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Sortir enfin de la grande crise de 2008, mode d’emploi : ces mesures de plus en plus radicales évoquées un peu partout... sauf en France
©Reuters

Exception française

Depuis plusieurs semaines, certaines voix commencent à s’élever en proposant des solutions économiques de plus en plus radicales ; monnaie hélicoptère, recours massifs à la dette, financement des Etats directement par les banques centrales etc…Alors que le monde traverse sa pire crise depuis les années 1930, l’immobilisme des dirigeants politiques est en train de produire un effet boomerang.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Alors que Mario Draghi juge "intéressante" l'idée de distribuer de l'argent par hélicoptère, point qui a été confirmé par un autre gouverneur de la BCE, Peter Praet, d'autres figures du monde économique, comme le célèbre gérant Bill Gross, indique que les Etats n'auront pas d'autres choix que de creuser leurs déficits publics. Alors que la grande récession a débuté en 2008, en quoi les nouvelles mesures proposées paraissent de plus en plus extrêmes ? S'agit-il de réponses techniquement appropriées ?

Nicolas Goetzmann : C’est la réponse du berger à la bergère. L’économie mondiale a traversé sa pire crise depuis les années 1930 et les réponses politiques adressées se sont surtout caractérisées pas un immobilisme sourd, et ce, principalement en Europe. L’effet de sidération marche à plein, et le résultat se voit aujourd’hui à travers ces multiples propositions de riposte. Face à un tel écart entre les dégâts causés et les solutions présentées, il était finalement logique d’en arriver à une situation ou les idées les plus radicales font leur entrée dans le jeu. Et il est en effet assez clair que ce début d'année 2016 marque un changement de ton. Il est, par exemple, assez surprenant de constater que des mesures, comme celle de la monnaie hélicoptère, soient abordées par des personnalités pourtant considérées comme parfaitement consensuelles, comme Mario Draghi, par exemple. Cette idée de monnaie hélicoptère correspond à une opération de distribution d'argent, directement à la population, et était pour le moment proposée par des personnalités plus abrasives, comme Jeremy Corbyn, le nouveau leader de la gauche britannique, sous l'appellation de "QE for the people". Mais depuis quelques semaines, les déclarations en faveur de ce type d’approches se multiplient, il est notamment possible de citer Ray Dalio, le gérant du plus grand Hedge Fund du monde; Bridgewater Associates. Dans un autre registre de son côté, l’ancien chef économiste du FMI, le français Olivier Blanchard déclarait récemment  "Le QE, plus il y en a, plus ça marche, c’est comme l’amour". Les langues se délient peu à peu. Autre exemple, dans une tribune publiée le 14 mars dernier, Paul Krugman, Prix Nobel d’économie, et pourtant soutien historique aux politiques de libre échange, commençait à se poser des questions sur la pertinence de la mondialisation pour les pays développés.

Ce sont également les idées de la "modern monetary theory" qui sont également reprises, qui consistent à financer directement les Etats au travers des banques centrales. D'autres encore, pointent la capacité des Etats à pouvoir s'endetter sans limite, au regard de la capacité d'absorption de cette dette par les niveaux gigantesques de l'épargne mondiale. Ainsi, aux Etats Unis, le candidat démocrate Bernie Sanders ne s’embarrasse pas du niveau de la dette du pays, il est prêt à relancer la machine budgétaire au travers de l’éducation, de la santé ou des infrastructures. Et sur ce même point, encore une fois, le patron de la BCE, Mario Draghi, s’est fait remarquer lors de sa conférence de presse du 18 mars, en indiquant :

" J’ai déjà précisé que si la politique monétaire a vraiment été la seule politique de reprise menée au cours des dernières années, elle ne peut remédier à certaines faiblesses structurelles de base de l'économie de la zone euro "… " Pour cela, nous avons besoin de réformes structurelles, de celles qui conduisent à relever le niveau de la demande, les investissements publics et la baisse des impôts. Plus important encore, on a besoin de clarté sur l'avenir de notre ... union monétaire". Si l’on écoute Draghi au pied de la lettre, il s’agit ici de mettre en place un plan de relance budgétaire, au mépris des questions de déficits et de dettes. La fin de phrase relative à l’avenir de l’union monétaire est une sorte d’avertissement sur les conséquences de l’inaction.

