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"Libérale réformatrice" contre "identitaire sécuritaire", ces deux droites qui ont de moins en moins de choses à se dire (et qui oublient la petite dernière en embuscade, celle d’un renouveau maurassien ?)
©Reuters

Info Atlantico

Dans un sondage exclusif IFOP pour Atlantico, les électeurs de droite disent accorder une importance toute particulière à la sécurité et la libéralisation de l'économie. Un constat qui illustre une fois de plus l'émergence de deux droites en France, l'une plus sécuritaire et identitaire, l'autre davantage libérale et réformatrice.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Laetitia Strauch-Bonart

Laetitia Strauch-Bonart

Essayiste, Laetitia Strauch-Bonart a publié Vous avez dit conservateur ? et Les hommes sont-ils obsolètes ?. Rédactrice en chef au Point, elle est responsable de la rubrique « Débats » et de la veille d’idées « Phébé ».

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Quel est selon vous le principal enseignement de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : Nous constatons qu'aujourd'hui, l'électorat de la droite et du centre affiche un certain nombre de priorités qui relèvent à la fois des thématiques sécuritaires et identitaires chères à la droite décomplexée (les questions liées à la sécurité ont une note moyenne de 7,6, celles liées à l'immigration et l'identité nationale ont une note moyenne de 7,3), mais également de la situation économique (baisse des charges et de la fiscalité, réforme du marché du travail et des 35 heures, dette et déficit public).

Depuis 2012 et même un peu avant, il y a un débat sans fin à droite sur la ligne la plus judicieuse à adopter. Est-ce qu'il faut privilégier une ligne de droite libérale classique mettant le curseur prioritairement sur des réformes ambitieuses et exigeantes en matière de dépenses publiques, de marché du travail et de libéralisation de l'économie, à savoir le pari de François Fillon ? Ou est-ce qu'il ne faudrait pas, dans un contexte de menace terroriste très élevée et d'interrogation sur l'identité nationale, mettre d'abord l'accent sur la sécurité et l'immigration ? Ce débat est permanent à droite et nous voyons à travers ce sondage qu'il n'est pas encore tranché. En effet, aucune inclinaison forte ne se dégage, la messe n'est pas dite. Vous n'avez pas une claire hiérarchie ou une réponse nette à la question de savoir où placer le curseur. Nous constatons ainsi des scores quasiment identiques sur ces deux grandes thématiques. Bien évidemment, il y a ensuite des familles d'électeurs de droite qui mettent davantage l'accent sur l'une ou l'autre…

Deuxième enseignement : nous nous apercevons que la question de la défense des valeurs traditionnelles arrive derrière ces deux gros sujets, mais est tout de même assez bien notée (6,6). On se souvient du débat sur le mariage pour tous, même si ce sujet n'incarne pas à lui seul le thème de la défense des valeurs traditionnelles. Or, on voit bien que c'est un sujet qui n'est pas annexe pour l'électorat de la droite et du centre, alors que pour le coup, cette thématique est beaucoup moins préemptée par les leaders de droite de premier plan. Autant entre une ligne Sarkozy-Copé-Wauquiez d'un côté et une ligne Fillon-Juppé de l'autre (priorité au régalien et au sécuritaire ou à l'économie ?), il y a des affrontements, autant sur les valeurs traditionnelles, personne ne préempte ce créneau alors même que c'est une attente forte des électeurs de droite.

Autre enseignement : nous pouvons voir que les questions européennes (soit le thème souverainiste de la redéfinition des pouvoirs transférés à Bruxelles, soit le thème fédéraliste de l'approfondissement de la construction européenne) sont notées plus faiblement par l'électorat de droite. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une frange de l'électorat qui est très sensible à ces questions-là, mais clairement, l'enjeu européen n'est pas au cœur des préoccupations, alors que ce thème fait beaucoup parler les leaders de droite.

