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Rencontre Hollande Blair : le social libéralisme à la française a-t-il vocation à finir dans la même frénésie financière que l'ancien premier ministre britannique ?
©Reuters

Pente naturelle ?

L'icône de la "troisième voie" du social-libéralisme, Tony Blair, doit être reçu ce vendredi 11 mars par le président de la République. Presque dix ans après la fin de ses mandats, l'ancien Premier ministre britannique s'est considérablement enrichi, via des activités souvent opaques et moralement douteuses. Persona non grata au Royaume-Uni, l'ancien locataire du 10 Downing Street pourrait bien présager de l'avenir du social-libéralisme.

Sophie Loussouarn

Sophie Loussouarn

Sophie Loussouarn est spécialiste de l’histoire politique et économique du Royaume-Uni et proche du monde politique anglo-saxon.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Ce vendredi 11 mars, François Hollande doit recevoir l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Depuis l'arrêt de l'exercice de ses mandats, qu'est devenu Tony Blair ? A en croire l'ouvrage "Blair Inc. : The Man Behind the Mask" de Francis Beckett, David Hencke et Nick Kochan, l'homme s'est considérablement enrichi… parfois pas très honnêtement. Qu'en est-il ?

Sophie Loussouarn : Lorsque Tony Blair a quitté le 10, Downing Street en juin 2007, il était contraint de démissionner face à la crise du cash for peerages, un scandale de corruption sur fond de nomination des pairs travaillistes à la chambre des Lords (pour éviter ainsi une opposition conservatrice à ses réformes). C'est donc sur un tableau assez noir que s'est terminé le troisième mandat de Tony Blair, qui a passé la main à son ministre des Finances Gordon Brown qui, lui, n'a jamais été élu.

Quand il a quitté Downing Street, Tony Blair a été nommé représentant de l'ONU pour le Moyen-Orient mais n'a jamais véritablement exercé ses fonctions. Il s'est davantage consacré à des missions lucratives de conseil auprès du Gouvernement du Koweït ainsi que de régimes africains douteux. Il s'est également adonné à des missions de conseil pour Morgan Stanley et JP Morgan. Il a aussi créé une fondation pour le sport et une fondation pour la foi, car il s'était converti au catholicisme après son départ. Il y a donc un paradoxe entre sa volonté d'amasser de l'argent et sa conversion au catholicisme pour rejoindre son épouse Cherie Blair. Il avait attendu de quitter son poste pour se convertir, car un Premier ministre britannique se doit d'être membre de l'église anglicane…

Tony Blair est un homme à plusieurs facettes très ambivalentes. Il a eu beaucoup de succès, il a commencé comme le plus populaire des Premiers ministres et a terminé comme le plus impopulaire. Il est aujourd'hui quasiment persona non grata au Royaume-Uni. Chaque fois qu'il se prononce en faveur d'une cause, il la fait perdre ! On l'a vu lorsqu'il s'était prononcé contre Jeremy Corbyn lors de son élection à la tête du Parti travailliste. Il avait aussi soutenu David Miliband en 2010, et c'est son frère Ed qui avait été élu… Les gens font le contraire de ce que prône Tony Blair.

Il mène une vie complètement coupée de la réalité. C'est un homme qui voyage en jet privé, qui se déplace de pays en pays. C'est un nomade aujourd'hui, un conseiller itinérant qui donne des conférences mieux rémunérées que celles de Bill Clinton. Après avoir été élu à la tête du Parti travailliste en 1994, il était allé suivre la campagne électorale de Bill Clinton et s'en était inspiré pour mener sa propre campagne en 1997. Clinton a toujours été son modèle, mais il l'a dépassé désormais, il gagne plus d'argent que lui ! C'est encore la star des sommets internationaux.

Ses activités les plus contestées sont ses missions de conseil auprès de gouvernements peu démocratiques, comme le Koweït.

Dans quelle mesure est-ce que Tony Blair, incarnation de la "troisième voie", du social-libéralisme, est-il symptomatique – dans son rapport à l'argent et au pouvoir – des dérives du social-libéralisme et de la social-démocratie ? Jusqu'où les valeurs de gauche, originellement défendues par ces hommes, sont-elles oubliées une fois la fin du mandat ?

Éric Verhaeghe : On peut évidemment se souvenir de l'analyse léniniste de ce que fut la social-démocratie. Pour Lénine, la social-démocratie était une sorte de chant de cygne poussé par une fraction des capitalistes qui cherchaient à récupérer la ferveur révolutionnaire du prolétariat pour la mettre à son service. Chacun en pense ce qu'il en veut, mais cette analyse a le mérite de montrer que la fascination des sociaux-démocrates pour l'argent, ou le lien étroit entre ces deux forces, ne remonte pas au seul Tony Blair, mais est consubstantiel à la notion de social-démocratie. Paradoxalement, des gens comme Dominique Strauss-Kahn ont, en France, assez bien incarné cette pulsion d'argent et d'enrichissement, même si la pulsion ne suffit pas toujours pour pérenniser des situations acquises. Plus profondément, le lien entre argent et social-démocratie nous renvoie partiellement aux racines protestantes de cette famille politique, qu'un homme comme Michel Rocard a bien incarné en son temps. Avoir de l'argent est honteux à avouer, mais souhaitable. La social-démocratie exprime bien cette dualité, voire cette dichotomie. 

Concrètement, qu'est-ce que cela peut traduire de l'avenir des différents dirigeants sociaux-libéraux comme François Hollande, en France et en Europe ? Que faut-il attendre, en matière d'avenir, du social-libéralisme, si Tony Blair en est emblématique ?

Éric Verhaeghe : La question est ici un peu différente, mais renvoie quand même bien à l'idée léniniste selon laquelle la social-démocratie est, à de nombreux égards, une sorte de ruse de l'histoire. Défendre un projet social-démocrate au plan collectif n'empêche d'avoir un idéal très "bourgeois" ou capitaliste à titre personnel. Bien au contraire, les deux projets sont complémentaires et sont une seule et même construction vue sous deux facettes différentes. Les adeptes du gouvernement profond y verront même une confirmation de leurs thèses : la social-démocratie se nourrit volontiers d'une culture de réseau, d'affinités plus ou moins électives, qui permettent d'exercer une influence forte sur les décisions publiques, mais de façon opaque ou transverse, et de participer à l'enrichissement personnel. Un Cahuzac a assez bien incarné cette tendance. Mais d'autres peuvent se prévaloir du même parcours et du même appétit. D'une certaine façon, la sociale-démocratie, qu'elle ait une tendance libérale ou non, s'accommode bien de cette sensibilité du Gouvernement profond à "creuser son nid" et à jouer de son influence dans l'ombre pour orienter les décisions majeures.

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