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Grogne dans l’armée, retour des espoirs de grand soir chez Besancenot, violences autour de la campagne Trump… nos démocraties sont-elles aussi stables qu’on le croit ?
©Allociné

C’est prêt quand ça bout ?

Les sociétés occidentales sont sous tension depuis l'éclatement de la crise économique de 2008. Si la souplesse du système politique américain empêche tout risque d'explosion politique ou sociale, la fermeture du système français et la surveillance de la société par l'administration sans aucun contrôle judiciaire, sans aller jusqu'à la révolution, menacent la France de désordre.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Donald Trump promet des émeutes s’il n’est pas investi par le parti républicain tandis qu’en France, Olivier Besancenot voit dans le contexte actuel de crise politique et de mobilisation sociale une "fenêtre d’opportunité pour modifier l’histoire". Sans prendre ces déclarations au pied de la lettre, à quelle(s) stratégie(s) répondent ces menaces implicites de violence ?  Nos démocraties sont elles réellement aussi stables que nous pouvons l'imaginer ? 

Yves Roucaute : Il est important de distinguer la situation américaine de la situation française pour bien comprendre ce dont il s’agit. 

Aux Etats-Unis, Donald Trump, contrairement à ce qui est affirmé par une partie de la presse, en particulier la presse française, qui suit la presse bien-pensante new-yorkaise influencée par la gauche démocrate, n’est pas à l’origine des violences. Et je ne suis pas particulièrement favorable aux thèses de Trump, mais c’est un fait. Au contraire, ce sont les anti-Trump de gauche qui sont violents et essaient de perturber les meetings politiques du candidat républicain. Ils envoient des militants pour empêcher la tenue des rassemblements et agresser, y compris Donald Trump. C’est d’ailleurs pour cela que campagne anti Trump fondée sur sa diabolisation ne marche pas. La population n’est pas dupe. La montée de Trump se poursuit. 

Un exemple illustre bien la vision biaisée des médias : la presse politiquement correcte américaine a fait d’un participant à la campagne de Trump, qui a agressé un manifestant qui voulait empêcher par la force un meeting de Trump, l’expression de la violence de Trump alors que, dans les faits, des dizaines de cas de violences faites contre les meetings de Trump sont recensés. Et il est clair que ce n’est pas Trump qui a appelé à une telle réaction mais les provocations de cette gauche qui refuse le débat démocratique et qui se mêle de ce qi ne la regarde pas, puisqu’elle se mêle des élections primaires du parti Républicain.Ces violences sont en particulier organisées par le gauche du parti démocrate et notamment les militants de Sanders, mais pas uniquement. 

Lorsque Trump dit qu’il risque d’y avoir des émeutes, il part du réel : il gagne les élections, y compris dernièrement la Floride. Et même le gouverneur Rick Scott, qui avait appelé à voter pour Marco Rubio vient de le rejoindre après le retrait de la course à l’investiture de ce dernier. Or, la convention de juillet à Cleveland risque de choisir un autre représentant. Car si Trump est devant il pourrait n’être pas majoritaire, il faudrait alors un second tour. Or, au seoncd tour, les délégués ne sont plus tenus à l’obligaiton de voter pour le candidat de la liste sur laquelle ils ont été élus, ce qui laisserait libre cours à des manœuvres d’appareil. 

Il est clair que si son avance est confortable ceux qui ont voté pour lui et qui sont en général portés vers lui par refus de l’establishment seraient très mécontents.

Néanmoins, les Etats-Unis ne sont pas à l’aube d’une guerre civile. Le système américain "chauffe" un peu tout comme il a chauffé sous Bush ou encore à l’époque de Goldwater contre Rockfeller en 1964. 

Dans le cas d’Olivier Besancenot, c’est le processus contraire qui se produit. Car c’est bien comme aux Etats-Unis, l’extrême gauche qui est l’agresseur et utilise la violence. On le voit dans le cas des "no borders" ou des manifestations à Nantes de février où les gauchistes ont manifesté dans la violence contre l’état d’urgence. 