Les électeurs de la droite et du centre accordent une importance beaucoup plus forte aux valeurs traditionnelles qu'à la question européenne qu'on pourrait résumer par l'interrogation "stop ou encore ? " : est-ce qu'on approfondit encore l'intégration, est-ce qu'on l'arrête là ou est-ce qu'on fait même un pas en arrière ? Nous avons bien vu avec l'accord entre l'Allemagne et la Turquie sur la question des migrants que ce sont des problématiques d'une actualité criante. Pour autant, l'électorat de la droite et du centre n'en fait pas sa priorité. Par ailleurs, deux sensibilités coexistent ici : certains affirment qu'il faudrait redéfinir les pouvoirs transférés à Bruxelles (et notamment en transférer moins…), d'autres plaident en revanche pour plus d'intégration. On s'aperçoit par ailleurs que la ligne souverainiste plaide plus que la ligne fédéraliste sur ce point de vue-là.

Dernièrement, on voit que d'autres thématiques comme les excès de la mondialisation et du libre-échange et le développement de l'économie numérique et des startups font beaucoup moins recette et ne sont pas du tout jugés comme étant prioritaires.

Lire aussi à ce sujet : "Priorité à la sécurité et libéralisation de l'économie : portrait de la droite et du centre par les préférences de leurs électeurs"

Au vu des résultats de ce sondage, peut-on dire qu'un fossé se creuse de plus en plus entre deux droites, l'une plus sécuritaire et l'autre plus libérale ?

Jérome Fourquet : Je ne sais pas s'il est plus important que par le passé. A l'époque, il y avait même deux formations : le RPR et l'UDF. Aujourd'hui, nous avons sondé des gens qui se disent proches des Républicains et l'UDI, mais en termes de poids l'UDI est très loin de faire jeu égal avec Les Républicains alors que le rapport de force était plus équilibré du temps du RPR et de l'UDF. Aujourd'hui, une partie du débat sur la ligne à adopter (entre les orléanistes et les bonapartistes, si l'on veut reprendre la fameuse distinction de René Rémond), se passe au sein-même des Républicains. C'est ça, la nouveauté.

On peut également analyser ces résultats à travers la distinction entre sympathisants de l'UDI et des Républicains. Nous avons ainsi un différentiel de 0,4 sur les questions liées à la lutte contre l'insécurité (une note de 7,3 chez les sympathisants UDI, 7,7 chez les sympathisants LR), un écart pas vraiment colossal. Le delta est de 0,2 seulement sur la libéralisation de l'économie (7,3 chez l'UDI, 7,5 chez LR) et de 0,1 sur la question de la dette publique chère aux centristes (7,5 chez l'UDI, 7,4 chez LR). On voit donc une forme de consensus entre les deux familles. En revanche, les questions liées à l'immigration et l'identité nationale sont plus clivantes (6,6 chez l'UDI, 7,5 chez LR). La défense des valeurs traditionnelles (6,2 chez l'UDI, 6,7 chez LR) révèle un écart non négligeable, mais les sympathisants de l'UDI donnent tout de même une note de 6,2 sur ce sujet, ce qui n'est pas anodin pour cet électorat de centre-droit. Sur la question environnementale, la note est de 6,5 à l'UDI, 6,1 pour les Républicains (les centristes sont plus sensibles à cette thématique "émergente"). Pour ce qui est des excès de la mondialisation et de la redéfinition des pouvoirs transférés à Bruxelles, il n'y a pas trop d'écarts, même si une partie des électeurs de l'UDI se sont peut-être exprimés en faveur d'un transfert plus grand vers l'Europe…

Donc on constate que le vrai clivage se fait sur la question de l'immigration et de l'identité nationale. En effet, si l'on reprend la grille de lecture de René Rémond, on constate qu'entre les différentes droites, l'un des sujets importants était le rapport au libéralisme économique (porté par les orléanistes). Aujourd'hui, les Républicains sont en phase là-dessus, l'idéologie libérale a été inoculée dans la famille gaulliste et on ne constate plus du tout de différences.

