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Désaveu pour le gouvernement : seuls 16% des Français considèrent que la loi El Khomri fera baisser le chômage, un jugement beaucoup plus sévère que sur le CPE a l'époque
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Rejet massif

Six Français sur dix estiment que la réforme du code de Travail, actuellement en débat, risque d'accroître la précarité. Le signe que la ligne de communication du Gouvernement qui consiste à expliquer que ce projet de loi fera reculer le chômage ne passe pas du tout au sein de l'opinion publique.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Quels sont les principaux enseignements de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : Cette enquête apporte un éclairage sur les réactions de l'opinion face au projet de loi gouvernemental sur la réforme du code du Travail. Même si un quart de la population ne dispose pas de suffisamment d'informations pour se prononcer, une large majorité de Français (59%) estiment que ce projet de loi, en l'état actuel de leurs connaissances, risque plutôt d'accroître la précarité des salariés. Face à ce risque majeur, le bénéfice attendu n'est pronostiqué que par 16% de nos concitoyens, qui pensent que ce projet, conformément à ce qu'explique le Gouvernement, permettra de faire reculer le chômage. Très clairement, la ligne de communication du Gouvernement consistant à dire qu'il faut fluidifier le marché du travail et alléger les conditions de recours au licenciement économique pour faire baisser le chômage ne passe pas du tout dans l'opinion publique.

Le second point important de l'étude réside dans la comparaison du ressenti général des Français face à ce projet de loi avec celui qui existait dans l'opinion publique en 2006 au moment du projet du CPE qui avait engendré un mouvement social d'ampleur dans le pays. A l'époque, nous avions à peu près les mêmes acteurs. Certes, le Gouvernement était de droite, mais les organisations qui battaient le pavé étaient sensiblement les mêmes (jeunes et syndicats).

Le précédent du CPE est invoqué en permanence pour expliquer ce qui est en train de se passer. On essaye de voir s'il y avait autant de manifestants au début du conflit de 2006, on se demande si le Gouvernement s'en relèvera alors que le CPE avait signé l'arrêt de mort politique de Dominique de Villepin. Sur les aspects économiques, nous avions les mêmes types de débat. Est-ce qu'il faut modifier certaines dispositions de notre code du Travail pour donner plus de souplesse et de fluidité au marché du travail et ainsi permettre à l'embauche de progresser ? A l'époque, le CPE était essentiellement centré sur les jeunes, qui constituent notoirement une part importante des chômeurs.

Lorsqu'on étudie ces deux crises comparables (même si les textes et les publics ciblés ne sont pas les mêmes), on constate que le rapport de force était beaucoup plus équilibré dans l'opinion en 2006. 53% des Français pensaient que cela allait accroître la précarité des jeunes, mais il y avait quand même une forte minorité (43%) qui pensait que le CPE ferait reculer le chômage des jeunes. Les résultats sont instructifs pour comprendre les réticences de l'opinion publique, et cette comparaison est précieuse pour voir que celle-ci est aujourd'hui beaucoup moins partagée et beaucoup plus univoque sur le sens à donner à cette réforme. Alors même que l'opinion publique était partagée 2006, le conflit s'est installé dans la durée et il y a eu des conséquences politiques très importantes. Aujourd'hui, la mobilisation sociale n'est pas terminée, le débat est toujours en cours, mais on s'aperçoit que le rapport de force dans l'opinion publique est très fortement défavorable au Gouvernement, bien plus qu'en 2006.

Ce sondage montre que les Français sont encore plus opposés à la réforme du code du travail qu’ils ne l’étaient au CPE en 2006. Qu’est-ce que cela traduit de l’évolution des conditions économiques et sociales en France en une décennie ?

Il est difficile de répondre car les projets de loi proposés sont différents. Toutefois, la philosophie est la même : simplification des contraintes du code du Travail pour favoriser l'embauche. En 2006, les jeunes étaient ciblés, alors qu'aujourd'hui c'est plus général. En 2006, il n'y avait rien sur les conditions de licenciement, aujourd'hui il y en a.

