se révéler riche en enseignements
©REUTERS/Christian Hartmann

Bonnes feuilles

En 1998, Christophe Baroche, psychologue, intègre le RAID, l’unité d’élite de la police nationale, une première. Avec les premiers négociateurs du RAID, il va établir des profils de forcenés et preneurs d’otages. Il est devenu le "souffleur", une position qu’il a tenue 16 ans durant au RAID. Il livre un témoignage écrit avec Danielle Thiéry. Extrait de "Le souffleur - Dans l'ombre des négociateurs du RAID" de Christophe Baroche, aux éditions Louis Mareuil 1/2

Christophe Baroche

Christophe Baroche

Christophe Baroche est psychologue clinicien. Il totalise 18 ans de pratique dans la police dont 16 années au RAID au cours desquelles il est intervenu sur plus de 250 affaires de négociation (individus retranchés et prises d’otages…). Dans Le souffleur il livre un témoignage, écrit avec Danielle Thiéry. 

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C’est à l’issue de cette période d’acclimatation réciproque que, opportunément, survient ma première « affaire ». Il y a bien eu, entre temps, quelques événements, mais mineurs. Me voilà donc dans le bain, enfin ! Je suis tout entier tourné vers ce premier engagement qui, je n’en doute pas, va tout changer.

Qui devrait tout changer... Car cette première affaire ne se passe pas du tout comme je l’avais imaginé. C’est, pour moi, une douche froide. Elle deviendra d’ailleurs « mon » cas d’école, mon « Munich » à moi, bien que moins dramatique à la fin.

Nous sommes en 1999. Le RAID est activé sur une affaire qui se passe dans le centre de la France. Elle a été prise en compte au départ par le GIPN de Lyon. Il s’agit d’une histoire de règlement de comptes dans un couple. L’ex-petit ami d’une femme est venu en découdre avec elle et son nouveau compagnon.

Il est décidé que le RAID ne se déplacera pas. Le GIPN de Lyon va gérer la partie intervention, et le RAID la négociation... à distance. Elle se déroulera par téléphone, depuis Bièvres. Déjà là, ce n’est pas bon. La décision de négocier en déporté est certes liée à l’urgence. L’affaire est chaude et on n’a pas le temps de prendre le relais complet sur place. Une telle situation est rare et rien ne l’interdit dans les textes de création de la cellule négociation. Toutefois, l’inconvénient majeur de cette formule réside dans l’absence de coordination avec le terrain, coordination qui deviendra, ultérieurement et pour nous, un prérequis.

Nous voilà donc en liaison téléphonique avec le preneur d’otages. En résumé, il ne veut rien, il ne demande rien parce qu’il n’est pas venu pour prendre son ex-femme et le nouvel ami de celle-ci en otage, mais pour les tuer. Il a débarqué avec une arme de poing et un sabre. Quelque chose, on ignore encore de quoi il s’agit, l’a empêché de mettre son projet à exécution. Il a juste donné un coup de poing à son rival et sa femme en a profité pour appeler la police, qui est arrivée pendant que les deux hommes se battaient. Le preneur d’otage se retrouve donc dans la pire situation qui soit : il n’a pas accompli ce pourquoi il est venu (tant mieux) et maintenant il est cerné par la police. Il est très stressé, il n’a pas de plan B. Son projet initial était de tuer les deux amants et de se tuer dans la foulée. Il ne le dit pas clairement mais on le sait. Du moins, je le comprends vite : il a réglé ses affaires, payé ses dettes, acheté une arme le matin même... Il a tout verrouillé, il n’y a pas de lendemain pour lui.