Yves Roucaute : C'est une tradition dans la science politique classique de séparer une droite bonapartiste d'une autre orléaniste et plus libérale. Je ne suis pas certain qu'elle soit très judicieuse. On voit dans ce sondage que la coupure entre une forme de centrisme libéral et un courant plus bonapartiste n'est pas flagrante sur la question de la sécurité. Elle est un peu plus sensible chez les sympathisants LR que chez ceux de l'UDI, mais il n'y a pas d'énormes différences entre les deux quand on regarde dans le détail.

La vision du monde de cette droite bonapartiste a été mélangée à une autre vision plus libérale, en partie grâce à Georges Pompidou. On n'a plus vraiment de droite bonapartiste, on a une droite très hégelienne : elle croit en l'Etat fort tout en étant attachée à la liberté de l'entreprise, au développement du marché, etc. A l'intérieur de cette droite post-bonapartiste, il y a différents courants. L'un d'entre eux reste très bonapartiste et souverainiste (incarnée en son temps par Charles Pasqua). A côté de cela, il y a une droite plus pompidolienne, plus libérale, dont la ligne est tenue notamment par Nicolas Sarkozy, et une autre droite plus libérale-sociale, incarnée par Nathalie Kosciusko-Morizet.

La droite LR représente un spectre assez large, donc l'ancien canevas bonapartistes/libéraux est un peu explosé. Du côté de l'UDI, c'est plus clair idéologiquement, mais pas forcément plus clair politiquement. Ils sont peu nombreux et peu influents depuis la disparition de Valéry Giscard d'Estaing du paysage politique. C'est un centre libéral, pro-européen et influencé par Jean Monnet et les démocrates-chrétiens.

On voit dans ce sondage que la vraie coupure se passe sur la question de la libéralisation de l'économie. On voit en effet une différence entre ces centristes très attachés à la construction européenne, à l'ouverture du marché, etc., et ceux qui de l'autre côté y sont moins attachés. On retrouve également une différence assez sensible sur les questions liées à Bruxelles et au libre-échange. J'ajoute que ce n'est pas une rupture entre les deux camps.

La vraie coupure se fait avec le Front national, où il y a quelque chose de plus clivant. En ce qui concerne les questions de sécurité, on voit clairement que l'électorat de Nicolas Sarkozy y est plus sensible que l'électorat de Marine Le Pen. Idem sur les questions de valeurs traditionnelles. Contrairement à ce que l'on croit, Marine Le Pen a perdu des points sur les valeurs traditionnelles. C'est sans doute dû aux hésitations lors de la Manif pour tous ou sur des questions ayant trait à l'Eglise, en raison de la tradition très païenne au sein du FN.

Pour conclure, l'opposition entre partisans de la sécurité et partisans de la libéralisation a surgi au moment du discours de Claude Guéant sur les civilisations, où l'on avait vu un flottement à l'intérieur-même de la droite. De l'autre côté, on le voit surgir aujourd'hui sur la question de la loi El Khomri : est-ce qu'on libère l'économie ? Jusqu'où ? On remarque d'ailleurs un certain silence de Marine Le Pen sur ce thème : les gens ne l'entendent pas. A l'évidence, son électorat n'est pas le plus sensible à ces questions économiques, où la "rupture" entre les Républicains et l'UDI n'est pas si forte que ça.

Laetitia Strauch-Bonart : Je ne ferais pas exactement la même analyse : rien ne prouve, dans les résultats de ce sondage, que les partisans d’une droite de la sécurité et de l’identité soient opposés au libéralisme économique ou social – et vice versa. Pour le savoir, il faudrait croiser les données et demander aux premiers ce qu’ils pensent du libéralisme, et vice-versa.

En revanche, il est vrai que la droite, telle qu’elle apparaît aujourd’hui en France, en tout cas dans sa version partisane, nous montre ces deux visages, des Républicains aux FN en passant par le centre. Mais là encore, cela ne veut pas dire que dans la population, les deux aspirations de droite - que l’on pourrait schématiser en une aspiration conservatrice et une aspiration libérale – ne soient pas présentes chez les mêmes personnes. Et si l’offre politique ne savait pas répondre à cette double aspiration, poussant de ce fait les citoyens à choisir le camp qui répond le mieux à leur préoccupation principale, et à accepter de faire des compromis sur les autres préoccupations ? Ce n’est qu’une hypothèse, mais on pourrait imaginer qu’une personne très préoccupée par l’insécurité, mais libérale au plan économique, soit forcée de voter, la mort dans l’âme, pour le FN, parce que les partis qui défendent le libéralisme économique ne proposent rien contre l’insécurité.

