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Procès des commissionnaires de Drouot : l'incroyable business des voleurs en série qui sévissaient au sein de l'hôtel de ventes depuis des lustres
©Reuters

Caverne d'Ali Baba

Un étonnant procès vient de s’ouvrir à Paris : celui d’une quarantaine de commissionnaires de l’hôtel des ventes de Drouot. Tous soupçonnés de vol. Des petits objets à des peintures de Courbet ou de Chagall. Un trafic qui durait depuis des lustres. Avec parfois la négligence pour ne pas dire la bienveillance de quelques commissaires-priseurs qui sont également sur le banc des prévenus. Le procès va durer un peu moins de trois semaines.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Pendant des décennies, l’hôtel  Drouot, la célèbre salle des ventes de Paris a été la forêt de Bondy. Comme au temps de Victor Hugo. On volait. On pillait. On se servait comme si on était chez soi. Le "on" , ce sont les commissionnaires, les fameux cols rouges chargés de récupérer toutes sortes d’objets et de les donner aux commissaires-priseurs pour qu’ils procèdent aux ventes aux enchères. Un petit jeu très ancien qui a permis à ces cols rouges, surnommés les Savoyards, parce qu’originaires de la vallée de la Maurienne et aux commissaires- priseurs de s’enrichir indûment.  Résultat : ils sont une quarantaine à se retrouver depuis 48 heures, pour une durée de près de trois semaines sur les bancs du tribunal correctionnel de Paris. Motif : association de malfaiteurs en vue d’un ou plusieurs crimes,  et vols en bande organisée. Soit en tout une cinquantaine, parmi lesquels quelques commissaires-priseurs connus. Et qui se sont montrés plus que légers. Les commissionnaires vont devoir s’expliquer sur les larcins qu’ils ont commis pendant des dizaines d’années. Ici, en s’appropriant  trois lithographies de Chagall, trouvées « au cul d’un camion »  en déchargeant de la marchandise Drouot, là, de la verrerie Art- Déco volé chez… un commissaire-priseur de La Rochelle, là encore quelques caisses de vins de Bordeaux de très grand cru… Sans oublier des lingots d’or que l’on a retrouvés chez quelques commissionnaires indélicats.

Tout commence le 16 février 2009, lorsque un informateur anonyme révèle à l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels qu’un commissionnaire, membre d’une corporation qui existe depuis 1832-Union des commissionnaires de l’Hôtel des ventes (UCHV), se nommant Morgan Prina, détenait une toile de Courbet visiblement dérobée lors de  l’ouverture d’une succession. L’informateur, très bien renseigné, faisait savoir aux policiers de l’ Office que la toile en question allait être présentée sur le marché de l’ art par la fiancée de Prina. Sitôt le tuyau reçu, le Parquet de Paris diligente une enquête préliminaire. De fil en aiguille, les enquêteurs vont apprendre, à l’occasion d’une succession, que le tableau du célèbre peintre,  n’a jamais appartenu au commissionnaire. Et pour cause : elle provient de l’héritage d’un certain M. Bone qui l’avait transmise à son neveu Olivier Bone… Or, bizarrement, alors que l’estimation du tableau prenait du temps, il avait été stocké dans un local à Bagnolet, à quelques encablures du périphérique… Bagnolet, c’est là on le verra, où  de nombreux objets seront retrouvés. Pour en savoir un peu plus sur ce commissionnaire, Morgan Prina, la police le place sous écoutes. Moisson fructueuse. D’abord, la police découvre que chaque commissionnaire porte un numéro. Prina porte le numéro 106. Et que le numéro 106, plutôt bavard au téléphone,  laisse entendre que les détournements d’objets sont monnaie courante au sein de la corporation, UCHV. Les écoutes révèlent aussi que deux commissionnaires sont loin d’être dans le besoin, puisqu’ils roulent, l’un, en Porsche 911, l’autre en BMW Cabriolet, dernier cri. Décidément très payantes, ces écoutes apprennent aux enquêteurs que le 106 (Prina)  est en cheville avec le 51, un dénommé Christophe Carrier et un individu qui se fait appeler « la Truie » ! Leur travail : le détournement d’objets anciens trouvés dans un appartement. Plus le temps passe, plus les enquêteurs sont intrigués. Ne viennent-ils pas d’apprendre que Morgan Prina se trouve en en contact avec  un mystérieux Tonio qui habite à Los Angeles ? 

