Arrestation de Salah Abdeslam : comment la police belge a contourné tous les obstacles pour l'appréhender vivant<!-- --> | Atlantico.fr
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L'arrestation de Salah Abdeslam est le fruit de plusieurs mois d'enquête.
L'arrestation de Salah Abdeslam est le fruit de plusieurs mois d'enquête.
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Chirurgical

Fortement remise en question ces derniers mois dans son travail contre le terrorisme, la police belge s'est mobilisée de la base au sommet pour appréhender Salah Abdeslam et redorer son blason.

Dominique Dumont

Dominique Dumont

Dominique Dumont est une journaliste belge.

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Mission accomplie. La police belge a réussi un formidable tour de force : attraper vivant Salah Abdelslam, celui qui depuis quatre mois était l’homme le plus recherché d’Europe. Ce succès est le fruit d’un travail à la fois titanesque et minutieux fourni par les policiers belges. L'opération aurait pu tourner au drame tant les obstacles se sont dressés sur leur chemin.

Ce sont les hommes du CGSU, les forces spéciales de la police belge, qui ont procédé à l’interpellation du fugitif à Molenbeek en ne le blessant que légèrement à la jambe. Un exploit quand on compare les conditions de son arrestation à celles d’un Merah ou d’un Ben Laden. Pour parvenir à un dénouement aussi « chirurgical », en amont, de nombreux services de police ont été mobilisés durant les quatre mois de cette cavale, finalement très locale. Il a fallu chercher et recueillir l’information avant d’en sélectionner les éléments les plus pertinents pour parvenir à organiser des perquisitions quasiment « à la chaine » qui se sont finalement révélées payantes.

« On a travaillé dans des conditions extrêmement difficiles » nous confie un membre de la police fédérale qui préfère conserver l’anonymat. « Tout ce qui s’est passé à Paris nous a vraiment touchés, comme nos collègues français. On ne peut pas laisser les terroristes gagner. Non, on doit les avoir! Voilà l’état d’esprit qui nous anime depuis des mois. Alors vous imaginez notre satisfaction aujourd’hui… surtout après les critiques que nous avons essuyées et la remise en question injuste du travail de la DR3 (ndlr : la cellule antiterroriste) » poursuit-il.

Soulignant ce climat de suspicion, Michaël Dantinne, docteur en criminologie de l’Université de Liège, a rappelé qu’ «il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne » pour relever la réactivité de l’opinion publique. Celle-ci peut couvrir la police de tous les honneurs pour la laisser aussitôt tomber en disgrâce. Aujourd’hui, sortie victorieuse d’une bataille contre le terrorisme, la police semble néanmoins avoir regagné toute sa légitimité auprès du public. Elle a aussi récupéré une indispensable estime de soi. 

« Nous avons mis notre vie de famille entre parenthèses. Parfois, je ne voyais pas mon enfant de toute la semaine. Les babysitters aussi ont fait des heures supplémentaires. Un jour de congé, j’ai du rappeler tout le monde pour venir travailler. Il n’est venu à l’idée de personne de refuser… Au contraire, tout le monde a répondu présent comme un seul homme, sans se poser de question» relate un fonctionnaire de police.

C’est probablement dans ce type de circonstances que le terme « corps » de police acquière tout son sens car pour permettre aux unités spéciales d’accomplir leur mission, de la base au sommet tout le monde s’est mobilisé autour d’un même objectif. Depuis des semaines, les hommes en patrouille sont aux aguets, prêts à réagir à toute éventualité. C’est tout juste si le portrait d’Abdelslam n’a pas été détourné en économiseur d’écran par les dizaines de milliers de policiers en fonction dans le pays.

« Le fait d’avoir un ministre de l’Intérieur qui a ouvertement manifesté son soutien à la police et de voir l’armée nous décharger des missions de postes fixes pour nous permettre de nous concentrer sur nos véritables tâches, ça aussi, cela nous a encouragé », nous dit-on sur le terrain. C’est comme si la Belgique s’était fixée non pas une obligation de moyens, mais une véritable obligation de résultat pour capturer le protagoniste clé des attentats de Paris. Et si possible, vivant.

Les agents de proximité ont redoublé de vigilance en prenant pleinement conscience de l’importance de leur action et de leur connaissance du terrain local. L’engagement a été au delà des fonctionnaires de police. Les maîtres-chiens étaient sur le qui vive, prêts à intervenir en binôme. Les « runners », cette catégorie d’agents particuliers qui gèrent les indicateurs, se sont montrés disponibles 24h/24H, 7j/7j pour mobiliser et motiver tous leurs contacts qui ont activé leurs réseaux.

En revanche, la révélation ce vendredi en début d’après-midi de la présence d’empreintes digitales attribuées à Abdelslam dans l’appartement de Forest par le Nouvel Obs a mis l’opération en danger obligeant ainsi les forces spéciales à procéder à l’assaut le jour même alors qu’il était initialement prévu pour samedi. Et pour cause, il y avait là encore, comme à Forest, une école à proximité des lieux (ndlr: les écoles sont fermées le samedi en Belgique). De son côté, le Nouvel Obs, n'a pas cessé depuis des mois de  mettre en avant avec zèle tout élément de nature à discréditer le travail de la police belge, même lorsqu’il n’est pas crédible et qu'il appelle un démenti des autorités.

En Belgique, l’image de la police avait été fortement abîmée par l’affaire Dutroux qui a laissé des traces profondes… et une réforme de la police qui a conduit en 2001 au regroupement des différents corps en une police intégrée et structurée en deux niveaux, local et fédéral. Il aura fallu des années pour que ces bouleversements commencent à porter leurs fruits et que la cicatrice se referme. En 2012, l’arrivée au poste de Commissaire général de la police fédérale de la néerlandophone Catherine De Bolle, réputée discrète et efficace, a été vécue comme un pas supplémentaire vers la bonne gouvernance. Plus proche de ses hommes avec qui elle n’hésite pas à prendre un repas à la cantine que des caméras, ce « premier flic de Belgique » qui ne correspond pas à l'image que l'on attend semble néanmoins disposer des qualités nécessaires pour achever la réforme des polices dans la cohérence.

Aujourd’hui, le travail de la police belge a été unanimement reconnu, y compris à la Maison Blanche comme l’ont laissé entendre Charles Michel et François Hollande réunis pour une conférence de presse qui n’a laissé planer aucun doute quant à la prochaine extradition de l’auteur présumé vers la France. En matière de coopération judiciaire, la France s’est montrée très fair play avec la Belgique concernant le français Nemmouche connu pour son implication dans l'attentat du musée juif de Bruxelles en 2014. Il n’y a pas de raison pour que la Belgique ne renvoie pas l’ascenseur en livrant à son tour Abdelslam à la France. Par contre, c’est au niveau politique, et singulièrement à l’échelon local que se situent les plus remarquables dysfonctionnements qui font de la Belgique un terreau si fertile pour les djihadistes.

Invités à s’exprimer sur les plateaux, tels des participants à un concours de déni, les bourgmestres de Forest et Molenbeek ont rivalisé dans le registre du « Tout va très bien, Madame la Marquise ». Au sujet de Forest, Marc-Jean Ghyssels (PS) commentait l’état d’esprit de ses administrés en ces termes : « C’est un fait divers qui aurait pu se passer n’importe où ailleurs (…), l’ambiance est redevenue au beau fixe. Ca se passe bien! Au niveau de Forest tout est OK! ».

En duplex de Molenbeek, Françoise Schepmans (MR) nous a dit pour sa part qu’elle pensait avoir « éradiqué le djihadisme  » (sic). Et quand une journaliste lui fait remarquer que le fugitif a forcément bénéficié de nombreuses complicités, la bourgmestre se contente de lui rétorquer un très formaté : « La toute, toute grande majorité de la communauté n’a aucune sympathie par rapport à la cause terroriste ». Par contre, la maire de Molenbeek a omis de préciser que le 79 rue des Quatre Vents où a été retrouvé Abdelslam est un logement social.

Laissons ces beaux discours prendre un peu de  relief à l'aune de l'hostilité et des réactions quasi insurrectionnelles de la population locale pour mesurer la distance qui sépare les élus du réel.

Le lecteur choisira à qui remettre la palme de l’irresponsabilité. Les candidats sont nombreux…

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