Les partis de droite, en France, n’ont cessé de montrer une telle fracture entre conservatisme et libéralisme, au moins depuis la Révolution française. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, alors que les questions économiques sont passées en premier plan, cette fracture s’est complexifiée. Cette fracture peut aisément se comprendre – l’extrême-droite a un passé si détestable, depuis l’affaire Dreyfus, qu’elle empoisonne tous les sujets dont elle s’empare, y compris les questions légitimes comme la sécurité. En conséquence, la droite majoritaire a toujours un temps de retard dans l’intérêt qu’elle portait aux préoccupations conservatrices de son électorat, que ce soient les valeurs traditionnelles, l’immigration ou l’insécurité.

Vous avez donc d’un côté une droite dite sécuritaire – des Républicains au FN - qui se méfie du libéralisme, parce qu’elle confond l’autorité de chef avec celle des institutions et le laissez-faire avec le libre-échange de bon aloi ; de l’autre une droite plus libérale, au centre et chez les Républicains, qui pense qu’être intelligemment libéral politiquement et économiquement revient à faire table rase des traditions et de la moralité. Cette fracture m’a toujours étonnée : penser que l’ordre et la liberté sont incompatibles, c’est pour moi se méprendre sur la réalité de la nature humaine, qui repose en réalité sur leur interaction.

Ces priorités des électeurs de droite consacrent-elles, selon vous, le début de la réémergence d'une droite maurrassienne, portée par une nouvelle génération détachée du passé ? Comment se caractérise-t-elle ?

Yves Roucaute : Je ne crois pas. Cette droite maurrassienne était déjà extrêmement ambigüe, par rapport à l'Eglise, au christianisme, à ses liens avec une partie de l'extrême-gauche, etc. C'est un monde nouveau qui est devant nous. On a affaire à une droite conservatrice, une droite plus novatrice, et on a quelque chose en creux qui dessine une coupure qui n'a pas de rapport avec celle qu'on a aujourd'hui au niveau des organisations.

Il y a un élément du sondage qui est particulièrement intéressant : la question de l'économie numérique. D'un côté, les électeurs UDI ou LR sont moins passionnés par cette question que par les questions de sécurité ou de libéralisation de l'économie. Deuxièmement, on observe que ceux qui sont les moins intéressés par cette affaire, ce sont les électeurs de Marine Le Pen. Ce clivage est assez important et signifie que si Marine Le Pen veut l'emporter un jour dans ce pays, elle devra orienter son discours vers des questions de nouvelle économie, car c'est là que se trouvent les forces vives du pays et c'est là où elle a le plus à gagner.

Dans les débats actuels, que ce soit sur la question de la déchéance de nationalité, sur celle du Code du travail ou du code pénal, la droite ne peut pas céder si elle veut l'emporter. Elle devra rester sur son créneau de défense de la sécurité et de la libéralisation de l'économie. Pour cela, il lui faudra concilier deux thèmes souvent opposées en France pour des raisons idéologiques : sécurité et liberté. Si vous étiez aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, ce serait très facile à concilier culturellement parlant. Là-bas, l'Etat doit être fort pour assurer la sécurité, qui est elle-même une liberté. En France, il y a le problème de l'influence du bonapartiste. Or, il faut rappeler que Bonaparte était un ennemi de la liberté : il contrôlait les médias, les pièces des théâtres, etc. Cette tradition bonapartiste peut se résumer ainsi : France forte = Etat puissant = citoyens qui doivent se plier aux décisions de l'Etat. Aux Etats-Unis, l'équation est la suivante : individu libre = Etat fort, qui est là pour préserver la liberté des individus. L'Etat est flexible, intervient quand il y a des failles et se retire dès que ces failles (sociales, politiques, sécuritaires, etc.) sont réparées.