Nous sommes en pleine nuit, le siège dure déjà depuis plusieurs heures et nous sommes coincés autant qu’il peut l’être. Il n’y a aucune ouverture. L’homme essaie de justifier pourquoi il en est arrivé là, ce qu’il a subi de la part de son ex-femme et de son rival. Il est obligé de faire ce qu’il fait, ils ne lui ont pas laissé le choix. Nous ne détenons pas l’histoire dans son ensemble, seulement quelques bribes. Je ne sais pas, notamment, pourquoi il n’a pas cherché une autre solution à son problème. Je m’interroge : qui est-il, quel est son profil ? Je le sens anxieux, au bout du rouleau mais le côté dépressif, je ne le vois pas. Je ne détecte pas de maladie mentale. L’homme raisonne bien, il est posé dans ses propos, la plupart du temps du moins. Il est intelligent, possède un bon langage mais je ne sais pas comment le prendre et le négociateur non plus. Ce dernier essaie de l’amener à un raisonnement qu’il ne peut pas suivre. Je sens que nous sommes à côté de la plaque. Chaque fois que nous l’obligeons à raisonner, son stress remonte. Ce que nous mettons en oeuvre est contre-productif. Cette personne est une énigme et je ne sais pas quoi faire. Je comprends tout l’enjeu de ce genre de situation et je suis terriblement stressé moi aussi. Si cette affaire se termine mal, il est peu probable que je reste au RAID. Cette première pourrait bien être la dernière.

Je me sens comme devant un moteur à coeur ouvert, les mains dans le cambouis, et je ne trouve pas la panne. Le pire c’est que, par la suite, en analysant froidement la situation, j’ai compris que j’avais la solution mais que mon stress m’inhibait et m’empêchait de la voir. En vérité, je pensais surtout que les autres membres de l’équipe allaient la trouver. À l’inverse, eux devaient s’imaginer que j’allais leur sortir la solution d’un coup de baguette magique. Comme si j’avais disposé d’un cahier de recettes que je n’avais qu’à feuilleter pour trouver la formule ! Je ne savais pas encore que la négociation est un processus qui ne se joue pas en un coup gagnant. En tout cas j’apprendrai de cette affaire qu’elle peut se perdre en un seul coup... Je vais comprendre, cette nuit-là, que la psychopathologie n’est pas suffisante et que je dois tout connaître des techniques des négociateurs et des processus pour réellement pouvoir travailler et leur apporter quelque chose.

Avec cet homme, la négociation est improductive et il est tellement à bout qu’il veut s’en prendre à son rival. Il l’a ficelé sur une chaise et au moment crucial où tout va basculer, la femme se jette sur la porte. Le GIPN, en embuscade derrière, fonce. Ils percutent le preneur d’otage et pour nous, c’est l’horreur. Au téléphone j’entends le cri de la femme, un grand bruit et plus rien. Seulement le biiiiip du téléphone.

Nous nous regardons, décomposés. Très vite, bien sûr, nous apprenons que l’homme a été maîtrisé mais, je l’avoue, sur le moment, j’ai cru que le pire était arrivé. Il est 5 heures du matin quand je rentre chez moi, assommé, pas du tout confiant dans l’avenir.

Le preneur d’otage a été vaincu mais ce n’est pas ce que j’attendais. J’étais sûr que nous arriverions à le convaincre de se rendre, de renoncer à son projet. J’ai le sentiment que nous avons fait une sacrée expérience d’humilité et que je ne l’oublierai jamais. Je prends conscience que mon envie de me lancer dans la négociation vient de se confronter à la réalité. Mon besoin d’aventure et d’adrénaline se heurte au fait – si besoin était – que je ne suis pas dans un jeu parce que, au bout, c’est la mort possible pour quelqu’un. À partir de là, dans toutes les autres situations que j’aurai à vivre, je partirai à chaque fois du principe qu’il faut que je m’attende à tout et surtout au pire.

Autre constat qui s’impose ce jour-là : le groupe négociation n’est rien sans le groupe d’intervention. La coordination avec lui est cruciale, nous sommes interdépendants, indissociables. Nous devons être ensemble, côte à côte, à vue. Une telle expérience ne sera jamais renouvelée sous cette forme, fort heureusement.

