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Pourquoi les plus défavorisés sont bien souvent condamnés à rester dans les zones économiquement sinistrées
©Reuters

Double peine

Habiter une zone où l'emploi est sinistré n'est pas un facteur de déménagement vers un bassin d'emplois en France. Les raisons psychologiques et économiques expliquent en grande partie ce phénomène qui contribue à un immobilisme social dénoncé par les économistes.

Atlantico : De nombreux économistes américains constatent qu'un des problèmes du marché de l'emploi aujourd'hui est que les classes populaires au chômage ne déménagent pas vers les zones actives. Cette sédentarité se vérifie-t-elle dans les zones économiquement sinistrées en France ?

Laurent ChalardLa question de la sédentarité des classes populaires au chômage, soulevée par les économistes américains, s’applique effectivement aussi à la France, d’autant que la sédentarité dans l’ensemble de la société y est beaucoup plus importante qu’aux Etats-Unis. En effet, le déménagement d’une région à l’autre est traditionnellement faible en France, du fait d’un enracinement beaucoup plus fort qu’aux Etats-Unis, une nation d’immigrants où le rapport au territoire est beaucoup plus distancié. Un exemple-type de cette sédentarité à la française est l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais, où le déficit migratoire constaté depuis les années 1960 est toujours resté modéré alors que la région a connu une désindustrialisation particulièrement forte, à l’origine de l’effondrement économique d’une partie de ses territoires. La France n’a jamais connu les phénomènes de migrations massives des catégories populaires constatés dans d’autres pays du monde, comme l’Italie, des régions les moins riches vers les plus riches.  

Doit-on voir un effet de trappe à pauvreté dans le maintien de ces populations dans des zones sinistrées ? Qu'est-ce qui entrave aujourd'hui la mobilité professionnelle, d'un point de vue géographique ? 

Il existe effectivement un effet de trappe à pauvreté dans les territoires français paupérisés puisque ce sont, en règle générale, les populations en voie d’ascension sociale qui les quittent le plus, alors que les populations les plus pauvres, dont les chômeurs, y restent. En conséquence, il se met en place un cercle vicieux, qui conduit à voir le profil populaire de ces territoires s’accentuer au fur-et-à-mesure du temps, limitant leurs perspectives de renouveau endogène.

Deux principaux facteurs entravent la mobilité professionnelle des classes populaires au chômage. Le premier est d’ordre psychologique. L’espace de la vie quotidienne de ces populations étant relativement limité, les distances paraissent sensiblement plus importantes qu’elles ne le sont réellement, du fait d’un manque d’informations sur ce qui se passe ailleurs. Il s’ensuit que tout déplacement est perçu comme un effort considérable. Le second facteur est d’ordre économique. Se déplacer et déménager a un coût extrêmement élevé pour des personnes au chômage, ce qui freine les velléités de départ. En effet, le transport, qu’il soit routier ou ferroviaire, n’est pas gratuit pour des personnes qui consacrent un faible budget à ce poste de dépense et le coût du logement est d’autant plus élevé que le territoire apparaît dynamique, ce qui sous-entend qu’une personne quittant un territoire pauvre aura d’énormes difficultés à se loger dans un territoire riche, rendant extrêmement risquée la migration lorsque les perspectives de trouver un emploi ne sont pas assurées. Or, si certaines régions françaises affichent une meilleure santé économique que d’autres, il n’existe cependant pas de réels eldorados de l’emploi.  

Outre les coûts liés à un déménagement, qui peuvent les décourager, n'y a-t-il pas aussi une volonté chez certaines personnes aux très faibles revenus de rester enracinés dans un environnement local où ils bénéficient tout de même de solidarités communautaires, familiales ou amicales ?

Il est assez difficile de répondre à cette question dans le sens où l’absence de migration étant souvent subie, l’enracinement local peut servir d’alibi pour justifier une difficulté matérielle réelle à migrer. Dans un contexte plus favorable, pour certaines personnes, il est probable que la migration aurait lieu malgré l’enracinement local.  

Cependant, il ne faut pas complètement écarté le rôle que peut jouer ce facteur dans l’absence de migration. En effet, comme tous les individus, les personnes aux très faibles revenus recherchent une certaine forme de " sécurité ", qui se traduit comme pour le reste de la société, par le maintien dans un environnement local se composant de personnes du même milieu avec qui il est possible d’avoir des relations de solidarités, permettant de surmonter les périodes de disette financière. Par ailleurs, au-delà de la simple question matérielle, sur le plan psychologique, il est plus facile d’accepter sa condition défavorisée dans un territoire où tout le monde se ressemble que de se retrouver l’unique personne défavorisée dans un territoire aisé, qui peut être source d’un mal-être difficile à accepter, aboutissant à des comportements déviants.

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