Besancenot exprime son rêve, son rêve de violence car il rêve toujours du "grand soir". Il en a toujours été ainsi dans le vieux rêve trotskiste complètement archaïque, ce cauchemar révolutionnaire pour les amoureux de la liberté, qui consiste à croire qu’on va produire le grand soir en organisant de la violence à partir d’un mouvement de manipulation de la jeunesse par exemple. C’est le vieux truc : provocations, répressions, actions violentes. C’est d’ailleurs drôle de parler de grand soir,  mais aussi symptômatique, car le grand soir précède la nuit, comme les trains que conduisait Trostky dans la Russie révolutionnaire annonçaient les massacres et la terreur.

En ce qui concerne la stabilité démocratique, là aussi les situations américaine et française sont très différentes. La démocratie américaine est absolument stable : il n’y a aucun risque d’explosion aux Etats-Unis car le système américain est assez fort pour réguler ses contestations internes, quand bien même il y a des soubresauts. 

A l’inverse, le système français est très fragile parce que les autorités sont moins légitimes. C’est d’ailleurs pour cela que des figures comme Besancenot rêvent d’un grand soir. 

Toutefois, il ne faut non plus croire que d’une quelconque façon ce grand soir est à l’horizon en France, car l’extrême gauche ne représente pas une alternative aujourd’hui. Se profile en revanche un grand désordre car les classes populaires et l’ensemble de la population anti-establishment, sont extrêmement mécontentes de l’establishment. Mais le mécontentement est régulé par le système car il se dirige de plus en plus vers le Front national (FN), qui est en réalité dans le système, et non vers l’extrême gauche ; Au fond l’extrême gauche nourrit la détestation de l’establishment, ce qui profite au FN. Drôle en réalité. Le système français est donc menacé de désordre et non de révolution.

il l’est d’autant pus que l’Etat ne joue pas son rôle. Car le vrai responsable des violences c’est le retrait de l’Etat de ses fonctions régaliennes, un Etat qui préfère occuper des fonctions qui ne sont pas le siennes.

Ainsi, ce retrait de l’Etat explique les violences menées par l’extrême gauche ou par certains migrants qui ne peuvent être assimilés dans notre société. comme l’ont démontré le harcèlement les femmes d’Hambourg, de Cologne ou même de Suède amis aussi de France dans la quotidienneté. 

La vraie responsabilité de la violence est celle de l’Etat qui n’est pas capable d’assurer le droit. 

Il est bien évidemment normal de recevoir des gens opprimés qui demandent l’asile parce qu’ils sont persécutés mais ce n’est pas dans les faits ce qui s’est passé : la France a reçu sans distinguer ce qui a en conséquence nourri la violence. Et on laisse des quartiers sans droit où règne la loi du plus fort. De la même façon, aux Etats-Unis ce n’est pas Trump qui est responsable de la violence mais Obama car il a été même incapable d’assurer la sécurité des meetings du principal candidat du parti d’opposition, ni la sécurité des manifestations pacifiques et il n’a pas maîtrisé les flux de migrations. Il aurait fallu qu’il se demande "qui" peut être ou non assimilé. Ce qui s’est passé à San Bernadino pose des problèmes aux citoyens américains. Ce n’est pas si simple. En Allemagne, Merkel est responsable des violences du fait de son incapacité à assurer les conditions de la  sécurité des citoyens allemands, come les conditions d’entrée des migrants,  ce qui a engendré des phénomènes comme Pegida qui font de la contre-violence, ce qui évidemment pose problème. 

Ces violences ne sont qu’un symptôme des failles du gouvernement et de l’Etat. En résumé, l’Etat s’est retiré de là où il devrait être (dans la pacification et la sécurité des biens et des personnes) et est là où il ne devrait pas être.. 

Chantal Delsol : Nous ne devons pas croire que nos démocraties sont stables. D’abord, aucun pouvoir ne l’est. Et les démocraties moins qu’aucun autre, puisqu’elles reposent sur la liberté du peuple, qui est volatile et changeante. Un pouvoir qui tient sur la violence (dictatoriale ou totalitaire) est plus assuré !

Au XX° siècle, après les élections qui menèrent Hitler au pouvoir, les Occidentaux se sont rendus compte qu’il fallait protéger les démocraties contre elles-mêmes. C’est à dire, éviter que des courants despotiques ou apparentés prennent le pouvoir en utilisant le vote démocratique, pour ensuite abolir la démocratie (ce qu’a fait Hitler). C’est pourquoi après la guerre, les Allemands ont interdit les partis néo-nazis, et les Américains ont pratiquement interdit le parti communiste. Je trouve ce genre d’interdiction légitime. La liberté est fragile comme un gentleman qui refuse de lever le poing : il faut la protéger.

Je ne crois pas que Donald Trump ou Olivier Besancenot soient des menaces pour la démocratie. Le premier est un personnage fruste et lourdingue, évidemment, assez proche de Berlusconi (mais un italien n’est jamais vulgaire, même balourd…), plus sottement vantard que méchant. Le second est une graine de trotskyste, égaré au milieu des post-modernes, et devenu par là-même assez inoffensif…

Qui sont ceux qui misent réellement sur une explosion sociale et politique ? Qui sont les personnes, ou les courants, qui peuvent y voir un réel intérêt ? En quoi de tels intérêts peuvent ils s’avérer contreproductifs, et échapper totalement à leurs initiateurs ?

Yves Roucaute : Concrètement, nous vivons sur la bêtise habituelle de l’extrême-gauche. Habituelle, c’est pourquoi elle n’a jamais réussi que des coups ponctuels, sans lendemain,  tandis que ses dirigeants ont systématiquement fini au PS, réformistes et prompts à occuper des places dans l’Etat. Elle croit qu’elle peut espérer quelque chose d’une explosion. C’est pour cette raison qu’elle pousse la jeunesse, manipule les étudiants et les lycéens. Elle cible cette jeunesse-là parce qu’elle n’a aucune prise sur l’autre jeunesse, celle qui travaille ou celle qui est au chômage, ces deux millions de jeunes sans emploi laissés à eux-mêmes. Je n’ai d’ailleurs vu que François Fillon en parler ce qui montre à quel point notre élite politique est déboussolée. Mais cette extrême-gauche n’a aucune possibilité de tirer quoi que ce soit de cette manipulation des étudiants et lycéens car elle ne représente pas une alternative. 

Elle fait le lit du FN.. Supers stratèges gauchistes.  En Iran, leurs cousins avaient fait le lit de Khomeiny, en Russie ils avaient fait le lit de Staline, en Allemagne celui d’Hitler, en Espagne celui de Franco. Je ne veux pas dire d’ailleurs que la FN soit un parti totalitaire, car je ne le crois pas. C’est un parti de protestation, qui a une fonction tribunitienne de plus en plus affichée même s’il ne parvient pas à s’organiser pour jouer cette fonction dans les quartiers comme le faisait le PC de naguère.

Les gauchites, à l’exception de cuex que l’on appelait jadis les "lambertistes", type Jean-Christophe Cambadélis, part ailleurs très tortueux, ne comprennent rien à la politique. 

Il suffit au FN de ne pas trop parler pour ramasser la mise.  D’ailleurs, il est assez silencieux en ce moment, de ne pas prendre pas d’initiative et de laisser faire le pourrissement organisé par l’extrême-gauche. Il n’a pas intérêt à mettre le "feu aux poudres" mais à laisser les autres, gouvernement et gauche socialiste à le mettre. 

Chantal Delsol : Evitons les exagérations. Personne n’a envie d’une explosion sociale et politique, et ce n’est pas parce que les militaires sont mécontents qu’ils rêvent de soulèvements ! Le temps n’est plus où l’on croyait que les révolutions permettraient de remettre le monde à l’endroit. Il y a toujours une petite partie de la jeunesse qui voudrait des situations tragiques, parce que le quotidien est plus difficile à assumer que la catastrophe. A la limite, il n’y a plus que les journalistes pour attendre les explosions, qui feraient vendre du papier !  

Suite au refus d’entreprises technologiques de fournir aux gouvernements des informations sur leurs utilisateurs (Apple soutenu par Google, Microsoft et Facebook), ou en constatant les différentes mesures prises en France dans le cadre de l’Etat d’urgence ou encore l'arrestation du général Piquemal, en quoi est-il possible de considérer que se met en place une vigilance accrue des gouvernements vis à vis d’éventuels débordements ? Le contexte actuel est-il à ce point un terreau favorable à de tels débordements ?

