Emprunts toxiques : certains élus locaux savaient ce qu’ils faisaient<!-- --> | Atlantico.fr
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Le coût élevé du Musée des Confluences à Lyon vient en partie des emprunts toxiques.
Le coût élevé du Musée des Confluences à Lyon vient en partie des emprunts toxiques.
©Thierry Ehrmann/Flickr

Pas si bêtes

Ces emprunts structurés, qui représentaient 14 milliards d’euros en 2012, offrent généralement un taux d’intérêt garanti faible dans un premier temps, puis un taux variable indexé sur une parité de taux de change. Les collectivités sont alors exposées à des fluctuations potentiellement très fortes du coût de leurs emprunts.

Les collectivités territoriales ont eu, au cours des vingt dernières années, abondamment recours à des emprunts structurés dits "toxiques", ce qui a conduit à l’insolvabilité de certaines d’entre elles et à la création par l’État d’un fonds de soutien. Ces emprunts structurés, qui représentaient 14 milliards d’euros en 2012, offrent généralement un taux d’intérêt garanti faible dans un premier temps, puis un taux variable indexé sur une parité de taux de change. Les collectivités sont alors exposées à des fluctuations potentiellement très fortes du coût de leurs emprunts. Par exemple, le taux de l’un des trois emprunts souscrits pour le financement du musée des Confluences, à Lyon, a récemment atteint 27%.

Les élus locaux étaient-ils bien formés ?

Ces emprunts, qui sont indéniablement dommageables pour les finances des collectivités territoriales, posent la question de la responsabilité des élus locaux. Depuis le premier acte de la décentralisation, en 1982, les élus locaux disposent en effet d’une grande liberté pour contracter des emprunts. La Cour des comptes, dans un rapport rendu public en juillet 2011, suggère cependant que les établissements bancaires auraient pu profiter du manque d’expertise des élus locaux pour leur vendre des produits dont ils n’étaient pas en mesure de comprendre toute la complexité. Cet argument a été largement relayé par les élus locaux eux-mêmes.

Toutefois, arguer du manque d’expertise des élus locaux face à des établissements bancaires prédateurs comme principale explication du développement des emprunts toxiques est difficile à réconcilier avec les faits. Si les emprunts structurés auxquels ont souscrit les collectivités territoriales sont (très) risqués, le taux d’intérêt étant variable sur une partie du prêt et pouvant atteindre des niveaux très élevés, la formule de calcul du taux est relativement simple, en comparaison notamment de celle des produits de type "fonds à formule", qui sont pourtant largement distribués aux ménages français.

La majorité des collectivités locales bénéficiaient également du conseil de consultants spécialisés lors du choix de leurs emprunts. On peut ainsi douter de la mauvaise compréhension de ces emprunts par les élus locaux.

Un récent papier co-écrit avec mon collègue Christophe Pérignon ("The Political Economy of Financial Innovation : Evidence from Local Governments") corrobore cette analyse. En 2011, le quotidien Libération a publié des données issues d’une fuite de la banque Dexia, ce qui nous a permis d’avoir accès des informations sur les emprunts de plus de 2 000 collectivités sur la période 2000-2009. L’exploitation des données nous a alors conduits à des résultats qui étayent l’idée selon laquelle un certain nombre d’élus locaux ont souscrit en connaissance de cause à des emprunts structurés.

Des maires qui savaient

D’une part, il apparaît que les maires ont d’autant plus recours à des emprunts structurés qu’ils ont un haut niveau d’études. Les maires anciens hauts-fonctionnaires sont par exemple les plus nombreux à contracter des emprunts structurés, alors même qu’on peut estimer qu’ils sont mieux à même que d’autres de comprendre le fonctionnement de ces emprunts. De même, les plus grandes collectivités territoriales souscrivent davantage à des emprunts structurés que les plus petites, alors même qu’elles disposent généralement d’une administration plus qualifiée et ont plus facilement accès aux services de cabinets de conseil spécialisés.

D’autre part, l’exploitation des données suggère que certains élus locaux utilisent les emprunts structurés à des fins stratégiques, ce qui laisse penser une fois de plus qu’ils en comprennent le fonctionnement. Les élections n’ont pas lieu au même moment dans toutes les collectivités territoriales (régions, départements, intercommunalités et mairies). De ce fait, il nous a été possible de former des groupes de traitement et de contrôle, et de tester si l’approche d’une élection conduit les élus locaux à recourir plus fortement à des emprunts structurés. Nous en avons déduit que les élus locaux utilisent davantage les emprunts structurés en amont des élections.

Ce type de stratégie est compréhensible. Il est vraisemblablement avantageux de souscrire à un emprunt structuré peu avant une élection, afin de dépenser davantage sur la période, les charges d’intérêt étant faibles, et de favoriser ainsi sa réélection, quitte à supporter plus tard des charges d’intérêt plus fortes. Ce type de stratégie suggère toutefois que les élus locaux comprennent et acceptent le risque des emprunts structurés.

Des produits financiers taillés pour les hommes politiques

Le fait que des élus locaux puissent, à long terme au détriment du contribuable, recourir à des emprunts structurés à des fins personnelles n’a rien d’étonnant. Les emprunts structurés cumulent en effet deux propriétés qui les rendent particulièrement propices à une utilisation non conforme à l’intérêt général.

D’une part, les emprunts structurés sont flexibles, ce qui permet aux élus locaux d’ajuster les périodes à taux d’intérêt faible et à taux variable selon leurs besoins. D’autre part, il est difficile pour le contribuable de connaître les modalités exactes des emprunts structurés souscrits par les élus locaux.

Le recours de l’État grec à des dérivés de change, afin de diminuer artificiellement son niveau d’endettement et satisfaire plus facilement aux conditions pour entrer dans la zone euro, relève de cette même logique. Tout l’enjeu réside dès lors dans l’adaptation du cadre réglementaire, afin de limiter le plus possible ces comportements.

>>>> Cet article a également été publié sur le site The Conversation (publié dans le cadre d’un partenariat avec la revue Regards croisés sur l’économie), visible ici

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