Dans cette affaire, je suis passé à côté d’une évidence : l’homme m’a donné tous les éléments dont j’avais besoin pour le sortir de là, et je n’ai rien compris. Tout a été enregistré, je réécouterai des dizaines de fois les bandes... pour constater que toutes ces affaires se ressemblent et qu’il est primordial de découvrir le passé de l’individu pour comprendre ce qui se passe dans le présent. En l’espèce, cette affaire était « simple ». L’homme se trouvait dans une situation qu’il n’a pas pu maîtriser psychologiquement et qui a eu sur lui un effet catastrophique. En réponse à ce désastre personnel insupportable, invivable, il est passé à l’action et a créé quelque chose de pire encore. C’est un grand classique chez les auteurs de crise. Ils se mettent souvent dans des situations encore plus inextricables, car l’objectif, pour bon nombre d’entre eux, n’est pas de trouver une solution à leur problème mais d’affirmer leur existence en niant le problème, justement, ou en s’exonérant de leur responsabilité en rejetant la faute sur les autres. Ils fonctionnent à l’envers en quelque sorte.

J’apprendrai plus tard que cet homme essayait d’entrer en contact avec le couple (sa femme et son nouvel amant) depuis des semaines, elle, ne lui ayant toujours pas avoué qu’elle était avec quelqu’un d’autre. Il a appris la nouvelle de manière fortuite. Il attendait qu’elle lui dise « c’est fini » mais au lieu de cela, elle lui donnait des rendez-vous auxquels elle ne venait pas. Le couple s’est fichu de lui et il est arrivé un moment où il ne l’a plus supporté. Alors, il a commis une première bêtise : il est allé vandaliser la voiture de l’amant de sa femme sur le parking de l’immeuble où le nouveau couple s’était installé. Une plainte fut déposée, notre homme convoqué au tribunal. Or il était étranger. Il vivait en France légalement depuis longtemps mais son titre de séjour arrivait prochainement à expiration. Il s’est imaginé que, en raison de ce qu’il avait fait, il ne serait pas renouvelé. Il allait être expulsé et pour lui, c’était le summum de la débâcle. Toute sa famille vivait en France, il n’avait plus de lien ni de contact avec son pays d’origine dont il ne parlait même pas la langue et qu’il ne connaissait pas. Dans son esprit, la responsabilité de ce fiasco incombait à ce couple. Il ne voyait qu’une issue : se venger en les « éliminant » tous les deux et se tuer du même coup.

Il a pensé au suicide mais ç'aurait été injuste puisque c’étaient eux les responsables. Ils l’ont poussé à bout, ils devaient payer. Mais rien n’a tourné comme prévu. Il n’a pas pu aller au bout de sa démarche, il s’est retrouvé coincé et n’a plus su quoi faire. Nous disposions de tous ces éléments au cours de la négociation mais c’était sans doute trop simple, personne n’a compris. Un moment – cela ressort des enregistrements – nous lui avons dit que l’expulsion n’était pas systématique, qu’il pouvait y échapper. Mais il doutait. Il voulait des preuves. La clef était sans doute là mais nous tournions en rond, sans nous arrêter à cet élément crucial. Il n’avait pas d’antécédents judiciaires, il ne s’était jamais fait remarquer, ses amis disaient même que c’était un gentil. Nous n’avons pas compris ce qui se passait pour lui, nous n’avons pas assez creusé son vécu.

Par la suite, ce travail préalable deviendra une démarche systématique. La solution est souvent simple mais elle ne se trouve pas forcément en surface, il faut creuser pour la découvrir. Et ce qui paraît anodin à l’un peut s’avérer déterminant pour l’autre.

Extrait de "Le souffleur - Dans l'ombre des négociateurs du RAID" de Christophe Baroche éditions Louis Mareuil, le 28 mars 2016.  Pour acheter ce livre cliquez ici

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