Cette autre jeunesse qui ne manifeste pas à l’appel de l’Unef mais postule en masse pour entrer dans l’armée ou la police<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Cette autre jeunesse qui ne manifeste pas à l’appel de l’Unef mais postule en masse pour entrer dans l’armée ou la police
©Reuters

Engagez-vous qu'ils disaient

Au lendemain de la journée de mobilisation contre la loi El Khomri à laquelle plusieurs syndicats d'étudiants et de lycéens appelaient à participer, plus de 35 000 candidats passaient ce jeudi le concours de la police nationale. Du "jamais vu" puisqu'ils étaient 42% de plus qu'au concours de septembre 2015.

Stéphane Sirot

Stéphane Sirot

Stéphane Sirot est historien, spécialiste des relations sociales, du syndicalisme et des conflits du travail.

Il enseigne l’histoire politique et sociale du XXe siècle à l’Université de Cergy Pontoise.

Derniers ouvrages parus : « Les syndicats sont-ils conservateurs ? », Paris, Larousse, 2008 ; « Le syndicalisme, la politique et la grève. France et Europe (XIXe-XXIe siècles) », Nancy, Arbre bleu éditions, 2011.
Voir la bio »
Louis Fontaine

Louis Fontaine

Louis Fontaine est officier de gendarmerie à la retraite.

Voir la bio »

Atlantico : Alors qu'on avait déjà noté une explosion des candidatures dans l'armée en 2015, que démontre cette ruée vers le concours de la police quant aux aspirations de la jeunesse, depuis les attentats de l'année dernière ? 

Louis Fontaine : C'est indéniablement la poursuite de l'effet 11 janvier et 13 novembre. Il y a une prise de conscience que le pays est en danger, que la cohésion nationale est menacée et que c'est le moment de s'engager. C'est un réflexe d'autodéfense en quelque sorte. Les forces de l'ordre ont gagné en réputation et la jeune génération a le pressentiment que la situation va empirer et qu'il est temps de se prendre en main. La Patrie est en danger, la Nation veut reprendre les armes. D'où l'idée qui avait émergé d'une "garde nationale" mais qui n'a pas eu de suite.

Entre le communautarisme et le matérialisme, le service de l’État apparaît comme une troisième voie. A mon sens, la peur de se retrouver précarisé dans le monde du travail se mêle à une volonté de se dépasser soi-même au service de la collectivité nationale. Nous ne sommes pas dans l'euphorie révolutionnaire des soldats de l'an II mais dans une sourde résignation. La volonté de faire son devoir et de défendre les siens.

Qui sont les étudiants qui s'engagent dans les syndicats étudiants et qui sont ceux qui se mobilisent lors des mouvements sociaux de jeunesse comme celui contre la loi El Khomri ?

Stéphane Sirot : Les deux syndicats étudiants comptant le plus de jeunes militants sont aujourd'hui l'UNEF et la FAGE, deux syndicats de gauche. Traditionnellement, l'UNEF est proche du Parti socialiste, même si en l'occurrence le mouvement social initié cette semaine s'oppose à un gouvernement socialiste. L'UNEF a été un véritable tremplin pour de nombreux jeunes militants vers une carrière politique au PS. Jean-Christophe Cambadélis, actuel Premier secrétaire du PS, a ainsi été président de l'UNEF-ID. Plus récemment, Bruno Julliard, premier adjoint au maire de Paris, a été président de l'UNEF de 2005 à 2007.

La FAGE se veut plus autonome, plus réformiste. Elle n'appelait pas à manifester contre la loi El Khomri. Ce syndicat gravite dans le sillage de la CFDT.

Sociologiquement, les étudiants syndicalisés sont un peu à l'image de l'ensemble des étudiants. On y trouve donc plus de jeunes issus de catégories socio-professionnelles CSP+ que de milieux ouvriers.

Ils ne représentent néanmoins qu'une petite minorité des étudiants qui sont globalement très peu syndiqués, peu politisés, et votent traditionnellement peu aux élections en général, y compris les élections étudiantes. Comme dans le syndicalisme dans son ensemble, on remarque un reflux de l'engagement syndical. Les jeunes se mobilisent ponctuellement mais de manière assez peu durable. Les jeunes d'aujourd'hui conserve une capacité d'indignation, de contestation, mais qui ne se transforme pas pour autant dans un engagement politique ou syndical pérenne.