Yves Roucaute : Le deux poids deux mesures actuel est flagrant : le général Piquemal (qui rappelons-le n’est pas en activité) a été arrêté pour avoir manifesté car la manifestation était illégale ; de ce point de vue, il n’aurait d’ailleurs pas dû aller manifester à mon sens. Néanmoins, lorsque se produisent des violences à Nantes ou lorsque les no borders se montrent violents à Calais, ils ne sont pas arrêtés. Il est absolument scandaleux de frapper toujours du même côté sans se préoccuper des dérives de l’extrême gauche. 

Cela montre bien que le gouvernement socialiste cache sa préoccupation de réélection sous des préoccupations sécuritaires. Ce deux poids deux mesures est mis en œuvre car le gouvernement sait pertinemment qu’il ne récupèrera jamais les voix des identitaires mais il sait que contre la droite, il peut espérer avoir les voix d’extrême gauche et de l’écologiste militant rouge-vert. Le gouvernement pense d’abord à la réélection de François Hollande et la question du droit importe moins. 

C’est d’ailleurs peut-être pour cela que nous assistons à la mise en place d’une structure, d’un mode de pensée et d’une réalité de plus en plus liberticide. En effet, ce Gouvernement met en place un système de gestion de la sécurité via l’administration sans contrôle du juge : c’est pour le moins inquiétant. Le fait que la haute administration française qui gouverne par François Hollande profite de l’insécurité pour augmenter son pouvoir est éminemment plus dangereux pour la démocratie que des manifestants qui protestent à Calais. Dans cette situation-là Google a parfaitement raison de refuser, en France, de partager ses informations avec l’Etat. 

Aux Etats-Unis une différence de taille doit être soulignée : ce sont les juges qui contrôlent les informations. A cet égard, je suis plutôt en faveur de la position de Trump appelant Google à partager des informations avec l’Etat américain. Nous avons un Etat de droit pas un Etat bureaucratique proche de la dictature.

En quoi Donald Trump aux Etats-Unis et les partis d’extrême gauche ou d’extrême droite en Europe jouent-ils avec le feu ? Quels sont les éléments nécessaires, dans un tel cas, à un véritable passage à l’acte ? Ne s’agit-il pas là de fantasmes ?

Yves Roucaute : Trump ne joue pas avec le feu : il a une position très classique dans l’histoire américaine. Il est l’expression d’un mouvement jacksonien (du nom du président Jackson qui a fait la conquête de l’Ouest). Il s’agit d’un mouvement patriotique, nationaliste, assez isolationniste, protectionniste, très fort aux Etats-Unis depuis plus d’un siècle, qui a toujours été très puissant et qui s’inscrit dans le courant réaliste des théories des relations internationales. Un  courant que l’on peut en quelque sorte qualifier de cynique qui vise la seule puissance américaine, avec pragmatisme. Cela explique pourquoi Donald Trump est aussi fort. Les Américains sont lassés de l’establishment qui affaiblit le pays, comme le montre la situation au Moyen-Orient où lma Russie de Poutine a retrouvé un rôle majeur alors qu’elle paraissait avoir été sortie de la région. 

Cela n’a rien à voir avec l’extrême gauche qui joue avec le feu puisque la logique de subversion en route est de tracer le chemin du FN. D’ailleurs dans une concurrence démocratique entre Martine Le Pen et Besancenot, je ne parierais pas un kopek sur le second. Cette extrême-gauche se trompe de siècle, c’est devenu un simulacre de pensée, avec un faux internationalisme qui ne comprend rien à la situation du monde et voit dans les migrants les nouveaux prolétaires. 

Les Etats-Unis et la France traversent une crise de l’establishment similaire mais la solution à cette crise est permise par le système politique américain car même si Hillary Clinton gagne, Trump aura secoué les Etats-Unis, tandis qu’en France aucune solution ne se dégage car le système politique l’empêche. Aux Etats-Unis, le système est ouvert et c’est précisément cette absence de verrou qui permet l’émergence d’un candidat comme Trump. C’est aussi cette souplesse du système qui pourra le sauver. 

A l’inverse en France, tout est bloqué. Cela explique le mécontentement français profond envers les élites et l’insatisfaction envers les candidats qui se dessinent pour la prochaine présidentielle. S’il y avait un Trump "à la française" avec des positions patriotiques, en faveur d’un certain libéralisme économique et des positions sociales et environnementales claires, il (ou elle) serait très certainement élu très facilement. Mais il ne faut pas rêver.

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