Là où l'on peut faire une comparaison, c'est dans les termes du "marché" proposé aux Français. Allègement du code du Travail et un peu moins de protection juridique des salariés contre une promesse de stimulation des embauches. Voilà le marché proposé. Les Français sont donc amenés à raisonner en termes de coûts/avantages. En 2006, il y avait un certain équilibre même s'il y avait plus de personnes qui pensaient que c'était une source de précarisation (53-43). Aujourd'hui, le bénéfice attendu est ressenti par une faible minorité de Français (16%) alors qu'une écrasante majorité (59%) y voit plutôt une source de risque. De notre point de vue, c'est l'ampleur de ce déséquilibre qui explique la véhémence de la mobilisation.

Pour répondre à votre question, en 2006 nous étions en période de reprise économique avec une baisse du chômage, et le CPE était présenté comme une occasion d'amplifier ce mouvement et d'y intégrer les jeunes. Dix ans plus tard, en 2016, la crise est passée par là et nous sommes dans une période de chômage bien plus élevé, avec un chômage de longue durée qui s'est installé et une société française toujours pas sortie de la crise déclenchée en 2008. C'est aussi le poids de ce contexte qui explique les résultats de notre enquête. Dire aujourd'hui dans un pays qui compte 3 voire 5 millions de chômeurs qu'on va faciliter les conditions de licenciement économique pour permettre à l'employeur d'embaucher davantage, c'est très difficile...

Quand on lit les résultats de ce sondage selon la proximité politique des personnes interrogées, on constate que les sympathisants FN figurent parmi les plus opposés à la réforme puisqu’ils arrivent en deuxième position juste après les sympathisants du Front de Gauche. Quelle en est l’explication ? Ce résultat pourrait-il confirmer le lien entre précarité et vote FN ?

Effectivement, ce paramètre peut jouer, surtout si l'on fait un détour par les catégories sociales et les tranches d'âge. En effet, si l'on regarde comment se structurent les opinions autour de ce projet de réforme, plusieurs clivages apparaissent de nouveau. Ce sont ainsi les catégories les plus vulnérables ou les plus fragilisées vis-à-vis de l'emploi qui sont vent debout contre toute réforme. Par exemple, chez les ouvriers, 76% des Français pensent que cela va accroître la précarité, contre seulement 6% qui pensent que cela fera baisser le chômage (rappelons qu'en moyenne, ces deux nombres s'élèvent à 59% et 16%...). Chez les employés, nous sommes sur du 68% - 9%. Chez les cadres supérieurs, 52% - 20%. Donc nous voyons bien que la peur d'une précarisation accrue est plus ressentie en bas de l'échelle sociale.

La démonstration est identique si l'on étudie la variable de l'âge. C'est parmi les 35-49 ans (catégorie où le taux d'actifs est le plus important) que les jugements sont les plus négatifs. Or, quand vous êtes dans cette tranche, vous n'êtes plus en début de carrière mais vous n'êtes pas non plus proche de la fin, donc vous devez encore durer un petit moment. 67% d'entre eux pensent que cela va accroître la précarité, contre 9% seulement qui pensent que cela fera reculer le chômage. Les jugements sont plus équilibrés chez les 18-24 ans, qui ne sont pas encore sur le marché du travail pour un certain nombre d'entre eux, et chez les 65 ans et plus qui généralement n'y sont plus.

Pour ce qui est des chômeurs, nous sommes à 58% - 14%, et 69% - 10% dans le privé.

Nous voyons donc bien que toutes les catégories a priori les plus fragiles sont celles qui sont les plus hostiles à cette réforme : ouvriers, employés, salariés du privé, chômeurs, personnes âgées entre 35 et 49 ans. Or, c'est dans ces catégories que le Front national fait ses meilleurs scores. S'ajoute à cela un argument psychologique et politique : c'est un électorat qui se distingue par sa très forte culture protestataire et sa propension à s'opposer à toute mesure venant d'un gouvernement autre qu'un gouvernement frontiste.