Mais l'ensemble de ces mesures, aussi extrêmes soient elles, répondent à la même logique; soutenir la conjoncture économique mondiale au travers de politiques de la demande. Si les propositions envisagées paraissent extrêmes ou farfelues, elles ont le mérite de mettre en évidence la véritable nature de la crise ; un trou gigantesque du côté de la demande. C’est-à-dire une réplique parfaite de la crise des années 1930. Il suffit de constater la faiblesse des taux d'inflation dans le monde pour se rendre compte que la demande reste extraordinairement faible, ce qui indique bien, malgré les efforts de certains, que les réponses apportées n'ont véritablement jamais été à la hauteur des enjeux. Et en ce qui concerne la zone euro, un simple coup d’œil au niveau de la demande depuis 2008 permet de se faire une idée du carnage. 

Evolution de la demande (PIB à prix courants) par rapport à sa tendance de 1995-2008. Source BCE.

Parce que si le rôle des politiques publiques est de stabiliser la croissance de la demande dans une économie, il est alors possible de tenir une comptabilité de la taille de l’échec : soit près de 30% du PIB de la zone euro. 

Pourtant, au contraire de l'Europe, les Etats Unis ou le Royaume Uni affichent des taux de plein emploi. Dès lors, comment expliquer une telle escalade dans la radicalité des réformes, et ce, de façon globale ? Le contexte économique permet-il réellement de justifier des solutions aussi extrêmes ?

Les Etats Unis et le Royaume Uni affichent un taux de chômage proche de 5%, le Japon se rapproche des 3%, mais cela n'empêche pas ces pays de vouloir aller encore plus loin. Parce que le taux de chômage ne suffit pas à se rendre compte des dégâts causés sur le marché du travail par cette crise. Les taux d'emploi restent faibles, ce qui indique que de nombreuses personnes ne sont plus comptabilisées dans les statistiques, les emplois sont souvent précaires, les salaires ne progressent pas assez vite, bref, le taux de chômage masque un marché du travail qui a été dévasté par plusieurs moteurs : la mondialisation, les avancées technologiques, la durée du chômage etc…Le retour apparent au plein emploi ne suffit pas à caractériser une économie utilisant ses pleines capacités. Ne parlons pas de l'Europe, qui est vraiment loin derrière en termes de résultats, et qui frôle véritablement l'indigence politique dans son rôle face à la crise. Après un tel choc, les taux de croissance devraient être soutenus massivement pour permettre d'effacer les stigmates de la grande dépression. Au lieu de cela, en Europe, et en France notamment, les dirigeants se contentent de mesures "boule à neige", purement décoratives, et sans effet sur le quotidien de la population. C’est cet immobilisme qui provoque un effet boomerang de radicalité dans les propositions d’action.

D'un point de vue politique, de telles déclarations permettent elles tout simplement de brandir une menace face aux opposants à toutes mesures de relance ? S'agit-il d'un jeu de bluff ?

Il est en effet amusant de voir les réactions effrayées face à des propositions telles que la monnaie hélicoptère. On a pu voir Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank, sans surprise, déclarer à ce propos :

"La monnaie hélicoptère n'est pas une manne qui tombe du ciel, au contraire elle ferait des trous gigantesques dans les bilans des banques centrales. Au final, les Etats de la zone euro et les contribuables devront en supporter les coûts".

Le plus inadmissible, avec ce type de sorties, c’est que Jens Weidmann semble ne pas tenir compte du coût de l’inaction, ou, du moins, de ne pas s’en préoccuper outre mesure. Ces propositions radicales ont donc le mérite d’effrayer les immobiles, c’est-à-dire la doctrine classique européenne et ses soutiens, et de les confronter à leurs propres contradictions. En gros, la menace est celle –ci : "si vous ne réagissez pas, si vous ne soutenez pas les politiques de demande, voilà ce qui vous attend. Votre attentisme conduira à votre défaite, et celle-ci sera totale". 

L’idée est donc de provoquer une réaction. Depuis quelques mois, le monde assiste, en spectateur, à un spectacle ahurissant. Donald Trump aux Etats Unis, les succès électoraux des partis les plus folkloriques en Europe, une intense crise migratoire, la radicalisation de grands pays comme la Turquie, et face à cela, la réaction est nulle. Une politique de bras croisés comme seule réponse. Tout se passe comme si les dirigeants étaient incapables de prendre la mesure historique des événements actuels, parce que ceux-ci sont traités avec des outils adaptés à un contexte "normal". Le cas de la France est symptomatique ; un choc de simplification par ici, une déchéance de nationalité par-là, et une loi El Khomri pour finir en beauté. François Hollande est totalement passé à côté de son quinquennat, parce qu’il n’a jamais pris la mesure du contexte. Il n’est donc pas surprenant de voir que ces propositions, plus radicales les unes que les autres, passent complètement au-dessus des têtes de l’exécutif français. 

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