Au bout de quelques semaines de surveillance, les limiers de l’office de lutte contre le trafic des biens culturels ont la certitude  que les vols des commissionnaires constituent une pratique habituelle, voire institutionnelle. La preuve : les objets détournés, lors des déménagements, sont transportés dans des camions, propriété de l’ UCHV pour être tantôt stockés à Drouot tantôt entreposés dans leur dépôt à Bagnolet. Autre découverte faite par les enquêteurs : un commissaire-priseur, Eric Caudron, semble bien négligent. En effet, selon l’ordonnance de renvoi de la juge d’instruction, il fermerait les yeux sur la marchandise détournée par les commissionnaires… Marchandise qui est ensuite revendue en salle des ventes à Drouot.

Toutes ces découvertes sont suffisantes pour que le Parquet de Paris, le 18 mai 2009, ouvre une information judiciaire. Et que quelques mois plus tard, le 1er décembre, pour que se déroule une série d’interpellations. Parmi celles –ci, 9 commissionnaires, dont Morgan Prina et Christophe Carrier. Interpellé aussi le commissaire-priseur,  Eric Caudron… Le plus étonnant est à venir. Lors d’une perquisition chez les commissionnaires, soit dans leurs casiers situés dans les sous-sol de Drouot, mais surtout dans leur entrepôt à Bagnolet, c’était la découverte d’une caverne d’Ali Baba. Des centaines d’objets anciens étaient répertoriés. Le fameux Courbet. Une oeuvre de Chagall. Ce n’est pas tout : les policiers mettent la main sur 64 500 euros en espèces découverts sur les sites ci-dessus.  Tout aussi surprenant : on  trouve, dans différents containers installés à Bagnolet, des carnets de comptabilité qui indiquent avec précision  l’équipe ayant participé au vol des objets avec la date de leur revente. Décidément bien organisée,  la fine équipe des commissionnaires a mis au point un fichier informatique ayant  pour intitulé « yape »… Ce qui signifie : vol !

Au fil de leurs investigations, les policiers commencent à comprendre quelle est  l’organisation de l’UCHV. Elle est animée par des gérants, rémunérés chaque mois entre 5 et 10 000 euros. Lesquels ont tous un rôle très précis. Par exemple, le quatrième a comme mission de distribuer le travail en ville et dans les salles d’exposition. C’est lui qui entretient les rapports  avec les commissaires –priseurs et la direction de Drouot. .Le  troisième  a la responsabilité de la discipline intérieure. Les gérants sont au nombre de 5. Tous garants de la probité de la corporation des commissionnaires. En principe. Sauf que les cinq gérants, au cours de leur garde à vue reconnaissent ne pas être blanc –bleu et avoir commis des détournements. L’un des gérants admet avoir commis le vol de plusieurs centaines d’œuvres du  peintre Raymond Feuillatte. Autant de vols qui ont eu lieu dans les années 2000. Bref, à Drouot vol, stockage et vente c’était le credo. En toute impunité.  C’est ainsi qu’un commissionnaire ne se gênera  pas  pour  dérober de nombreux objets de valeur appartenant à la succession du  célèbre mime Marcel Marceau. Qu’un autre, le numéro 90, vendra des objets précieux à un commissaire- priseur pour la somme de 15 000 euros.  Un autre encore, avoue avoir mis la main sur une partie de la succession du photographe Jacques-Henry Lartigue. Que dire encore du vol en 2006, en région parisienne,  de deux meubles « Eileen Gray » ( petit guéridon et bureau), propriété  des héritiers Mynott ! Ces meubles seront finalement revendus à Drouot pour 1 million d’euros. On comprend pourquoi dans son ordonnance de renvoi, la juge d’instruction, Anne Bamberger a dressé ce constat : « Ainsi, il ressortait  que la quasi-totalité des cent dix « cols  rouges » de l’Union  des commissionnaires de l’hôtel des ventes de Drouot apparaissait dans les relevés de vols.. Les objets volés allaient du petit objet sans valeur  jusqu’au tableau de maître  (comme le Courbet). Cela révélait  que l’ensemble de la corporation volait aussi bien  des appareils électro-ménagers que des livres, tableaux, meubles ou bijoux » Et la magistrate de conclure : «  La discipline interne  de l’ UCHV  n’était que complaisante et protectrice  des commissionnaires pris en flagrant délit  de vol par des commissaires –priseurs. »

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