A lire aussi sur le sujet, notre article : "Mais au fait, que pense le FN de la loi El Khomri ?"

Si l'on regarde ce qu'il se passe à gauche, on voit que c'est dans l'électorat centriste (UDI) que l'opposition est la moins forte (39% - 27%). Il y a un peu plus de critiques parmi les sympathisants PS (45% - 28%). C'est un obstacle supplémentaire pour le Gouvernement, qui éprouve des difficultés à convaincre son propre électorat du bien-fondé de sa réforme. Si nous élargissons à la gauche dans son ensemble, nous sommes à 61% - 18%, avec notamment un électorat Front de gauche ultra-remonté (84% - 4%), tout comme l'électorat écologiste (64% - 10%). Le Gouvernement pourrait donc davantage aller chercher du soutien du côté de l'UDI que du côté des écologistes.


Par ailleurs, il y a également un vrai sujet de réflexion pour la droite. Celle-ci prône une politique de réforme audacieuse qui s'inscrirait en partie en rupture avec son propre bilan quand elle était au pouvoir. Aujourd'hui, certains responsables de droite peuvent être gênés aux entournures quant à la position adoptée vis-à-vis de cette réforme : soutien au projet car dans le fond c'est ce qu'ils auraient dû faire, mais en même temps cela équivaut à soutenir un adversaire politique, ou la posture plus simple de dénonciation du recul du Gouvernement face à la mobilisation. Je pense qu'il n'y a pas uniquement un simple calcul politicien dans la prise de position de certains responsables de droite. Certains d'entre eux ressentent qu'y compris dans leur électorat, le calcul coûts/avantages apparaît déséquilibré. 50% des électeurs Les Républicains pensent que cela va accroître la précarité, contre 24% qui pensent que cela fera reculer le chômage. Il y a donc un vrai sujet d'interrogation pour les responsables de droite. S'ils veulent se démarquer de la gauche et projettent de le faire en étant dans la surenchère réformatrice, ils devront alors faire attention à ne pas se couper de leur propre base, qui n'est pas forcément prête à tout entendre.

On entend souvent que la France est irréformable. Le Gouvernement en place a montré qu'un certain nombre de réformes ou de modifications pouvaient être entreprises sans que cela ne conduise au blocage du pays. Je pense notamment au pacte de responsabilité et au pacte de compétitivité, qui s'est traduit objectivement par une baisse des charges pesant sur les entreprises. C'est un gouvernement de gauche qui l'a fait, alors que cette thématique n'était pas portée historiquement par la gauche. Une majorité de son électorat a accepté cette nouvelle ligne en reconnaissant que la compétition mondiale induisait une amélioration de la compétitivité des entreprises françaises.

Le Gouvernement a pu faire passer le premier train de réformes sur la réforme du coût du travail et la baisse des charges des entreprises. Sans doute qu'à Matignon, on a pensé que le pays et l'électorat de gauche étaient mûrs pour accepter un autre type de réformes : celles concernant le marché du travail. Or, on constate que manifestement, y compris dans l'électorat de droite, faciliter les conditions de licenciement ne va pas de soi. On a souvent tendance à mettre tout type de réformes dans le même sac, mais les implications concrètes pour les citoyens et les salariés sont radicalement différentes. Autant un salarié électeur de gauche peut désormais entendre que dans le contexte économique, il faut que les charges pesant sur son employeur diminuent pour que ce dernier puisse gagner des parts de marché, investir, déposer des brevets, etc., autant ce même salarié n'est visiblement pas du tout prêt à accepter l'idée selon laquelle si son employeur peut licencier plus facilement en cas de difficulté, il pourra embaucher plus facilement quand le carnet de commandes frémira de nouveau.

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