Comment se fait-il que tant de jeunes gens postulent pour rejoindre les forces de l'ordre ou l'armée alors même qu'on ne cesse de leur dire combien les conditions de travail, la rémunération et l'exposition à la violence peuvent être démotivantes dans ces corps de métier ?

Louis Fontaine : Plusieurs effets se conjuguent. L'annonce par le président de la République en personne de l'augmentation des effectifs a été reçue 5 sur 5. Il y a un effet d'aubaine indéniable pour une jeunesse qui a du mal à trouver un emploi stable dans un contexte économique morose. Militaire de la gendarmerie ou fonctionnaire de police sont des postes qui offrent des garanties statutaires importantes. Mais cela ne fait pas tout.

Cette jeunesse a aussi un idéal à défendre. Dès le collège, puis au lycée, elle a été confrontée à la montée de la violence, à l'abandon de la laïcité face aux revendications religieuses. Le communautarisme ambiant pousse aussi une partie de la jeunesse à se réfugier vers des valeurs républicaines qui sont incarnées par les forces de l'ordre. Quand l'autorité de l’État se délite, quand l’Éducation nationale perd pied, le réflexe est de se raccrocher à des repères qui donnent sens à l’existence. Malgré le constat que les forces de l'ordre sont dépassées par une délinquance endémique, le flux des migrants et une justice laxiste, la jeunesse reste fidèle à son idéal. Elle croit que les choses vont changer après cette terrible année 2015.

Les candidats ont du mal à appréhender les contraintes du métier qui les attendent. Beaucoup d'ailleurs finiront par abandonner.

L'alternative, c'est la réserve. La journée de travail du réserviste est très bien indemnisée, surtout pour ceux qui ont pu gravir les échelons comme les anciens militaires. Ce complément de salaire est défiscalisé et assez peu contraignant puisque la journée se fait en fonction de ses propres disponibilités. Beaucoup n'iront pas beaucoup plus loin que la formation initiale. Il y a beaucoup de "perte en ligne". Mais avec la fin du service militaire, ça permet de se dire qu'on a fait ce qu'il fallait.

En quoi cette jeunesse, qui souhaite s'engager pour la sécurité et la défense du pays, est-elle différente de celle qui se mobilise à l'appel de l'UNEF contre une loi dont elle redoute les effets sur sa future vie professionnelle ?

Stéphane Sirot : Ce qu'on peut dire c'est qu'il n'y a pas une seule jeunesse, il y a plusieurs jeunesses. C'est un fait qui a toujours été vrai, mais sans doute plus particulièrement aujourd'hui. Cela peut nous laisser penser que ceux qui choisissent l'engagement dans la police ou l'armée ne sont certainement pas tout à fait les mêmes que ceux qui descendent dans la rue contre la loi El Khomri. La jeunesse française est extrêmement variée.

Notre société est beaucoup plus fragmentée qu'il y a vingt ou trente ans, et cela se retrouve dans les différentes prises de positions et choix d'engagement que font les jeunes. Certains vont donc exprimer leur envie de bouger les choses en s'engageant dans l'armée, quand d'autres vont faire le choix plus classique d'agir à travers les mouvements sociaux. C'est assez représentatif de cette variété qui existe aujourd'hui dans la jeunesse. Cela nous renvoie à la question du vote des jeunes qui est aujourd'hui très éclaté. Outre une très forte abstention, on retrouve des proportions à peu près équivalentes de jeunes qui votent à gauche, à droite ou au Front national.

Louis Fontaine : La différence n'est peut-être pas aussi évidente qu'on peut le croire de prime abord. Pour certains, la défense de l’État se joue d'un point de vue social et sécuritaire. Ce sont les quartiers de l'est parisien qui ont été touchés l'année dernière.

Cela étant, la jeunesse française qui se présente au concours de police ou de gendarmerie est issue de la classe moyenne. Il faudrait sans doute une étude plus sérieuse pour le démontrer, mais on a le sentiment que c'est le petit blanc de la France périphérique qui s'engage. Pas le fils de bobo qui a échoué en première année de sociologie ou le lycéen qui veut jouer à son tour la petite comédie bourgeoise du grand soir. L'extrême-gauche hurle à l’État fasciste parce que l'état d'urgence se prolonge. Elle ne voit pas que l'état d'urgence n'est pas appliqué. On a renforcé Vigipirate et mis quelques drapeaux au balcon, ça ne fait pas de la France un état policier.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !