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Tempête sur Lula et Dilma Roussef, ces idoles brésiliennes dont la chute ne modifiera rien aux réflexes de la gauche bobo française
©Reuters

Tomber et retomber dans les mêmes panneaux

Mercredi 16 mars, le Brésil a connu d'importantes manifestations. En cause, la diffusion d'écoutes téléphoniques de Dilma Roussef, actuelle Présidente de la République du Brésil, dans lesquelles la femme d'état avoue avoir propulsé Lula da Silva au gouvernement pour lui éviter de répondre devant la justice. Une nouvelle icône de la gauche morale qui s'effondre, après Chávez ou Kirchner.

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Il a notamment écrit en 2024 "Journal de guerre : C'est l'Occident qu'on assassine" (éditions Fayard) et en 2021 "Manuel de résistance au fascisme d'extrême-gauche" (Les Nouvelles éditions de Passy). 

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Atlantico : Ce mercredi 15 mars, des manifestations massives ont eu lieu partout au Brésil, à la suite de la diffusion d'écoutes téléphoniques de Lula da Silva et de Dilma Roussef dans lesquelles celle-ci reconnaissait avoir nommé Lula chef de cabinet du gouvernement pour lui éviter la prison. Alors que la gauche française se revendiquait du parti du peuple, notamment au travers de Ségolène Royal "Je sors de l'entretien avec Lula que j'ai retrouvé avec joie, charismatique et simplissime. Avec son CAP de tourneur comme seul diplôme, il a tenu tête au FMI et aux banques et surmonté 2 grandes crises économiques. 84% de popularité à la fin de son second mandat. Qui dit mieux ?" Qu'est-ce que ce nouveau scandale traduit d'une gauche "morale" jusqu'à présent encensée par la presse et la gauche en France ?

Gilles-Wiliam Goldnadel : Cela montre clairement le décalage entre la présentation qui est faite de ces icônes de la gauche – laquelle ressemble à une forme de canonisation ou de béatification – et la réalité, beaucoup plus crue sur le terrain. Ce qui s'est passé au Brésil hier, mais également depuis quelques semaines, est quelque chose de proprement extravagant, digne d'une République bananière, au sens littéral du terme. Oser utiliser un maroquin ministériel pour empêcher quelqu'un – en l'occurrence Lula da Silva – de répondre à la Justice, c'est tout simplement énorme. Et pourtant… les réactions en France demeurent très compassées. J'entendais ce matin Bernard Guetta sur France Inter, lequel était extrêmement modéré. Toute cette affaire était expliquée par la crise économique et bien d'autres choses… Mais mon imagination reste impuissante à exprimer ce que Bernard Guetta aurait pu dire si, par hasard, il s'était agi de quelqu'un de droite et non de gauche. La situation ne change pas et la réalité entre toujours en opposition avec la vision iréniste, angélique de la gauche française à l'égard des icônes de la gauche latine. Rappelons-nous les larmes de Jean-Luc Mélenchon lors des obsèques d'Hugo Chávez. Cet homme n'était ni plus ni moins qu'un dictateur antisémite et a été encensé par Jean-Luc Mélenchon. Cristina Fernández de Kirchner a également connu une très bonne presse en France, alors qu'elle quittait le pouvoir argentin – avec son ministre des Affaires Etrangères, Héctor Timerman – après avoir couvert l'assassinat d'un procureur de la République Argentine. Il poursuivait l'Etat Iranien et le Hezbollah pour avoir fait sauter l'équivalent du CRIF Argentin. Voilà la réalité en Amérique Latine.

Contentons-nous d'un exemple bien plus franco-français ! Observons la différence de traitement entre ce qui peut se dire aujourd'hui sur Monseigneur Barbarin et sur ce qui ne s'est pas dit sur Monseigneur Gaillot, qui avait fait venir en pleine connaissance de cause un enseignant canadien, dont il connaissait le caractère pédophile. Il savait son passé pédophile et celui-ci a réitéré en France. Cela n'a pas pour autant fait autant de bruit que l'affaire Barbarin ne peut le faire désormais. Et pour cause : Monseigneur Gaillot est l'une des icônes de la gauche radicale ! Alors même que, pour Monseigneur Barbarin, la messe n'est pas encore dite, il est déjà attaqué de part et d'autre.

Pour en revenir à l'attitude de la gauche, il me semble important de souligner qu'il s'agit d'un comportement inscrit dans l'ADN de la gauche morale à la française. Elle se regarde avec beaucoup d'indulgence. Rarement, elle attaque ses propres ouailles, alors même qu'elle fait preuve d'une extravagance et d'une virulence toute particulière à l'égard de la droite. Je ne prétends pas que la droite se conduit mieux, loin de là. Ce serait faux : les hommes sont les hommes. Il existe néanmoins une différence de taille entre la droite et la gauche, puisque la première ne chante pas la messe et n'organise pas sa propre autocélébration. Cette attitude là est proprement immorale.

Au vu des différentes réactions qu'a pu avoir la gauche française par le passé, notamment à l'égard de Chavez, faut-il attendre que notre propre gauche apprenne de ses erreurs et désacralise certaines de ses idoles ouvertement désuètes ? A quand la fin des "Moi, président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit à chaque instant exemplaire." ?

Je crois que lorsque la gauche se dé-gauchisera, ce genre de discours pourrait prendre fin. Nous avons une expérience assez stable de la gauche française depuis mai 68. Depuis mai 68, la gauche française est une gauche gauchiste. Le Parti Socialiste lui-même a été victime d'un tropisme particulier, en ce qui concerne le trotskysme et le post-trotskysme. Une forme d'esprit postchrétien, quasi religieux. 

Quand la gauche française, et il me semble qu'elle est en phase de dé-gauchisation, redeviendra ce qu'elle a pu être souvent – pas toujours – cela pourrait cesser. Quand la gauche sera plus pragmatique, attirée par une vision sociale et néo-keynésienne – bien entendu – de l'économie (que je ne partage pas, mais c'est bien là le droit de la gauche d'espérer de l'Etat qu'il s'immisce davantage dans les affaires économiques) ; quand elle sera moins sur le terrain de la moralisation, nous pourrons considérer que cela peut changer. Indépendamment des excès partisans qu'on retrouve à gauche comme à droite (c'est un peu la loi du genre), quand l'attitude de la gauche perdra son caractère religieux, la situation pourrait évoluer. Rappelons qu'aujourd'hui, la gauche morale a perdu toute crédibilité. Jadis, la gauche morale se vivait et se disait comme un pléonasme. C'est, dorénavant, un véritable oxymore. Cette incapacité à faire son autocritique en est l'une des raisons. Le roi est nu : tout le monde le sait nu ; à l'exception du roi.

Il est très possible que la gauche morale fasse son aggiornamento sur Lula, comme elle a pu le faire sur Syriza, ou sur Staline. Ce ne sera jamais valable que pour le passé. Pour le présent et pour l'avenir, les attitudes n'évolueront pas. La gauche morale changera peut-être sur la forme, mais les gènes de l'autocélébration sont toujours là. Ils ne s'en iront qu'avec la dé-gauchisation de la gauche.

Jusqu'où est-ce que le principe de gauche morale est-il fiable à proprement parler ? Dans un univers où, comme au Brésil, les institutions poussent à la cohabitation, à l'alternance et donc aux cadeaux électoraux ou politiques pour rassembler une majorité, le compromis est-il évitable ? 

Nous ne sommes pas sur le terrain du compromis. Nous ne sommes pas non plus sur le terrain du réalisme politique. Nous ne sommes même pas sur le terrain de la trahison des idéaux ! Nous sommes sur le terrain de la cécité intellectuelle et morale vis-à-vis de gens canonisés de leur vivant. C'est bien plus grave encore. En général, lorsque l'on a la morale à la bouche, on s'estime quitte de ses actes. Discours vaut quittance. Tant que la gauche continuera d'utiliser un langage empreint d'un moralisme excessif, elle ne sera pas morale.

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