Le problème de la droite française, c'est qu'elle n'est pas claire et demeure très confuse. Ainsi, quand François Hollande annonce une réforme du code pénal, nous avons des députés de droite qui ne sont pas toujours très à l'aise car ils interprètent cela comme une nécessité de plus d'Etat. Or, ce n'est pas ce qu'il faut. Il faut une meilleure intervention de l'Etat, et un recul sur les sujets où il n'a rien à faire. J'ai l'impression que le centre est plus à l'aise que la droite là-dessus. Chez les centristes, il y a une tradition démocrate-chrétienne, et ces derniers sont mieux armés pour défendre la liberté tout en assurant l'Etat fort.

Laetitia Strauch-Bonart : Je ne suis pas du tout d’accord avec cette hypothèse. Maurras était avant tout anti-parlementaire et anti-républicain. La droite de l’ordre dont nous parlons ici est une droite parlementaire et républicaine. Elle est attachée aux institutions de notre pays, et à l’Etat de droit. La stratégie de la gauche a toujours été d’insulter les instincts conservateurs de la droite française, en la traitant volontiers de maurrassienne. Mais cela n’a pas de sens.

En revanche, là où il peut y avoir une tentation maurrassienne à droite aujourd’hui, c’est davantage dans le positionnement intellectuel que dans la véritable opposition à la démocratie. Appelons plutôt cette droite la droite anti-libérale. Elle est anti-libérale dans les deux sens du termes : elle se méfie des institutions politiques libérales – l’existence de contre-pouvoirs, la transparence des élus, le fait que nos représentants doivent nous rendre des comptes – mais aussi du libéralisme économique – elle ne se contente pas d’alerter des excès du capitalisme, mais elle le déteste profondément. C’est une droite minoritaire, qui se reconnaît dans une partie du FN et des Républicains, mais dont l’influence n’est pas négligeable.

Je pense surtout que la critique de droite du libéralisme, en France, repose sur un grand malentendu. Certains critiques, que je viens de citer, sont foncièrement anti-libéraux. D’autres, qui pensent être anti-libéraux, ne le sont pas vraiment. En réalité, quand ils critiquent le libéralisme, ils critiquent le libéralisme économique – ce n’est pas qu’une remarque sémantique, cela veut dire qu’ils sont attachés au libéralisme politique. Ensuite, ils acceptent le libre marché, ne souhaitent pas que l’Etat dirige l’économie mais veulent limiter la sphère marchande à ce à quoi on peut donner un prix, non une valeur ; dans la sphère marchande, ils tiennent à rendre les acteurs économiques responsables de leurs actes – il n’y a pas de raison que les grandes entreprises, par exemple, nous imposent certains produits parce qu’elles possèdent un monopole, ou polluent l’environnement sans qu’elles en paient le prix ; enfin et surtout, ils considèrent l’économie comme un simple moyen, mais en aucune façon une philosophie qui ait quoi que ce soit à nous apprendre sur la condition humaine. Le drame est que cette droite ne trouve aucun représentant politique pour faire entendre sa voix.

Quand cette droite défend dans le même temps l’ordre et l’autorité – mais là encore, de façon modérée, et non frénétique – au nom de la continuité de la communauté politique et de ses valeurs, vous obtenez ce que j’appelle, en m’inspirant de sa version britannique, la droite authentiquement conservatrice. Je suis certaine que cette droite existe en France mais que faute de représentants intellectuels et politiques, elle n’a pas pris conscience d’elle-même et, forcée de choisir son camp, prend soit celui des libéraux intégraux, soit celui des anti-libéraux.

Au regard de ces enseignements, quelles leçons les candidats à la primaire de droite peuvent-ils tirer ? L'offre politique actuelle correspond-elle aux attentes des électeurs de droite ? 

Laetitia Strauch-Bonart : Les candidats à la primaire devraient prendre conscience qu’il manque une voix pour représenter ce conservatisme-là. C’est un courant qui défend l’ordre et la liberté, car pour lui, la liberté est fondée sur l’ordre. Pour ces conservateurs, à l’inverse des purs libéraux, le principe politique principal n’est pas la liberté mais la communauté politique et sa préservation. De même, l’ordre n’est pas une fin en soi mais seulement un moyen de préserver la communauté. L’intérêt de cette droite va à la société civile, d’où naît tout ce qui a de la valeur. D’où sa défense du passé, de la transmission, de la hiérarchie ou encore des valeurs traditionnelles. D’où aussi sa large portée, parce qu’elle inclut dans ses réflexions la question de la culture, de l’art ou même du langage. J’ajoute que pour cette droite, le gouvernement n’est là que pour préserver la société civile, pas pour la diriger.

Je ne me fais pas d’illusion : ce conservatisme n’existe pas dans l’offre politique actuelle ; il apparaît seulement pour partie, chez certains et par intermittence. Si je m’en tiens à une proposition réaliste, il me semble que pour répondre aux attentes des électeurs de droite, les Républicains, qui ont embrassé un certain libéralisme économique, devraient faire deux choses. Ils devraient d’abord reconnaître la nécessité du libéralisme politique : le système politique français, en effet, ne met pas assez en valeur les contre-pouvoirs et la transparence politique, et ne rend pas suffisamment de comptes - il n’est pas accountable -, envers ses citoyens. Les candidats devraient donc s’engager à agir sur ce terrain.

Ensuite, les candidats à la primaire devraient montrer bien plus de respect pour le conservatisme culturel de leurs électeurs : arrêter de les décrire comme arriérés ou imperméables au changement, respecter leur attachement à la famille et aux valeurs traditionnelles, mettre en valeur la culture – ce qui ne veut pas dire subventionner le dernier artiste à la mode, mais déjà parler un français correct. Ils devraient aussi ne pas penser qu’être libéral sur les questions économiques implique de l’être sur les questions de société. Cela n’a rien à voir ! Car encore une fois, il y a une distinction majeure entre ce qui a un prix et ce qui a de la valeur.

Yves Roucaute : Clairement, l'offre ne correspond pas pour l'instant aux demandes des électeurs. On n'a d'ailleurs pas beaucoup d'offre pour l'instant : ce sont surtout des paroles, des postures, des bouts de programme et quelques ouvrages intéressants. François Fillon est le seul qui ait monté un vrai programme chiffré jusqu'à présent et Nicolas Sarkozy serait sur le point de faire cela via le parti LR.

La vraie question à se poser est la suivante : pourquoi la France aime Vladimir Poutine ? Pourquoi elle ne détesterait très probablement pas Donald Trump ? Simplement parce qu'elle a le sentiment qu'elle doit retrouver son rang, retrouver sa sécurité et trouver les solutions aux problèmes qu'elle a. Elle voit bien qu'il y a dans ce pays une insécurité quotidienne. D'un autre côté, les Français veulent aussi un pouvoir qui permette de libérer l'économie et d'avancer sans renier la générosité sociale qui caractérise la France.

Le problème actuel, c'est la primaire qui est devant nous et qui est un non-sens absolu dans l'histoire de France. On joue les perroquets d'un système américain qui n'est pas le nôtre. On va sortir du chapeau un gagnant, mais ce gagnant ne gagnera rien du tout ! L'UDI a déjà indiqué qu'il présenterait son candidat. Par ailleurs, je ne sais pas pourquoi on enterre François Bayrou, parce qu'il est certain qu'il va jouer les trouble-fêtes. A l'intérieur-même de la droite, des gens se présenteront quoi qu'il arrive (pensons ici à Nicolas Dupont-Aignan). Enfin, il y a également le Front national, où Marine Le Pen voudra peut-être jouer le rôle de Donald Trump aux Etats-Unis. Assez paradoxalement, la gauche a tout fait pour éliminer la droite avec son projet économique et elle s'est sabotée elle-même en se coupant d'une partie de ses soutiens. De l'autre côté, la droite se tire elle aussi une balle dans le pied, et tout cela profite à Marine Le Pen.

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